Que du vieux tabac

par G.L. Pease, traduction de monsieur X

03/05/10

Le vieux tabac est un produit étonnant. Je veux dire, du tabac vraiment vieux, des boîtes anciennes desquelles parlent les gens et pour lesquelles il déboursent des sommes astronomiques. En ce moment, la plupart d'entre nous stockent des boîtes de nos mélanges favoris pour le temps qui nous reste et, bien sûr, nous devrions continuer à le faire pendant que nous poursuivons l'exploration du plaisir de connaître des tabacs en leur prime jeunesse et à différents degrés de leur développement. En fait, certains apprécient le plus leur fumée lorsqu'elle encore en pleine possession de l'exubérance de la jeunesse, et quelques tabacs semblent se prêter particulièrement bien à la dégustation quand ils sont jeunes.

Je parle de quelque chose de différent, cependant. Je parle de ces vieux mélanges distingués, depuis longtemps indisponibles; ces merveilleux et révérés tabacs qui ont séjournés sur des étagères poussiéreuses pendant des décennies, gisant dans l'attente, un peu comme des capsules temporelles hermétiquement closes contenant quelque chose de nos passés à la fois collectif et individuel. Il y a bien plus dans ces vieilles boîtes que seulement de la vieille herbe.

Il y a quelques mois, j'ai participé à un week-end de fumeurs en compagnie d'une poignée d'amis. Nous avons tous apporté des tabacs de nos caves, pour les partager et en parler. Ma principale contribution fut une vieille boîte de 200 grammes de Balkan Sobranie, probablement du milieu des années '70.

La boîte avait été extraite d'une caisse de tabacs de la même époque, alors que j'étais occupé à essayer de faire un peu d'ordre dans ma cave. Quand je l'ai découverte, l'étiquette montrait de ces sales petites taches brunes qui indiquent la présence de rouille superficielle sur la boîte au-dessous d'elle. J'effectuai mon rituel habituel de test hystérique non-destructif – agiter la boîte, la presser gentiment, tapoter le dessous et le dessus, toucher doucement les taches de rouille – pour essayer de déterminer si le contenu pouvait encore être en bon état, ou si la rouille avait perforé la boîte des années auparavant, les trous en résultant transformant le contenu en quelque-chose d'à peine plus de valeur que de la poussière de momie à l'odeur de tabac. Les choses semblaient en ordre, et je décidai que ce serait un bon candidat pour partager avec mes potes durant le week-end plein de fumée qui se profilait. Je déterrais quelques autres trucs comme secours, pour le cas où tous mes tests auraient donné un pronostic erroné.

Quand finalement j'arrivai à la petite fête, après des heures de bisbilles avec beaucoup trop de conducteurs sur des routes sur de trop petite routes, il fut tout de suite évident que n'importe quel tabac que j'avais amené serait en très bonne compagnie. Il y avait un assortiment étourdissant de vieux et de récents mélanges, tous prêts à être reniflés, discutés, et fumés. Il y avait des trucs dont je n'avais jamais entendu parler, et plus encore dont j'avais entendu parler, mais jamais fumés. Bien que le Balkan Sobranie ait été un tabac de légende, j'espérais qu'il tiendrait le coup au milieu d'une telle élite. Nous allions devoir attendre. Il y avait des cigares à fumer, de la nourriture à manger, du vin à boire, de la musique à écouter, et des conversations vivantes dans tous les coins.

Finalement, tard ce soir-là, bien assis et probablement au minimum un tantinet intoxiqués, nous décidâmes d'ouvrir la boîte. Heureusement, le tabac se révéla être en parfaite condition, et délivra son magnifique arôme aux narines palpitantes de ceux assemblés autour. Le suspens était lourd. Nous nous passâmes la boîte, et plusieurs en bourrèrent leur pipe. Nous parlions à voix basse, et un curieux respect tomba sur ce qui avait été une troupe turbulente seulement quelques instants plus tôt. Cela ressemblait plus à quelque rituel hermétique d'une ancienne société secrète qu'à une bande de joyeux drilles réunis pour célébrer la fumée, la boisson et la chère.

Notre hôte était un fan de longue date du célèbre Sobranie d'autrefois, mais n'en avait plus eu depuis des années, aussi, cela serait un plaisir spécial pour lui. J'attendi pour allumer qu'il ait pris sa part. Le bonheur évident que ce tabac lui apportait fut son plus grand cadeau. Il parla de souvenirs ranimés, des endroits où il était transporté par la magie de ces fines volutes de fumée. Voilà la vraie beauté, la véritable valeur de ces vieux tabacs, je pense.

En partant, dimanche, je lui laissai le reste de Sobranie à savourer, en espérant qu'il lui ferait resurgir de nombreux souvenirs heureux. Il en eut presque les larmes aux yeux. Je ne peux qu'espérer que, dans un lointain futur, une boîte d'un de mes mélanges apportera pareil bonheur à quelqu'un, que je sois encore là ou non pour le partager avec eux.