Mes sorties en boites n°6

par Nightcap

04/04/16

Skiff Mixture, de Samuel Gawith

Ah, celui-là, j’aurais pas cru. C’est même incroyable qu’ils l’aient « oublié ». Mais bon, tant mieux.

Car enfin… Loin de moi l’idée de me faire plaindre (encore que…). Mais si je calcule bien, sur FdP… entre les Bouffardes Bavardes de Charles et Simon, et quatre ans et demi de chroniques d’Erwin, ces zoulous ont déjà décortiqué 269 tabacs, avec leurs papilles acérées.

Bravo. Seulement… du coup, me reste quoi, moi, à chroniquer, si je ne veux pas que le site bégaye, hmmmm ?

Le banal, le plus commun ? Ca, c’est sûr, ils ne s’y aventurent pas trop, les cocos.
Tiens… ils m’ont laissé l‘Amsterdamer. C’est sympa.

Ou alors, je fais dans le rare, l’introuvable. Tu fais une revue dithyrambique sur le No. 15 Balkan Mix (Custom Blend) de chez Bennington Tobacconist – 1 seule et unique revue sur Tobacco reviews - ça en jette…
Pour un peu, tu passerais même pour un initié…
Problème : le N° 15 Balkan Mix de Bennington ne se vend… que chez Bennington. Sur place. Comme ils le disent sur leur site, tu ne peux pas te tromper : c’est juste en face du restaurant « The Crab and Fin », sur Fillmore Drive. Mais bon, tout le monde ne peut pas faire ses emplettes, chaque semaine, à Sarasota (Floride)…Et ça limite un peu l’intérêt grand public de la revue.

Le problème me torturait donc le neurone, alors que j’allumais, perplexe, un petit « Skiff mixture » de derrière les bruyères, dans une belle Reo Ferndown (on ne dira jamais assez combien les pipes de Mr Les Wood rendent au Latakia tous ses parfums)…

Oui, un Anglais… Faudrait que je trouve un Anglais, un chouette, à raconter. Un beau, un régal. Que nos reviewers n’aient pas encore scalpelisé. Un truc d’une qualité rare, non revu encore.

l aurait… un nez formidable. Un peu oriental, peut-être, pour changer des « straight english » - mais il danserait quand même la valse à trois temps des vrais british d’hier (Latakia, Oriental, Virginias, et basta) comme une valse viennoise. Avec un parfum, au départ, assez fumé. Mais comme dans le temps : du fumé délicat ; du fumé façon champêtre… disons, comme une flambée de branches de pommier qu’on brûle au jardin, en automne.
Il aurait, aussi, une odeur de cuir, propre aux bons latakiés, et que j’adore.

Mais dans le même temps, il afficherait aussi des douceurs, de la rose, presque du loukoum. Des rondeurs, aussi, des arômes presque charnels de fruits, voire de compotes de fruits, d’agrumes et d’herbes.
Et le tout, me disais-je pensif, composerait un mélange formidablement équilibré, qui évoquerait, sans esbroufe, le bon vieux temps et les mélanges anglais des jours à jamais disparus, mais où nous fûmes heureux.

Un truc comme çà, quoi.

Je ne sais pas si vous connaissez le Skiff Mixture, de Samuel Gawith. Oui, surement. C’est l’un des blends anglais les plus vieux et les plus répandus dans nos steppes tabagiques. On en trouve même dans chaque civette française, c’est dire. Tu sais, avec un vieux dériveur, sur une boite ringarde – une boite « d’anglais des jours disparus, mais… ».
Je l’adore.

Et je me régalais donc ainsi, en suçotant ma Ferndown, devant les gouttes de pluie qui glissaient sur ma fenêtre. En rêvant à mon blend…

Oui. Un beau tabac, à raconter, serait tout à la fois très riche et très doux. Les orientaux – succulents – viendraient peu à peu rajouter une note éthérée, d’encens et d’amertume, aux arômes fumés - qui leur laisserait alors faire des solos de saxo. Pendant que les Virginias rajouteraient un zest de citron et de rosier fané, dans le fond du jardin. Le tout serait un peu sucré, pour réchauffer ce printemps mouillé - mais jamais doucereux ; présent sans être fort, et fumé sans verser dans le goudron de marine.
Non, rien de marin, même, dans ce blend : il évoquerait plutôt, en cours de fumage, ces odeurs de cheminée qui rôdent, quand vient le soir, dans l’air frisquet des villages, au détour des vieilles pierres.

Evolutif ? Oui, ce serait parfait. En douceur, si les papilles restent vraiment à l’affut, on y entendrait des airs de marmelades d’orange, et quelques fraîcheurs potagères (concombre ?). Voire, à mesure que les choses avancent, des goûts mielleux un peu bruts (comme quand tu mâches des rayons de miel), et pourquoi pas : de la crème et de la pâte de noix.

On peut rêver… Et je pensais à tout çà, et au Skiff Mixture, dans le même temps.
Ce tabac, quand on l’ouvre, quand on le fume, est – comme son petit frère le Squadron, mais version balkanique – une borne témoin, une survivance de ce qui fut ; un témoignage vivant des Anglais des jours passés; un morceau d’élégance : daté, certes, mais nullement suranné. Un truc d’une qualité rare, quoi.

C’est incroyable, d’ailleurs, que ni Erwin, ni Charles et Simon n’en aient jamais parlé. Je viens de m’en rendre compte. Celui-là, j’aurais pas cru.
Trop évident, sans doute. La vieille lettre d’Edgar Poe.

Mais tant mieux, finalement. Car cela me permet de le susurrer, en exclusivité : le Skiff Mixture, finalement, est un tabac si chouette qu’il est exactement, et très fidèlement… comme on peut le rêver.

A mon avis ;-)

Brown Irish Twist, de Gawith Hoggarth

Au nez, c’est étonnant, et délicieux. Un parfum, que je n’avais jamais senti, très rond, très chaud, qui mélange des effluves de confiture de groseille, de vieille reliure et de cuir de luxe. Un pur bonheur.

A la vue, c’est également très étonnant… mais en revanche plus contestable.

C’est un « Rope ». Un « Twist ». Un boudin à pipe. Bref, un rouleau de tabac, fait directement à partir des feuilles non découpées, de près de 4 cm de diamètre. C’est mon premier …et c’est spécial.

Pardon pour ceux qui sont familiers de ces ropes-twists. Pour les autres, je raconte. Visuellement, cela ressemble à une sorte de gros cigare mou, noir et humide, qui n’est pas sans rappeler, par ordre croissant d’association d’idée : un vieux Lusitania de chez Partagas, oublié sous la pluie une quinzaine de jours ; un morceau de cordage en chanvre, datant de Françis Drake, exhumé enfin de son cimetière marin après 4 siècles passés dans la boue du port ; une saucisse de Morteau oubliée sur la table de la cuisine pendant les grandes vacances ; ou une déjection canine en voie de dessiccation.

Pour ne point choquer les âmes délicates, gardons juste l’image du vieux « bout » de marine, exhumé du port. En plus, c’est cohérent avec la « chose ».
Car ce type de tabac est l’ancêtre du chewing gum ; le tabac des vieux marins. Sa forme permet en effet ce double usage : je le chique, à bord – puisque la pipe était généralement interdite sur les bateaux en bois. Et je le fume ensuite, dans ma bouffarde, aux escales – vas-y, Long John, sors le rhum et les filles.

Théoriquement, cela évoque donc la flibuste, le sel, la vague. Et ça se fume en écoutant des chants de marin, de vieux shanties qui parlent de calfat et de la baie de Frisco (http://bit.ly/1MDYhXa - et on reprend au refrain !)

Quant à la composition … c’est simple : c’est du Virginia 100%, séché à l’air. Certains twists sont « cuits », pour être « adoucis », et virent alors au noir. Là, non. Le Brown Irish Twist, c’est du pur, du tabac, du vrai sans tripatouillage.

Au départ, je l’avoue, j’avais d’ailleurs comme une appréhension. Et j’ai donc pris des ris, pour approcher les « ropes » sans faire chavirer la barquette.

On dit, en effet, qu’il faut se méfier de ces tabacs-là. Qu’ils sont des déferlantes de nicotine, des mers déchaînées qui te naufragent l’estomac et le boyau ; des Cap Horn à fumeurs. Par précaution… le Brown Irish Twist que j’ai choisi n’est donc pas le plus costaud de cette famille de tueurs.

On dit notamment que le Black Irish XXX de Gawith Hoggarth, le Finest Kendal Twist Black ou le Black XX Twist de Samuel Gawith, peuvent te démâter bien plus brutalement. Mais qu’eux-mêmes restent toutefois de douces risées, face au force 10 que serait le Finest Kendal Twist Black XX, du même SG.

(On dit aussi qu’on retrouve parfois des navires perdus qui courent les mers tels des zombies flottants, après que ce type de rope ait décimé l’équipage…
Mais on dit tellement de choses, dans les tavernes des ports.)

En tout cas, l’exercice, au départ, n’est pas sans risque. Faut un sabre d’abordage tranchant comme un rasoir, pour le couper proprement, en rondelles ; voire pour l’émietter. Il faut aussi, si tu as sauvé tes doigts de l’exercice précédent, une bonne dose de patience pour le laisser sécher.

Mais ensuite, tu peux y aller. Hissez haut.

Et là… C’est encore étonnant. Et superbe. Où tu attends le grain, la grosse mer, et si j’ose dire le coup de tabac… tu trouves une houle, bien formée, mais très ronde.

C’est sucré. Oui. Fort. Oui. Et mielleux à la fois – avec des arômes gourmands qui font dans l’orangé/chocolaté - un peu comme du Old Darek fired mais plus sombre, plus profond, plus dense. Avec de la noix, des veloutés pâtissiers, des parfums de cigare toscan et une légère pointe d’amertume bienvenue, qui ressemble à celle des bons Kentucky - façon Kendal. Plus quelques goûts de fruits secs qui traînent dans le fond ; du poivre noir et de très fugaces perceptions d’eau de Cologne.

Ben ?! Elle est où, la tempête, les sueurs, le tremblement ?
Nulle part.

C’est sûr : les vagues se creusent, à mesure qu’on s’éloigne de la côte. Petit à petit, il se dessine même dans la cambuse, côté duodenum, un sentiment de creux annonciateur - qui n’est pas sans me rappeler ce que j’ai ressenti, à 15 ans, le matin de ma première cigarette (Gitane-sans-filtre), juste avant que je ne doive m’accrocher au poteau du sens interdit que la Mairie avait opportunément placé devant la sortie du Fontenoy, Paris XIV - histoire de stopper la rotation du carrefour.

Mais bon, ch’suis plus un blanc bec… et d’ailleurs, les ravages du Brown Irish ne dépassent guère ce sentiment de creux, qui reste très contrôlable.

Certes… Le goût aussi évolue, vers la fin. De la terre, puis du végétal/minéral - comme des vapeurs d’artichauts qui cuisent… - viennent se rajoutent aux goûts précédemment cités. Qui virent au sombre. Avec de l’âcreté en prime, si tu tires trop fort, et un goût de soude sur la langue. Faut louvoyer en douceur, jusqu’à une fin de bol qui s’achève sur des goûts très noirs et un ciel bien couvert.

Mais la caractéristique majeure de ce tabac, notamment au début - et si tu t’abstiens de téter comme un vampire - tient en un mot : le Brown Irish Twist est « ve-lou-té ». Et ce, presque jusqu’aux dernières braises.

Les vieux marins qui traînent sur les quais prétendent, d’ailleurs, que cette rondeur, ce velours, constitue la caractéristique majeure de ces « ropes ». En l’occurrence, du moins, ils disent juste.

Et cela rend la chose très, mais vraiment très agréable. Suffisamment, en tout cas, pour donner envie de reprendre la mer, très vite.

A mon avis ;-)

Gold Navy Cut, de Capstan - (Interruption publicitaire)

Nous interrompons une seconde cette chronique, pour une page de publicité. Je viens de lire les prochaines revues d’Erwin, en exclusivité. Et elles sont tout particulièrement gourmandes. Mieux : nous sommes totalement, pleinement d’accord sur le Capstan jaune, auquel il consacre une jolie page. J’avais prévu d’en parler, un jour. Mais c’est inutile : il le fait très bien, et je n’aurais donc rien à rajouter.

Vous voulez découvrir ce tabac historique, ou comparer vos sensations à celles de vos chroniqueurs ? Saisir les nuances entre le « Jaune » et le « Bleu » ? Vous rêvez d’analyses gourmandes d’autres blends rares et goûteux ? Ne ratez donc sous aucun prétexte le prochain épisode de : « Font-ils un tabac ? » !

C’est ici, sur cet écran, dès le 18 avril. Be there !
(nous reprenons maintenant le fil de nos émissions)

John Cotton’s Smyrna de la Standard Tobacco Company of Pennsylvania

Mesdames et Messieurs, la ville que nous visitons s’appelle aujourd’hui Izmir. Mais ce nom, turc, est récent. Cette agglomération, d’aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants, fut bâtie et rebâtie sur la cité antique de Smyrne, créée il y a 5 000 ans. Par une Amazone, dit-on.
On dit aussi qu’Homère y est né. Mais ce point est controversé.

Sur votre gauche, au loin, le port – le 2e de Turquie, par son trafic. A droite, l’Agora hellénistique, dont les colonnades ont subsisté au terrible incendie qui a ravagé Smyrne, lors du conflit gréco-turc, en 1919.

Devant vous, une spécialité locale. Le tabac. L’Izmir, ou le Smyrna, est une variété à petite feuille, qui pousse autour de la ville, dans les montagnes de l’Ouest du pays, et jusque sur l’île de Chios. Extrêmement aromatique et bercé par les vents tout chargés de parfums de la Méditerranée, on a souvent dit de lui qu’il est « la rose des tabacs ». Le meilleur des orientaux.

La société McClelland lui a d’ailleurs rendu hommage dans sa série Grand Oriental – et dépose dans chaque boite une feuille entière de ce délice aux odeurs uniques de roses tendres, d’olive, de thé et de jasmin.
Mais ce que nous voyons aujourd’hui est un autre hommage à cette finesse. Du John Cotton’s Smyrna., en boite métal de 50g

Approchez-vous, Mesdames et Messieurs, approchez, vous verrez mieux. Comme vous pouvez le constater, c’est un mélange plus blond que noir, à la coupe fine de type « Dunhill ». Au nez, comme vous pouvez le sentir, on distingue clairement de l’oriental délicat, des parfums de fruits secs et de rose, un zest d’encens très léger, une odeur de cuir neuf, du fumé fondu avec les autres arômes, un très fin voile de poivre blanc.

C’est subtil, présent sans être violent, doux sans être poisseux. On n’est pas très loin de l’immense Samovar, des beaux orientaux-balkaniques, voire du Skiff Mixture cité plus haut - mais sans leur puissance. Le Smyrna joue la finesse, sans la force.

Un peu d’histoire, peut-être : ce tabac, Mesdames et Messieurs, a été créé Russ Ouellette, pour la Standard Tobacco Company of Pennsylvania. Russ Ouellette, à qui l’on doit déjà des beautés comme l’Ambassador’s blend, le Black House, le Larry’s Blend, et tant d’autres anglais ; Ouellette, qui reste l’un des maître absolus en matière d’orientaux - après Fred Hanna, selon moi

Oui, oui, Monsieur. Vous pouvez tester. A l’allumage… oh, le coquin, n’est-ce pas ? Eh bien oui, ce tabac offre une surprise. A la toute première bouffée, une rapide, très fugace nuance d’agneau grillé passe comme un éclair, à quoi l’on reconnaît vite un vieux copain. Il y a du syrien là-dedans, j’en jurerais.

Vous noterez d’ailleurs, au cours de la visite, que ce blend va évoluer progressivement vers de l’onctueux ; et vous découvrirez en particulier un parfum d’encens assez-très accentué, qui va se combiner avec l’amertume douceâtre qui flotte dans les églises après l’office.
Mais – attention à la marche – vous pouvez distinguer également, à gauche de vos papilles, des douceurs fines et délicates ; un très léger goût de bonbon à la bergamote, des senteurs d’huile d’olive, très légères, de thé et d’agrumes.

On s’éloigne maintenant du Samovar, nettement plus fumé, latakié et rond. C’est oriental, très oriental. Très … Smyrna (logique …) – je veux dire : proche du Smyrna de chez McClelland, dans lequel le Latakia est absent – mais meilleur, car plus complexe - et plus fumé surtout.
Vous avez des questions ? Oui, Madame ? Effectivement. Le début reste un peu-très léger. C’est, à mon sens, le défaut majeur de ce tabac.
Oui, jeune homme ? Ah, bonne question. Oui, parfaitement : c’est un tabac qui se fume très bien, et sans aucun effort.

Eh bien, voilà, je crois. Mesdames et Messieurs, nous avons achevé notre visite.
N’oubliez pas le guide, s’il vous plaît.
Ah, et puis, pour ceux qui le souhaitent : vous pouvez, bien sûr, acheter ce mélange à la boutique, avant de reprendre l’autocar pour rejoindre le port.
Vous verrez, il en vaut la peine.

A mon avis ;-)