l'Odyssée d'un tabac

par G.L. Pease, traduction de monsieur X

28/02/11

Sur un forum en ligne, Paul a écrit “Selon des commentaires, ici et là, laisser une boîte de tabac en plein soleil dans la voiture pendant un jour de canicule accélère le processus de vieillissement”. Je suis navré de devoir dire que c’est incorrect et, qu’en fait, nombre de bons tabacs pourraient même s’en trouver ruinés, à tout le moins pas aussi bons qu’ils le devraient, ceci en tant que conséquence de cette “technique”.

Récemment, un ami m’a fait parvenir un échantillon non étiqueté de quelque-chose, me demandant ce que j’en pensais. Je n’ai pas été très impressionné. Je le trouvai trop doux, mal équilibré, manquant de vie et, surtout, plutôt en une seule dimension. Je lui écrivis, identifiant ce que je pensais se trouver dans ce mélange, et partageant mes impressions, expliquant que ce tabac avait un goût comme s’il était éventé. Sa réponse ? “C’est du Odyssey de 2001, mon gars”. Quoi ? J’avais au moins identifié les composants correctement. Mais qu’était-il arrivé à ce tabac que je connaissais si bien ? Kubrick était-il revenu d’outre-tombe pour faire joujou avec l’Odyssey 2001 de mon ami ? [Oups, désolé… -glp]

Je trouvai dans ma cave une boîte de la même année et l’ouvris, pour trouver un tabac très différent. Alors que le sien était mort et plat, le mien était encore bien vivant et exubérant. Alors que le sien était presque submergé par la douceur, le mien avait une adorable complexité et un excellent équilibre. Il manquait au sien cette superbe étincelle que les tabacs commencent à avoir après environ cinq ans, alors que le mien pouvait tenir compagnie au Bootsy Collins et au Parliament. Ils étaient comme deux tabacs très différents.

En discutant avec lui, ce qui était arrivé apparut clairement. Par inadvertance, il avait tué toute vie dans son tabac. Telle n’était pas son intention, mais il l’avait fait. Il avait stérilisé ses bocaux, mis le tabac dedans et les avait refermés pendant que tout était encore propre et chaud. Cette relativement petite différence, des années auparavant, avait eu comme résultat une énorme différence aujourd’hui. Tout ce truc de vieillissement est un tout petit peu plus complexe que la plupart d’entre nous ne le pensent.

Il est très populaire parmi les fumeurs de pipe de faire cuire le tabac sur la plage arrière de la Chevy, le mijotant en plein soleil, quelquefois pendant des jours ou des semaines. Je suis au regret de dire que le meilleur usage de ceci convient comme base lyrique infâme pour une mauvaise chanson de country, et non pour finalement savourer de bons tabacs. L’effet à court terme peut, en fait, être souhaitable, mais le dommage à long terme peut être très réel, et vous ne saurez pas à quel point avant qu’il ne soit trop tard, ainsi que mon expérience avec l’Odyssey de mon ami le démontre. Il n’y a pas de chirurgie plastique qui puisse restaurer la vibrante énergie d’un vieux tabac, non plus. Le temps est irréversible. Mais que se passe-t-il ?

Cuire le tabac en plein soleil, dans le four ou le fait-tout le modifie. Ca va augmenter l’intégration des différents tabacs en un tout plus cohérent, par le simple fait de l’augmentation de la pression de vapeur des produits chimiques volatils qui donnent au tabac son odeur et son goût. Ca ressemble tout à fait à cuire de la soupe pendant des heures ; après un certain temps, tous les goûts commencent à se fondre, et il devient de plus en plus difficile d’en identifier les composants. Mais il y a d’autres changements qui se produisent. Dans le cas des mélanges, les changements peuvent ne pas se faire pour le mieux, ainsi que mon expérience avec l’Odyssey de mon ami le démontre.

Il y a de nombreux processus biologiques et chimiques en cours dans ces boîtes, certaines simultanées, d’autres successives, le produit final d’une réaction servant de base pour démarrer la suivante. Augmenter la température va accélérer les taux de ces réactions, mais pas nécessairement de façon linéaire. Certaines réactions vont s’accélérer plus que d’autres, aussi l’équilibre de ce qui se passe dans ces petits laboratoires hermétiquement fermés peut-il changer fortement avec des températures plus élevées. Aux températures normales des habitations, ou environ, nous savons assez bien ce qui va se passer, sur la base de l’expérience, mais quand on en arrive au point où des humains ne se sentent plus à l’aise, les choses peuvent vraiment changer.

Ceci ne veut pas dire que chauffer du tabac soit toujours une mauvaise chose. Passer du pur virginia au four, par exemple, peut transformer un tabac monodimensionnel en quelque-chose de beaucoup plus intéressant. Mais lorsqu’on s’occupe de mélanges, il y a plus de choses en cause, et certains tabacs ne veulent juste pas être cuits. Aussi est-il important de comprendre que ces méthodes de “cuisson” ne sont pas un substitut au vieillissement, non plus que le lent et véritable processus de vieillissement est accéléré par ces méthodes, bien qu’il puisse certainement être modifié d’une manière irréversible. Vous ne mettriez pas une bouteille de vin au four pour la faire vieillir, ou bien ?

Je vous prie de me pardonner toute impression d’arrogance, ici, mais, en tant que blender, si je voulais qu’un mélange soit cuit, je le ferais avant sa mise en vente. Comme je l’ai mentionné, il peut y avoir des avantages à toaster, enfourner, rôtir et poêler des tabacs, mais ces sortes de processus doivent être effectués de façon précise, d’une manière contrôlée, et avec le produit fini à l’esprit. Ce n’est pas comme mettre une pièce de viande à la rôtissoire ou réchauffer du jambon.

Bon, je l’ai déjà dit, et je vais le redire. Le tabac devrait être stocké dans un endroit frais. Pas dans la malle arrière de la Nash Metropolitan (voiture, ndt) de votre grand-mère, pas au-dessus du chauffe-eau, pas derrière cette porte dans le Wedgewood dont personne ne sait exactement à quoi elle sert. Des températures en-dessous de 27°C vont bien, mais si elles vont trop au-delà de ça, et plus particulièrement si elles sont sujettes à de grandes fluctuations, attendez-vous à des déceptions, quelques années plus tard. Je crains que bien plus de mélanges puissent souffrir de températures excessives qu’en tirer profit.

Je réalise que ceci va en arrêter quelques-uns, et il pourrait bien y avoir d’heureuses surprises, dans quelques années, qui me pousseraient à ravaler mes paroles. Cependant, mon expérience dans ce domaine n’est pas très positive, et ne vaut-il pas mieux jouer la sécurité, relativement à cet investissement considérable que nous faisons dans nos caves à tabac ? Aussi, si vous voulez le cuire, prévoyez de le fumer juste après. Si vous visez le long terme, gardez ces boîtes au frais et soyez patient. Après tout, cinq années ne sont pas si longues, par rapport au tout.