Des chiens qui mordent

par G.L. Pease, traduction de monsieur X

08/11/10

J’entends souvent parler de tabacs qui brûlent, mais cette qualification est rarement appliquée à une pipe, et pourtant, elle peut être méritée. J’ai eu des pipes capables de prendre le tabac le plus doux du monde et de le rendre infumable, transformant sa fumée en une version buccale de la fusion d’un réacteur nucléaire sur ma langue. Aucun culottage de ces pipes ne les a jamais guéries de leur mauvais caractère. Bien sûr, il y a des tabacs qui peuvent transformer la pipe la plus douce en fournaise éternelle de Lucifer, et nous avons tous eu affaire avec un ou deux de ceux-ci mais, rarement une pipe est critiquée pour son caractère «mordant». C’est toujours le tabac.

Qu’est-ce donc ? Voulons-nous désespérément croire que la bruyère n’est que de la bruyère, qu’une pipe n’est juste qu’une pipe, voulons-nous abandonner l’éventualité que nos fourneaux bien-aimés pourraient causer quelque-chose que nous aurions plutôt tendance à attribuer à ce que nous y fumons ?

La bruyère est un matériau organique, naturel. Elle pousse dans de dures conditions, et est sujettes aux attaques de la nature. Quand un broussin est extrait de la terre, coupé en morceaux, bouilli pendant des heures, séché, mûri, et finalement façonné en une pipe, nous espérons qu’il a réussi à conserver ses meilleurs côtés, alors que les agressifs sont partis avec l’eau du bain. Mais, parfois, espoirs et attentes ne suffisent pas.

Les plus grandes fabriques ont l’avantage du cash à leur disposition. Elles achètent la bruyère à la tonne et peuvent s’offrir le luxe de la laisser reposer pendant des années pendant qu’elles continuent à fabriquer des centaines de pipes chaque jour. Savinelli me vient à l’esprit. Des pipes bas de gamme et bon marché aux high grade Autographes, ces pipes semblent délivrer de façon assez constante de bonnes caractéristiques de fumages. Ce n’est peut-être pas la marque la plus prestigieuse sur le marché, mais ceux qui les aiment ne jurent que par elles, et mon expérience avec leur gamme au long des années s’est avérée excellente.

Les pipiers qui produisent peu peuvent aussi tirer avantage du temps, en sélectionnant leur bruyère avec soin et la laissant mûrir assez longtemps pour qu’une fois un bloc choisi pour être transformé en une exquise œuvre d’art en bruyère, il y a de bonnes chances pour que la pipe soit une grande fumeuse. Lorsque j’ai discuté de traitement du bois avec Alberto Bonfiglioli après avoir fumé un fantastique premier bol dans une de ses pipes, il m’a avoué ne rien faire d’autre à la bruyère que de la laisser reposer pendant 10 à 15 ans. Chaque année, il en achète, et laisse les nouvelles pièces de côté. Luigi Viprati et Paolo Becker utilisent également de la vieille bruyère, avec un bon résultat. Leurs pipes sont extraordinaires à fumer dès le début, et je crois que c’est le mûrissement, le séchage de la bruyère qui y est pour beaucoup. Il y a peut-être aussi quelque-chose du climat italien.

D’autres pipiers utilisent des traitements spéciaux pour améliorer ce que la nature a produit. Roush, von Erck, Bill Taylor, Talbert, par exemple. Chaque pipier emploie son propre traitement pour garantir au fumeur une pipe au goût magnifique, et chacun y réussit très bien.

Certains des pipiers qui produisent peu se fient à la relation avec leur fournisseur de bruyère pour augmenter la probabilité d’obtenir le meilleur bois. Ils choisissent soigneusement et sont très exigeants quant à ce qu’ils acceptent du coupeur. Ceci aussi semble fonctionner très bien pour la plupart. Peu de gens ont de mauvaises expériences de fumage avec des pipes d’aussi nobles noms que S. Bang, Ivarsson, Kent, Heeschen, Chonowitsch et Teddy.

Cependant, de temps en temps, une pipe avec un mauvais goût, qui brûle, apparaît, même chez les meilleurs pipiers. Le très grand soin apporté à la sélection et à la maturation des blocs augmente sans aucun doute la probabilité d’une pipe produisant une bonne fumée, mais la nature peut être une maîtresse cruelle.

Le problème de la pipe qui brûle peut exister le plus souvent au sein des gradées moyennes qui sont tournées assez rapidement. Stanwell, par exemple, produit environ 350 pipes finies par jour. Ils achètent des tonnes de bruyère, la choisissant et la laissant vieillir du mieux qu’ils peuvent mais, avec ce niveau de production, certains mauvais blocs peuvent se glisser au travers. J’en ai une en ce moment, un magnifique exemple de straight grain, faite à partir de ce qui semble être un excellent plateau. La construction de la pipe est presque parfaite, au niveau des hautes exigences habituelles de Stanwell. Le perçage est excellent, le tuyau très bien ajusté, et l’alignement du passage d’air est pile-poil. Le mauvais caractère de cette pipe doit être le résultat du pedigree de la bruyère elle-même.

Malgré des douzaines de bols, fumée avec soin, cette pipe ne donne pas un goût satisfaisant, elle est dure et âpre. Son goût infect domine même le mélange le plus fort en Latakia que je puisse créer. Pire de tout, même le plus doux tabac que je choisis va piquer comme une poignée de guêpes lorsqu’il est fumé dans cette pipe. Je crains fort que ceci ne puisse jamais être tempéré. Du fait que j’ai de nombreuses autres Stanwell qui sont de magnifiques fumeuses, je suis content de considérer cette pipe comme anormale. Elle va vraisemblablement se retrouver dans une boîte où elle sera ignorée pendant des mois, voire des années. Je suis sûr que je vais la retrouver, un jour, ayant oublié ses mauvaises manières depuis longtemps, et qu’une fois de plus, je serai séduit par son beau grain. Je la bourrerai de mon mélange favori, juste pour me faire mordre férocement, en punition de mon oubli.

Il y a comme ça des chiens qui mordent.