Font-ils un tabac ? n°88

par Erwin Van Hove

27/08/18

Samuel Gawith, Grousemoor

A l’instant où j’ouvre la boîte, je reçois une claque en pleine poire. Ça, c’est exactement le genre d’odeur horripilante qui voici un quart de siècle m’a dégoûté au point de bouder pendant une décennie et demie toute herbe en provenance du Lakeland. Ce parfum n’a plus rien à voir avec des arômes de tabac : il tient davantage d’un mélange de chewing gum aux fruits, de canard WC et d’after-shave à deux sous. Beurk de chez beurk.

Je ne me fais pas d’illusions : je m’attends au pire.

C’est pire encore. Parce que pendant quelques instants, je reconnais à travers le brouillard parfumé des premières bouffées l’un des goûts les plus infects de mon enfance : celui du parmesan en poudre de chez Miracoli, lequel, immanquablement, j’associais à la fétidité du vomi. Passé ces quelques secondes de pure horreur, la fumée se borne à développer les saveurs qui correspondent au nez : du citronné ou plus précisément une forte dose de citronnelle, du géranium, du musc. Pas de trace d’une quelconque saveur de tabac. Il s’agit pourtant de l’excellent virginia en provenance du Zimbabwe qu’affectionnent les blenders de Kendal. Et c’est vrai que le tabac est de qualité : naturellement doux avec ce qu’il faut d’acidité, assez crémeux, pas agressif pour un sou.

Vers le milieu du bol, l’aromatisation roule moins des mécaniques et se concentre sur une saveur de citronnelle. C’est d’ailleurs le seul arôme ajouté mentionné dans le descriptif de Gawith. Ce n’est toujours pas ma tasse de thé, mais désormais s’instaure un certain équilibre entre le fruité parfumé et le virginia blond. Et ça va en s’améliorant parce que dans le dernier tiers, l’épicé naturel du tabac entre en dialogue avec la citronnelle et apporte de la profondeur, ce qui fait qu’on évolue vers une finale nettement moins écœurante.

Le Grousemoor est un mélange qui divise. Les notes et les commentaires sur Tobaccoreviews le confirment clairement : on l’aime ou on le déteste. Pour moi, ce genre de bombe aromatique est une caricature. Mais si le tabac parfumé à la louche, c’est votre truc, vous serez servi, d’autant plus qu’il ne s’agit nullement d’un de ces aros mal fichus qui perdent leur saveurs pour devenir amers.

Une dernière mise en garde : il va de soi que ce genre de mélange laisse se marque sur vos pipes. Evitez donc de l’essayer dans l’une de vos bruyères préférées.

TAK, Nordwind

Vent du Nord. Faut-il s’attendre à une brise vivace et fraîche ou au contraire à un tabac viril qui nous réchauffe les os par temps hivernal ? Au vu de la composition, virginias africains et indiens, perique et 20% de kentucky, c’est cette dernière hypothèse qui semble se confirmer. Il s’avérera pourtant qu’il n’en est rien.

Livrée en vrac, c’est une belle mixture qui va du blond au brun foncé et qui combine des brins de différentes coupes. Malgré le pourcentage élevé de kentucky, ce sont les arômes des virginias qui sautent au nez. Certes, on décèle une pointe de grillé, mais ça sent avant tout le pain frais. Cette odeur de boulangerie à laquelle s’ajoute une touche de chocolat, je l’ai retrouvée dans plusieurs autres blends de Thomas Darasz. On peut donc parler d’un style maison.

Le ton est donné dès les premières bouffées : voilà un mélange qui sans tambours ni trompettes développe des saveurs agréables et bien équilibrées. Les virginias s’expriment sur la croûte de pain, le kentucky apporte un petit goût de toast et de terre, et le perique sort le moulin à poivre. Les ingrédients coopèrent intimement pour nous livrer un tout harmonieux, velouté et serein. La douceur, l’acidité, l’amertume et l’épicé sont parfaitement balancés et c’est pareil pour la puissance. Le Nordwind est donc un tabac qui ne casse pas la baraque, mais qui séduit par son caractère de all day smoke sans histoires. Cela étant, il est facile de lui pardonner son manque de vraie évolutivité.

Avec ce Nordwind bien ficelé et plaisant, Thomas Darasz prouve que depuis ses récents débuts, il a fait de sérieux progrès et est en train de se tailler une place dans le club sélect des blenders artisanaux de talent. Il mérite donc que vous vous intéressiez à son travail.

Poul Olsen, My Own Blend 111

Pour en savoir plus sur la gamme des tabacs My Own Blend, je vous renvoie à la page suivante : artfontilsuntabac82.htm

Les flakes bruns et roux légèrement pressés contiennent du virginia, du perique et du kentucky. Chaque fois que j’y plonge le nez, je suis surpris : je retrouve la même odeur à la fois piquante, fraîche et légèrement fruitée que lorsque je coupe un piment Madame Jeannette. Pour le reste, le nez n’est pas déplaisant, mais discret, voire fermé. Pain, céréales peut-être. Le royal échantillon qu’une bonne âme m’a fait parvenir, est prêt à l’emploi : les flakes sont souples sans être humides et se transforment en un tour de main en brins sans morceaux.

Nouvelle surprise à l’allumage : les premières bouffées véhiculent un je-ne-sais-quoi à la Lakeland qui disparaît rapidement et définitivement. Ne restent ensuite que des saveurs naturelles sans grande personnalité. Les virginias sont gentiment doux avec une pointe citronnée, le kentucky apporte une certaine acidité et le perique épice le tout, mais sans verser dans le piquant. Je ne retrouve pas le côté grillé du kentucky ; il se comporte davantage comme un burley en apportant du corps et un petit goût terreux et boisé au mélange. En vérité, le 111 ne m’inspire pas d’associations : il ne s’exprime ni sur le foin, ni sur les biscuits, si sur le fruit. Fondamentalement, il a un goût de tabac. A la longue il me paraît même un tantinet ennuyeux. Il n’est cependant pas sans mérites : il se consume gentiment, ne mord nullement et contient suffisamment de vitamine N pour me satisfaire.

Non, le 111 n’est pas un mauvais tabac. Mais de là à lui attribuer sur Tobaccoreviews un score de 3,5… Bien sûr il se peut que quelque chose m’échappe, mais tel que je le perçois, c’est un blend respectable mais qui me laisse indifférent. Sitôt fumé, sitôt oublié. J’ai cependant noté à plusieurs reprises que l’ajout de quelques brins de perique pur le transforme comme sous un coup de baguette magique en un blend autrement plus complet et excitant qui, lui, arrive à me satisfaire pleinement.