Font-ils un tabac ? n°87

par Erwin Van Hove

30/07/18

J.F. Germain, Plum Cake Mixture

Pfffff. Voilà que ça recommence. J’ai vu des boîtes de Plum Cake qui précisent sans équivoque que le mélange ne contient pas de cavendish mais 20% de tabacs noirs obtenus par un procédé spécial à partir de feuilles air cured, mais dans la liste des ingrédients imprimée sur ma boîte à moi datant de 2014, figure bel et bien à la fois du cavendish et du black cavendish. Selon le site qu’on consulte, on apprend que le mélange contient soit quatre soit six virginias différents. Dans le descriptif d’un excellent commerce britannique, je lis que le mélange a été aromatisé avec des extraits naturels de prune et de cassis, alors que ma boîte spécifie que le tabac a été dopé au vin et aux épices. Or, tous les descriptifs et toutes les boîtes se rejoignent pour nous convaincre qu’il s’agit d’une recette traditionnelle qui n’a pas été modifiée depuis 80 ans. Bref, on nous prend pour des cons.

Apparemment l’identité du Plum Cake suscite des discussions sur le web : peut-il être considéré comme un vrai aro ? Cette question m’étonne. Si le producteur précise lui-même qu’il a incorporé dans son tabac ou bien du vin et des épices ou bien des saveurs de prune et de cassis, il est indéniable que le tabac a été aromatisé et en conséquence, c’est un aro.

D’ailleurs, quand j’ouvre la boîte, plutôt qu’une odeur de tabac, je décèle un accent floral et surtout des arômes de réglisse, de pain d’épices, d’amande, de pastis et de fruits rouges. Pas de prune. Du Plum Cake sans prune donc. En humant plus longuement, je note que c’est l’anis qui sort du lot. Je dois ajouter que ce capharnaüm d’odeurs est plutôt subtil et loin de désagréable. Des fauves, divers bruns et très peu de noirs. Le tabac est bel et bien dominé par une série de virginias coupés très finement, presque en shag. Après un encavement de 4 ans, le tabac est toujours passablement humide. On peut le fumer tel quel, mais je préfère le sécher un peu.

Il ne me faut pas plus d’une minute pour comprendre que le Plum Cake n’est pas pour moi : il est vraiment trop léger, ses saveurs sont confuses et manquent de définition et déjà il commence à me barber. Les virginias citronnés et légèrement épicés ne sont pas mauvais mais vraiment anodins. Ils manquent de corps et donc de présence. Par ci par là ils sont accentués de petits flashs de saveurs florales qui rappellent vaguement le style Lakeland, mais en version lilliput. Quant au tabac noir ou cavendish, il n’apporte ni sucre ni toasté et semble donc uniquement servir de vecteur d’arômes ajoutés. Mais justement, ces arômes, où sont-ils ? J’arrive à la finale sans avoir remarqué la moindre trace de prune et en plus la fumée ne rappelle en rien la richesse du nez. Je commence à comprendre pourquoi certains refusent de classer le Plum Cake parmi les aros.

Je renouvelle l’expérience dans plusieurs pipes et le résultat est toujours plus ou moins identique jusqu’à ce que j’allume une Talbert. Soudain, les virginias se montrent plus doux et développent une saveur de pain pendant que je découvre une touche d’anis et de noisette, davantage d’épices et un certain fruité. C’est loin d’être grandiose, mais là ça devient moins insipide. Malheureusement, c’est l’exception qui confirme la règle. Finalement, j’ai fini par doper le Plum Cake au perique pour lui donner un peu de punch. Je l’aime mieux comme ça, mais fondamentalement il reste tristement barbant.

Sur Tobaccoreviews, le Plum Cake obtient un score très moyen de 2,9. Ça ne veut pas dire pour autant que pour les dégustateurs c’est un mélange médiocre. En vérité, c’est un tabac qui divise : il obtient autant de louanges et de quatre étoiles que d’acerbes critiques et de cotes en conséquence. Personnellement, je suis fort déçu, d’autant plus que de la part d’un des grands représentants de la tradition du blending britannique, je m’étais attendu à un produit qui, au moins, aurait de la personnalité. Ceci dit, je ne peux pas ignorer l’enthousiasme de tant d’autres dégustateurs. Le seul conseil que je puisse donc vous donner, c’est de le tester vous-même.

Dunhill, Elizabethan Mixture

L’origine de l’Elizabethan Mixture ne remonte pas à l’époque d’Alfred. C’est chez Murray’s qu’a été créée la recette. Quand Orlik a repris la production des tabacs Dunhill, le blend a disparu du marché, mais en 2013 le Scandinavian Tobacco Group l’a réintroduit. Je dois dire que je n’ai que de vagues souvenirs de l’Elizabethan Mixture façon Murray’s, ce qui prouve qu’à l’époque, il ne m’a fait ni chaud ni froid. Voyons ce que donne la nouvelle version.

Comme le descriptif spécifie qu’il s’agit d’un mélange de dark virginias et de perique, je suis fort surpris à l’ouverture de la boîte : les ribbons fins sont dominés par les blonds, les fauves et les bruns clairs et c’est à peine si je décèle ici et là un brin foncé. Le nez agréable est celui d’un VA/perique classique, mais en humant plus longuement, je retrouve chaque fois une odeur de poivrons grillés en conserve qui me plaît bien. Bien que sur Tobaccoreviews plusieurs dégustateurs se plaignent d’un excès d’humidité, mon tabac à moi ne doit pas être séché avant le bourrage.

Oui, c’est du VA/perique, mais pas du genre à rappeler la sueur provoquée par les bayous étouffants, par le brûlant jambalaya ou par l’excitant zydeco. C’est du VA/perique destiné au fumoir d’un club londonien où des old chaps diplômés d’Oxbridge sirotent du sherry qu’ils trouvent jolly good. Bref, ça manque cruellement de luxure et de volupté.

Non, l’Elizabethan Mixture n’est pas vraiment mauvais, mais les virginias manquent d’opulence et le perique n’arrive pas à éveiller l’intérêt. Le foin, les fruits secs et le poivre forment un amalgame au goût impur et qui s’exprime en sourdine d’une voix monotone. C’est dire que le fumage finit très vite par m’ennuyer malgré le fait que la coupe fine se consume à une allure vertigineuse. Et ce n’est pas le flash d’intensité accrue tout à la fin qui réussit à me consoler.

Autant je considère le De Luxe Navy Rolls comme l’un des VA/perique incontournables, autant l’Elizabethan Mixture me paraît inintéressant et superflu.

Cornell & Diehl, Virginia Gentleman

Ayant envie de tester un virginia blend, je tombe dans ma cave à tabacs sur le Virginia Gentleman version vrac conservé dans un bocal pendant quatre ans. Or, à l’ouverture mon nez, sans hésitation aucune, me crie : buuurleeeeyyyy ! Ah bon. Je me concentre et je dois avouer qu’il a raison, le pif : des arômes terreux avec une pointe de noisette. Mais aussi un peu d’acidité volatile, genre vinaigre de cidre, qui, elle, provient en général de la famille Virginia. Conclusion : le Virginia Gentleman est un virginia/burley blend. Vérification faite, il contient également une pincée de tabacs turcs.

Le mélange brun clair est composé de diverses coupes, entre autres de morceaux de broken flakes. Ni trop humide ni trop sec, le tabac est prêt à l’emploi. Allumage facile et c’est parti. D’emblée ça se confirme : en dépit de son nom, le Virginia Gentleman carbure davantage au burley qu’au virginia. Certes, il y a des saveurs de foin et surtout de citron, mais c’est le goût de terre et de noisette qui forme le fondement du mélange, le tout étant agrémenté par des épices bien dosés. C’est un tabac en tous points modéré : peu sucré, légèrement acide et amer, ni fort ni léger, suffisamment goûteux mais sans grand caractère. C’est à la fois sa force et sa faiblesse : sa nature bon enfant n’offusque personne et peut en faire un all day smoke, mais son manque de personnalité n’incite pas exactement à l’enthousiasme.

J’avoue que le Virginia Gentleman tient la route et même que dans certaines pipes il m’a plu. N’empêche que je suis déçu. D’une part par son côté quelconque, d’autre part parce que son nom fait des promesses que le mélange ne tient pas.