Test BC 4 étoiles

par Erwin Van Hove

16/10/05

Bien sûr, au cours de ma carrière de pipophile, il m’est arrivé de fumer toutes sortes de françaises dites fait main. Par contre, je n’avais jamais eu le privilège d’essayer une des françaises les plus prestigieuses : une Butz-Choquin Collection 4 étoiles. Voici comment le site web de BC présente la série Collection : Le « Nec plus ultra » du catalogue Butz-Choquin. Ces pipes, rares et précieuses comme des diamants, sont entièrement fabriquées de façon artisanale dans les bruyères les plus belles et de qualité parfaite. Elles sont poinçonnées avec 5 (quelques pièces par an), 4, 3 ou 2 étoiles, en fonction de la rareté de leur flamme ou de leur grain. Et encore : Façonnées à la main par un Meilleur Ouvrier de France dans de très beaux plateaux de bruyère de Calabre, ces pipes de très haute qualité sont la fierté du Maître-Pipier. En voilà des majuscules ! De quoi faire saliver le plus stoïque des pipophiles, non ?

Le prix de vente d’une BC Collection **** se situe au-dessus de $500 sur le marché américain. Je ne connais pas le prix pratiqué en Europe, du fait que je n’ai jamais vu de pipe pareille dans une civette de notre côté de l’Atlantique. Plus de $500, ce n’est pas exactement donné. A vrai dire, ce prix-là, je ne serais jamais prêt à le payer pour une BC ni d’ailleurs pour aucune autre pipe sanclaudienne. Mais voici qu’une civette américaine proposait cette Collection flambant neuve pour $179, soit autour de 145 euros. A ce prix-là, autrement plus raisonnable, j’étais prêt à assouvir ma curiosité.

Elle est arrivée cette semaine. A ce jour, je l’ai fumée quatre fois. Voici ce que j’en pense.

Extérieur

La voici. Personnellement je trouve la forme assez élégante. En se basant sur la photo, on pourrait penser que la tige est plutôt carrée, mais en réalité elle est toute ronde. La tige est d’ailleurs plus massive qu’il n’en paraît sur la photo. Peut-être qu’elle était prévue pour un filtre 9mm. Ce qui saute aux yeux au premier coup d’œil, c’est les décorations qui ornent la tige. Elles sont bien exécutées, mais à mon goût le pipier en a fait trop. D’accord, la marqueterie en bois est belle et s’harmonise parfaitement avec la bruyère. Mais nom d’une pipe, pourquoi ce deuxième ornement, en acrylique celui-là ? Cette matière qui manque de noblesse, fait ringard avec son aspect de plastique marbré brillant. En outre, sa couleur composée de noir, de gris, de beige et d’ocre, détonne. Ceci dit, je l’admets, c’est une opinion personnelle et donc subjective. La transition tige/tuyau est très bien exécutée : on la sent à peine et aucune lumière filtre à travers. La flamme est respectable, sans plus. En tout cas, ce n’est absolument pas le straight grain parfait qu’on pourrait attendre d’une pipe qualifiée de « nec plus ultra ».

Voyons ça de plus près. Je regarde la pipe sous un spot. Ce que je vois me fait sourciller. La finition est abominable. La couche de cire est fort irrégulière : un mélange de parties brillantes et mates. De manière générale, la surface n’est clairement pas assez polie. En plus, par endroits la surface paraît vaguement sale avec des reflets grisâtres. Un bon coup de chiffon n’a aucun effet. Qui en est responsable ? Je n’en sais rien. Je ne crois pas que cette pipe ait pu sortir dans cet état des locaux de BC. Du moins, je l’espère. D’autre part, je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire chez le commerçant pour aboutir à une finition tellement inacceptable. Je continue l’examen. Je constate quelque chose de typique pour les françaises : en regardant de près, on découvre une surface couverte de microgriffes. Cela est dû à un manque de polissages consécutifs avec des papiers de verre de plus en plus fins. Normal pour une industrielle bon marché. Ca demande bien sûr du temps. Inadmissible pour une fait main de $500. Je découvre également plusieurs « sand pits », ces petits points noirs, cicatrices de la vie souterraine de la bruyère. Je ne suis pas surpris puisque le commerçant avait eu l’honnêteté de le mentionner dans sa description. Ce qui me surprend davantage, c’est qu’un plateau pareil avec plusieurs petits défauts visibles puisse être gradé Collection 4 étoiles. En Italie, au Danemark ou en Allemagne, cette bruyère n’aurait jamais, mais alors jamais été qualifiée d’exceptionnelle. Elle aurait été, au contraire, jugée de qualité moyenne.

L’intérieur du foyer est vierge et a été poli, ce qui n’empêche pas que dans le fond on voie clairement des traces d’outils. Un détail, je l’admets. Le poids et l’équilibre de la pipe sont OK, sans plus : pour son volume, c’est une pipe ni particulièrement lourde, ni particulièrement légère. Le tuyau a l’air bien exécuté : il paraît moins épais que ce qu’on voit d’habitude sur une pipe française. Cette impression se confirme quand je le mets en bouche : la lentille a une forme agréable et efficace et le bec est confortable, mais sans atteindre le niveau d’un bec de Barbi ou de Maenz.

Intérieur / Exécution technique

Avant de démonter la pipe, je procède au test de la chenillette : ça passe de la lentille au foyer sans problème. C’est ma toute première française courbe qui passe le test. Hourra ! Ceci dit, en entrant la chenillette par la lentille, je sens que l’ouverture est très étroite. Je démonte donc la pipe et je regarde à l’intérieur du tuyau. L’ouverture dans la lentille est rectangulaire et vraiment trop étroite à mon goût. En plus, derrière on voit l’arrivée du passage d’air : un simple trou d’un diamètre de 1,5mm. Ca ne peut jamais marcher. Je remonte donc le tuyau et j’aspire. Ca se confirme : cette pipe ne tire absolument pas comme il faut. Je serai donc obligé de tirer dessus comme un forcené, ce qui fera monter la température et ce qui causera probablement de la condensation. En plus le tabac ne pourra pas développer convenablement sa saveur. Manifestement les pipiers sanclaudiens continuent à refuser d’admettre ce qui est pourtant une évidence : un passage d’air bien ouvert fume beaucoup mieux.

Le floc n’est pas conique et présente une ouverture d’un diamètre de 3,5mm. Je mesure sa longueur, puis je compare avec celle de la mortaise : il y a un hiatus de 3mm, source potentielle de condensation. En regardant dans la mortaise, je trouve dans le fond un trou énorme avec un diamètre de 5,5mm ! Donc on passe de 5,5mm dans le fond de la mortaise à 3,5mm dans le floc ! Pourquoi ces 5,5 mm ? Aucune idée. En tout cas, je constate également que ce sacré trou n’est pas percé au milieu, ni d’ailleurs le passage d’air de 3,5mm qui va du fond de la mortaise au foyer. Ce passage d’air débouche bien au milieu du foyer, mais visiblement trop haut. Je pourrai donc oublier de fumer mon tabac jusqu’aux dernières miettes.

Bref, l’exécution technique est très décevante. Telle que cette pipe m’est parvenue, il est tout simplement exclu qu’elle fume bien. Pour cela l’air ne circule pas assez librement. Etonnant pour une pipe de plus de $500.

Fumage

Je sais déjà que je serai forcé de sortir mes vrilles et mes limes, mais je décide de tester d’abord la pipe dans l’état où elle m’a été livrée. Sait-on jamais, n’est-ce pas. Je la bourre donc de Blackwoods Flake et je l’allume. Après quelques minutes, j’abandonne. Je ne me suis pas trompé : sans modifications, ce truc est infumable.

J’ouvre donc l’ouverture dans la lentille tout en lui donnant une forme ovale. Je lime également l’intérieur de la lentille en V. Puis je rends le passage d’air plus large, mais sans préalablement redresser le tuyau. Je travaille donc avec une petite lime flexible. A la fin, quand j’aspire, l’air circule mieux, mais ce n’est pas encore optimal. Nouveau test tout de même. A nouveau avec du Blackwoods Flake âgé de 2 ans. Ca va mieux, mais ce n’est pas encore tout à fait ce qu’il faut. Je dois encore tirer trop souvent sur la pipe pour la garder allumée et la respiration de la pipe ne me convient pas encore. Ce qui me frappe également, c’est un goût fort amer du début à la fin et qui rend méconnaissable la saveur de ce grand tabac. Même dans le dernier tiers, le tabac ne se met pas à chanter et ses sucres demeurent cachés par cette amertume. Quand je vide la pipe refroidie, je trouve dans le fond du foyer du tabac qui n’a pas brûlé. C’était à prévoir. Bref, une expérience très décevante.

Je décide d’ouvrir le floc et de limer un peu plus le passage d’air dans le tuyau. Maintenant je suis plus satisfait quand j’aspire à travers le tuyau. Nouvel essai, cette fois-ci avec mon burley préféré, Edgeworth Sliced. Pas d’amélioration et à nouveau cette amertume. Toujours décevant. Ca doit être la tête. J’aspire donc à travers la tige et je juge que le passage d’air n’est pas assez large. Je refais donc le perçage avec une vrille de 4mm. Je commence à me demander si le pipier qui a taillé cette pipe, serait prêt à partager avec moi son salaire. Ce serait la moindre des choses, je trouve que je l’ai bien mérité. Soit. Troisième essai, maintenant avec du semois. Enorme différence. La pipe se fume facilement, respire naturellement et ne demande pas d’effort : elle reste allumée sans qu’on doive sans cesse tirer dessus. Le goût se développe mieux, l’amertume est en train de disparaître. Il y a de l’espoir.

Quatrième fumage, toujours au semois. Ca y est, la pipe est domptée, elle se rend. Fumage facile et agréable. Je retrouve le goût de semois Windels que j’aime tant. Veni, vidi, vici.

Conclusion

Il s’agit d’une pipe qui se vend au-delà de $500. Avec cette somme-là on peut facilement s’offrir deux pipes de Roland Schwarz ou de Marco Biagini par exemple. Ou une petite collection de Ligne Bretagne. Ou on peut s’offrir une pipe d’un maître danois ou allemand. Ou une vraie Talbert. On a l’embarras du choix. Pour dépenser $500 à une pipe dont la finition est inacceptable dans cette fourchette de prix, dont la bruyère n’est pas particulièrement belle et dont l’exécution technique est tout simplement scandaleuse, il faut être un malade mental. Ou un fan inconditionnel de la pipe nationale. Ou quelqu’un qui aime le bricolage. Mais dans ce cas-là, je recommanderais d’acheter plutôt un kit. Mark Tinsky en vend pour $23.