Tabac Ennemy du chagrin,
Plante que Bacchus a semée,
Amy sociable du Vin
Qui rend la débauche animée,
Qui fournit le contre poison
Aux maux que nous fait la raison,
Qui change les soins en délices,
Qui guérit les cœurs abattus,
Et qu'on met au nombre des Vices
Malgré de si rares vertus !
Tabac mon unique Élément,
Que tes vapeurs divertissantes
Suspendent agréablement
Mes affaires les plus pressantes :
Quand je fume tous mes soucis
Dans un moment sont adoucis,
Qu'on fasse la paix ou la guerre,
Que nos vins soient chargez d'impôts,
Qu'il ne croisse rien sur la terre
Ma pipe me met en repos.
Bien loin de penser aux affaires
Je prends plaisir à voir rouler
Les ondes que je fais couler :
Bery orge des biers si grands
Qu'encor qu'ils ne soient qu'aparens
J'y trouve de vrais avantages :
Quelque fois j'y crois voir le Roy
Descendre en de pompeux nuages
Pour me donner un grand employ.
Ha! qu'il est doux, le Ventre plein,
Prenant de fantasques postures,
De repasser la pipe en main
Dans son esprit mille avantures :
Les sourcils à demy froncez
On songe aux accidens passez
Pendant que la pipe s'allume,
Et dans ce muet entretien
Il semble deslors que l'on fume
Que l'on n'a plus besoin de rien.
Il plaît en mer comme à la ville,
Que feroit-on sur un tillac
Si l'on y manquoit de Tabac !
En tout, partout il est utile,
Tous les soldats, tous les oisifs,
Tous les tristes speculatifs
Mourroient dans leur melancolie,
S'ils n'avoient pas cet entretien :
Quand ce seroit une folie
La Sagesse fait moins de bien.
Fortune, amour, tous vos revers
N'ont plus enfin rien qui m'excite,
Je ne veux chanter dans mes vers
Que le Tabac et son merite :
C'est mon foible, il faut l'avoüer,
Mais lors que voulant le loüer
Ma muse n'est pas animée,
Mon amour plus Ingenieux,
Me le fait reduire en fumée
Pour le porter jusques aux Cieux.