Depuis quelques années, cette petite Charatan Special était restée cachée dans sa boîte, se sentant mal à cause de son tuyau cassé. Elle avait un de ces tuyaux particuliers, Charatan Double Comfort, et il avait été coincé dans la boîte à gants, ou quelque-chose comme ça, et cassé juste à la jonction entre le premier et le deuxième rétrécissement. Pour être honnête, je n'ai jamais vraiment aimé ce genre de tuyau. Ca m'a toujours semblé être un effort supplémentaire pour tenter de résoudre un problème qui n'existe pas. Le résultat est un tuyau qui n'est pas particulièrement confortable, ni particulièrement joli, et l'enlèvement d'autant de matière le rend manifestement plus fragile à la jonction du deuxième diamètre (pour ceux qui ignorent ce qu'est un tuyau Double Comfort, il s'agit d'un tuyau saddle, taillé assez plat, avec une portion plus fine juste derrière la lentille, là où le fumeur mord, et une section plus épaisse pour rééquilibrer le saddle).
Je connais Georges Dibos depuis un moment, et j'étais très content de savoir qu'il lançait une affaire de restauration de pipes, Precision Smoking Pipe Rejuvenation & Repair. J'ai toujours été impressionné par ses connaissances et son attention apparemment fanatique pour les détails. Nous avons parlé de la ligne et de la forme, de restauration et rafraîchissement, de l'importance, quand on remplace un tuyau, de ne pas abîmer la tige originale. Nous avons discuté à propos de passage d'air et de formes de tuyaux, et des différences entre acrylique et vulcanite, et d'un tas de variables subtiles que la plupart des gens ne remarquent même pas, mais qui font une nette différence dans le résultat final. Il parla assez bien; quelle meilleure façon de voir ce qu'il pouvait faire que de lui envoyer une pipe à réparer. La petite Charatan serait la première en lice. Elle avait besoin d'un nouveau tuyau, et elle en aurait un. Je l'envoyai.
Comment ça a marché? Tout d'abord, permettez-moi de faire une petite digression. C'est facile de faire remplacer un tuyau. On envoie la pipe, le réparateur prend un tuyau moulé qui ressemble à celui d'origine de la pipe, le coupe à la bonne longueur, taille un tenon à un bout et tourne le tuyau pour qu'il corresponde à la pipe. C'est un peu plus compliqué que ça, mais en gros, c'est comme ça. C'est la dernière étape qui m'a toujours posé problème.
Quand un pipier fait une pipe, le tuyau et la pipe sont pour ainsi dire faits comme un tout. Ils sont usinés ensemble, et donc, une continuité est assurée. Quand il faut remplacer le tuyau, la plupart des réparateurs vont faire quelque-chose de semblable – tourner la tige et le tuyau ensemble jusqu'à ce qu'ils soient de niveau. Il va ensuite repolir le bout de la tige pour que ça joue, et la pipe est déclarée réparée. Peut-être que ses marquages ont un peu souffert de l'opération, mais au moins elle est redevenue fumable, et paraîtra acceptable, sauf aux yeux les plus critiques.
Je suis un peu plus exigeant. Réellement, je ne veux pas que la tige soit poncée par quiconque autre que le type qui l'a fabriquée. Je refuse que du bois soit enlevé, ou les marquages estompés. En d'autres termes, je ne veux pas voir ma pipe modifiée pour être adaptée à un nouveau tuyau, mais je veux que le tuyau soit taillé pour correspondre à la pipe (à une petite exception près, dont il sera question dans un autre article). Il semble que peu de types puisse le faire bien, à tout le moins pas rapidement, et pas pour un prix raisonnable. Quand j'ai appris, au cours de nos conversations, que George pouvait faire les deux, et relativement vite et à bon marché, je décidai de tenter le coup. Et la pipe partit.
Quand il la reçut, il m'envoya une note à propos de quelques autres problèmes que la pipe avait, me demandant si je souhaitais les corriger. Il y avait quelques bosses autour du fourneau qu'il pensait pouvoir réduire, et la garniture était pleine de crasse accumulée avec le temps. Oui, bien sûr. Faites ce que vous pensez être nécessaire. Il parla ensuite du tuyau lui-même. Je lui dis vouloir un acrylique, bien ouvert pour un bon tirage, ajoutant que du moment que ça ne serait pas un original, et étant donné que la pipe avait peu de valeur de collection, il pouvait même être superbe. Je lui demandai un profil légèrement conique, plutôt que le saddle d'origine. En outre, faites ce que vous estimez juste ou nécessaire.
Il se mit au travail, et j'arpentai le plancher. Assez vite, quelques jours plus tard, je reçus un e-mail avec des photos et une description de ce qui avait été fait à la pipe. Après avoir nettoyé la crasse de la garniture, à l'aide de lunettes grossissantes d'horloger et d'un grattoir qu'il avait fabriqué spécialement pour cette pipe, il avait trouvé que la finition à l'intérieur des rainures était inégale. Il l'avait retouchée avec de petites brosses (vrai? Je ne l'aurais probablement jamais remarqué, car je n'ai pas l'habitude d'inspecter ces rainures à la loupe, mais lui l'avait fait). Il avait poncé l'intérieur du fourneau à l'épaisseur d'une carte à jouer, nettoyé la pipe à fond, légèrement retouché le fond de la mortaise (ses propres termes), vraisemblablement le tenon jouerait ainsi parfaitement, et alésé le passage d'air.
Il tailla ensuite un magnifique tuyau en col de cygne, réminiscence de ceux de l'époque des Dunhill patent CK, et ajusta son passage d'air à celui de la tige. Il expliqua que la pipe était modérément ouverte, en raison de la petite taille du fourneau conique et à la courte longueur globale de la pipe. Il était clair qu'il avait envisagé la pipe comme le tout qu'elle est, plutôt que d'appliquer quelque formule rigide et dogmatique (j'ai toujours prétendu qu'il n'y a pas qu'un seul et unique diamètre de passage d'air qui va fonctionner de façon optimale pour toutes les pipes, mais que chacune doit être prise organiquement, en considérant la pipe entière. A l'évidence, George comprend ceci).
Pour finir, il avait appliqué une très fine couche de cire, à ma demande. Je ne recherche pas le super brillant d'une pipe ultra cirée, mais préfère voir apparaître la patine, et elle le fait. Superbement.
La pipe est de retour dans ma main, pour sûr, et je peux dire que je suis plus que satisfait du travail. Elle fume mieux que je ne peux m'en souvenir, et elle est certainement plus agréable à l'œil. Il a réussi à donner un peu de grâce et d'élégance à cette petite chose boiteuse, sans qu'elle perde de son charme, et l'invisible boulot interne qu'il a effectué fonctionne, c'est clair.
Des pipes que je lui ai envoyées, c'est celle qui lui a demandé le moins d'efforts. Dans les prochains épisodes, je parlerai de quelques défis plus ardus que je lui ai confiés, tous exécutés avec habileté et rapidité.
Rien que du bon.
Il y a quelques années, j'ai acheté à Trever Talbert une paire de magnifiques Princes, une lisse et une sablée. C'étaient des pipes de sa Ligne Bretagne; des pipes d'excellente qualité, faites à partir de vieilles têtes tournées en fabrique après-guerre, équipées de tuyaux modernes et finies par Trever et sa charmante épouse, Emily "selon les mêmes concepts techniques et la finition méticuleuse pour lesquelles les Talbert Briars sont connues". Les pipes, environ des groupes 3 Dunhill, arrivèrent, arborant des tuyaux type churchwarden, leur tige ornée de jolies bagues en cuivre. Elles étaient élégantes et gracieuses, et la vieille bruyère bien sèche et une excellente construction interne donnaient de très bonnes caractéristiques de fumage, nettement dans les standards posés par Trever il y a quelques années avec sa propre ligne artisanale Talbert Pipes.
Le seul problème était que je ne m'en approchais que rarement. Les tuyaux étaient trop longs pour un cure-pipe normal, et leur longueur mettaient le centre de gravité trop en avant pour une prise en bouche confortable. Je conçois la prince, particulièrement une petite, non comme une pipe de lecture à tenir en main, mais comme pipe facile à fumer et confortable, spécialement en se promenant ou en travaillant. Aussi, quelque jolies qu'elles étaient, aussi magnifiquement qu'elles fumaient, ces pipes tendaient à rester sur le râtelier, plus souvent regardées qu'appréciées pour leur fonction première. C'en était une honte.
Et un jour, la lumière se fit. Je connais un gars...
J'emballais la paire et l'expédiai à George Dibos (Precision Pipe Repair) avec une courte note expliquant seulement que je souhaitais qu'elles soient transformées de Princewardens en leur forme plus traditionnelle. Vous savez quoi faire. Parlez-leur.
Georges et moi discutons fréquemment. Je savais que je pouvais simplement lui laisser les décisions esthétiques, et attendre de lui qu'il accomplisse sa magie. Ma seule demande était que les tuyaux devaient être en acrylique noir (ça m'ennuie de maintenir l'ébonite brillante). En vérité, c'est faire grandement confiance à quelqu'un. Je suis un sérieux fan de la forme Prince, et j'en ai vu beaucoup trop de déséquilibrées, ou qui présentent des ruptures dans les courbes qui rendent cette forme, quand elles sont parfaitement exécutées, si gracieuse et belle. C'est l'une de ces formes qui est horriblement difficile à faire réellement bien. Mais ces têtes étaient superbes, je savais que je ne serais pas déçu.
Quelques semaines plus tard, une photographie arriva dans ma boîte, ainsi qu'une brève note, "Est-ce ce que vous aviez en tête?". C'était la Prince sablée, rendue extraordinaire par les proportions absolument classiques du nouveau tuyau, taillé plus élégamment que toute autre Prince dans ma petite collection de cette forme. Je crois que j'ai réussi à répondre "Ouahh!". Mais ce n'était qu'une photographie. Ces choses doivent être vues, tenues en main, touchées pour savoir réellement si elles sont correctes. Et quelques jours plus tard, elle était dans ma boîte à lettres. En main, elle était encore plus belle que la photo ne le suggérait, et entre mes dents, c'était la perfection. Elégante, confortable, légère. Excellente! Mais, et l'autre ?
Je tapais une courte note: "Voulez-vous que je vous renvoie celle-ci, afin de pouvoir faire correspondre les deux tuyaux? Je voulais vraiment qu'elles forment une paire". "Pas besoin. Les têtes sont pratiquement identiques, et donc elles vont 'demander' le même tuyau. Ca semble fou, mais c'est comme ça que ça marche. Lorsque je regarde une tête seule, d'une certaine façon, elle se complète dans mon esprit. Je ferai l'autre demain". Un petit rigolo, hein? Ou quelqu'un qui parle vraiment aux pipes. J'attendis avec impatience, juste quelques jours. Cette fois, aucune photo n'annonça l'arrivée de la pipe. Que la boîte, avec ma "nouvelle" Prince lovée dedans. Voyons à quel point ce type est vraiment bon...
Je sortis le pied à coulisse, et mesurai la longueur des deux pipes pour les trouver à 0,5 mm l'une de l'autre. Tenues l'une à côté de l'autre, leurs lignes et courbes étaient appariées avec précision. La tige de la sablée a un diamètre légèrement inférieur à celui de la lisse, et donc les tuyaux ont vraiment dû être taillés individuellement. Par conséquent, ils ne sont pas identiques, mais dans le contexte de la personnalité des deux pipes, il forment une paire parfaite.
A cause du petit diamètre de la mortaise, le passage d'air n'avait pu être amené qu'à 3,5 mm, plutôt qu'à mes 4 mm préférés, dans le but de conserver assez de matière pour en assurer l'intégrité structurelle. Je peux vivre avec ça. Le passage est tout du long propre et lisse et, George me l'a dit, de section constante. Je vais le croire sur parole. Les tenons sont expertement ajustés, atteignant juste le fond de la mortaise, moins un jeu nécessaire de l'épaisseur d'une carte de visite (0,2 mm) pour permettre l'allongement et le retrait. A tous points de vue, ils sont parfaits. Une paire faite dans le Dakota du Nord.
Depuis que je les ai retrouvées, ce couple Princier a été fumé plus que pendant toutes les années précédentes où je les ai eues. Le tirage est facile et idéalement adapté à la taille du fourneau, et le goût de ce vieux bois est délivré avec aisance. Je ne pourrais pas être plus heureux avec ces pipes, maintenant, non plus qu'avec l'excellent travail de George.
Ce gars est vraiment bon.