Par(is)bleu !

par Erwin Van Hove

23/07/06

Fraîchement de retour de Paris, je sens l’envie de pondre un article. Remarquez, article est un terme bien trop noble pour les quelques impressions, anecdotes et réflexions que je partagerai avec vous. Je suis sûr que vous me pardonnerez cette légèreté : une semaine de canicule m’a étuvé l’esprit.

Parlons-en, justement, de cette canicule : était-ce la raison pour laquelle Paris m’a semblé un désert pour pipophiles ? En une semaine j’ai vu dans les rues de Paris exactement une pipe. Dans la bouche d’un touriste allemand. Une bête mal entretenue et malodorante. Je parle de la pipe. Pour le reste, rien. J’avoue que moi-même j’ai fumé nettement moins que d’habitude. Il y a manifestement des températures au-delà desquelles le meilleur des tabacs ne prodigue que peu de plaisir. Cependant, j’ai activement pratiqué le ghost smoking, c’est-à-dire que je me promenais partout, à part dans les musées, une pipe non allumée calée entre les dents. Pour voir les réactions. Très peu de sympathie. De l’indifférence et régulièrement des regards réprobateurs. C’est partout pareil ces temps-ci. Ceci dit, un jour, j’étais assis sur un banc ombragé dans le Jardin du Palais Royal, quand une parfaite inconnue, assise de l’autre côté du banc, a engagé la conversation à l’instant où j’ai allumé ma Jan Harry. Elle humait les effluves de mon semois avec une satisfaction évidente. Il reste une lueur d’espoir dans ce monde où règne la folie.

Pour le reste, mes souvenirs pipiers s’articulent autour de personnages connus, parfois même emblématiques de l’univers français de la pipe. Voici donc les commentaires qu’ils m’inspirent.

Guillaume Laffly

Ben oui, notre Guillaume, le fondateur et le patron du forum et du site francophones les plus importants consacrés à la pipe. Je ne l’avais jamais rencontré et pourtant il m’était déjà familier pour m’être entretenu quotidiennement avec lui depuis plusieurs années. Il ne m’a donc absolument pas surpris. Sa physionomie, je la connaissais des photos que j’avais vues. Son articulation soignée, sa facilité d’expression, l’expressivité de son visage et de sa gesticulation, je m’y étais attendu. Ce garçon devrait être acteur, tiens. Son humour et sa gentillesse, j’en avais eu d’innombrables preuves dans ses courriels. J’en ai eu de nouvelles quand il s’est montré un invité charmant envers la bande de néerlandophones avec laquelle il s’est retrouvé à table et qui avaient du mal à suivre son français débité à un rythme dont ils n’avaient point l’habitude, et quand il a eu la bonté de s’extasier devant le repas pourtant fort rustique. En tout cas, la soirée fut agréable et la conversation animée. Et je vous jure qu’en fin de compte, nous n’avons que fort peu parlé boutique. Pour tout dire, nous n’avons fumé qu’une seule pipe. Mais j’avoue que nous avons compensé cet accès de sobriété par maints flacons.

Rakel van Kote

Pendant mes précédents séjours à Paris, je n’avais jamais pris la peine de visiter un des célèbres magasins de pipes. Cette fois-ci je m’étais promis de passer au moins à La Pipe du Nord et à L’Oriental. Surtout à l’Oriental. Malgré les nombreux témoignages que j’avais entendus sur le côté bazar de la boutique, je fus quand même étonné par le capharnaüm que je découvris en arrivant devant les vitrines de Dame Pipe. Une fois rentré (pas facile !), j’étais carrément bouche bée devant un désordre aussi impressionnant.

Apparaît alors la propriétaire, personnage haut en couleurs, cela se remarque d’emblée. L’accueil est correct, sans plus. Elle doit me prendre pour un touriste curieux mais pas vraiment intéressé. Je lui explique que je cherche de belles sablées et des lisses à œils-de-perdrix. Elle me sort une Dunhill, deux Ashton, une Viprati, une Anatra, aucune française. Rien de passionnant. Elle me chante les louanges de Castello, le " top absolu ". Je relativise ses propos, elle ne semble pas trop apprécier. Je démonte une pipe. Immédiatement, elle m’arrête : je ne tourne pas dans le bon sens. Ah bon. Je lui demande si c’est peut-être un système à vis. Non, non, mais pour ouvrir une pipe, il faut tourner de droite à gauche. Elle persiste et quand je proteste, me jette un regard qui en dit long. Comme il est évident que les pipes qu’elle a sorties ne me plaisent pas outre mesure, elle me demande si je m’intéresse à de vieilles pipes. Oui, bien sûr. Elle me sort une boîte avec des estates vraiment bas de gamme. Pourtant une petite bullcap sablée me plaît bien. Je demande le prix. Faramineux. Invendable à quelqu’un qui connaît le marché de l’estate. J’exprime mon étonnement. La cassette disparaît. Elle doit se dire qu’elle a jeté des perles aux pourceaux.

Je vais prendre congé quand soudain je remarque une petite pancarte " Philippe Bargiel ". Je lui demande donc si elle en a. Oui, une seule. Elle se trouve dans la vitrine, ensevelie dans un tas de bruyères quelconques. C’est une grosse droite, entre une yachtsman et une dublin, avec une tige très volumineuse et un tuyau en imitation ambre. Je la trouve plutôt moche. En plus, la surface est abîmée, mais Rakel s’empresse de dire que le prix le reflète. C’est vrai. A ce prix-là, je veux bien essayer une Bargiel et son fameux blanc de baleine. J’examine donc la pipe de plus près. Pas d’écrin. Aucune nomenclature. Un perçage qui débouche sous le fond du foyer et qui creuse une sorte de canal dans tout le fond du fourneau et qui laisse même des traces sur la paroi d’en face. Bizarre, ça. Je démonte le tuyau. Pas de vis en buis ni en os, mais du plastoc. Le perçage dans ce floc fait 2mm. Je regarde la lentille : pour toute ouverture, il y a un point d’aiguille. Ca doit faire autour d’un millimètre ! J’essaie le tirage. C’est bien évidemment la cata. J’explique à Rakel que ce perçage ne peut jamais marcher. Elle essaie de me convaincre du contraire et elle m’assure que Bargiel est une légende et sait parfaitement bien ce qu’il fait. Je sors donc ma rengaine sur les perçages 4mm et les ouvertures de la lentille en V. En vain. Il est clair qu’elle me prend à la fois pour un farfelu et un hérétique mal informé. Bon, il est temps de montrer mes galons. Je laisse tomber quelques noms de revues et de personnes. Quand elle entend un certain nom, elle me regarde soudain d’un autre œil. Dorénavant la conversation sera beaucoup plus chaleureuse, d’autant plus qu’elle découvre que nos noms de famille se ressemblent et que je travaille dans la communauté juive d’Anvers. Rakel finit par me proposer d’emmener la pipe le soir même chez Bargiel et de lui demander de refaire le perçage.

Le lendemain je retourne au magasin pour inspecter la pipe. L’ouverture reste ronde, mais tout le passage d’air a été bien ouvert. Rakel est ravie que je sois satisfait et tout au long de la conversation se montre accueillante, serviable, passionnée et d’un charme désarmant. Elle me fait d’ailleurs un prix et glisse plusieurs petits cadeaux dans le sac qui contient ma pipe. Et avant que je ne sorte, elle m’offre un CD. Parce que cette pasionaria de la pipe est également chanteuse ! Quand enfin je suis prêt à partir, elle me fait des compliments sur ma famille et particulièrement sur mon fils qui la veille m’avait accompagné et qui de temps à autre fume la pipe. Si elle savait que mon fils m’avait avoué qu’au lieu de regarder les pipes, il s’était surtout intéressé au décolleté de la patronne… Ah, les jeunes !

Philippe Bargiel

Me voilà donc devenu le fier propriétaire d’une écume de Bargiel. Je suis vraiment curieux : je connais bien sûr le goût des turques contemporaines et des écumes antiques, mais je n’ai jamais goûté une écume neuve traitée au blanc de baleine. Avant de l’allumer, je l’examine encore une fois. Le montage est bien exécuté, mais le tuyau n’est pas vraiment confortable. Autre chose qui me frappe : le poids. On entend tout le temps que les meilleures écumes sont très légères. Si c’est vraiment le cas, celle-ci ne doit pas être particulièrement bonne : 80g pour un volume de Dunhill groupe 5 ou 6. Et puis, la surface ne cesse de m’étonner et je ne parle pas du défaut susmentionné. En vérité, la surface entière est tout sauf lisse, comme si la pipe n’a pas été suffisamment polie. Même à l’œil nu on voit facilement plein d’inégalités. Je n’ai jamais vu de pipes turques ayant ce défaut. Etonnant que le soi-disant plus grand perfectionniste de la pipe en écume livre un travail pareil. Quand enfin je l’allume après l’avoir bourrée au latakia, j’aspire des miettes de tabac. Pas étonnant avec ce style de perçage. Je me demande ce que ça aurait donné si je n’avais pas fait ouvrir le passage d’air. Un blocage, c’est évident. Le premier quart d’heure, je ne suis pas du tout impressionné par le goût de la pipe. Un goût de vieux comme disait Simenon. Puis ça s’améliore. Les fumages suivants sont bons, parfois même très bons, mais le blanc de baleine ne me fera jamais oublier le goût d’une excellente bruyère. Je remarque par ailleurs que la pipe tend à chauffer à la fois plus qu’une bruyère et que ma Fikri Baki, mon écume préférée. Je constate également que la pipe accumule énormément de crasse derrière l’endroit où le floc visse dans le tuyau. Un grand désavantage parce qu’il me faudra démonter à chaque fumage le tuyau pour un nettoyage et je me demande après combien de temps la vis en plastic s’usera. A voir. Conclusion : une écume respectable que je me devais d’avoir essayée au moins une fois dans ma vie. Mais est-ce que, tel qu’on le présente si souvent, Philippe Bargiel est vraiment le maître incontesté, le Bo Nordh des écumes ? Ma pipe n’est sûrement pas faite pour me convaincre.

Pierre Voisin

Quelle coïncidence ! La veille de mon passage prévu à La Pipe du Nord, ne voilà-t-il pas que je découvre dans un forum un message du propriétaire, Pierre Voisin, intitulé Coup de gueule. Ah, les coups de gueule, je m’y connais et le message attire donc immédiatement mon attention. Je m’attends à ce que l’auteur rue dans les brancards des taxes, de la législation antitabac. Faux. En réalité, il s’en prend à tous ceux qui ont la témérité de critiquer des pipiers et il vous met en garde contre certains écrits dans certains groupes de discussion. Il est clair quel forum il vise et quel membre en particulier. Ah, ça devient intéressant, ça ! Relecture donc. Et puis non, ce n’est absolument pas intéressant : de vagues accusations, rien de concret, aucune argumentation. Mais jugez plutôt vous-mêmes :

Coup de Gueule...

Je viens d'être alerté par quelques uns de mes clients de certains écrits assez durs pour les pipiers. Je me suis donc connecté et j'ai lu de grosses BETISES.

Je tiens à m'insurger contre ceux qui semblent tout connaître et qui n'ont visiblement jamais travaillé avec leurs mains. La critique est facile mais l'art est difficile.

Avant de dire du mal des uns ou bien des autres, il faudrait peut être comparer ce qui est comparable et éviter de prendre " son pied à coulisse " à tout bout de champ et se souvenir que la main de l' Artisan n'est pas la même d'un jour à l'autre. Nous sommes tous ainsi faits, nous avons des jours meilleurs que d'autres.

Au fait je ne me suis pas présenté, je m'appelle Pierre VOISIN et je tiens boutique à Paris en tant que spécialiste, et ceci depuis cinq générations puisque c'est mon arrière Grand Père qui a fondé l'entreprise en l'an 1867.

Travaillant tout au long de la journée dans mon atelier, je pense avoir une petite expérience du tournage de la pipe et je suis toujours révolté par la critique lorsqu'elle est mal faites.

Le jour où des ordinateurs dessineront des formes de pipes et que des robots intelligents les fabriqueront n'est heureusement pas encore arrivé. Mais cela satisferait peut être ces critiqueurs tous azimuts .....!

En résumé faites attention à ce que vous lisez sur certains sites de discussions.

Pierre VOISIN

Apparemment il y a des clients qui alertent ce grand spécialiste. La pipe nationale serait donc menacée ? Ou plutôt la pipe tout court puisqu’il s’agit d’écrits durs pour LES pipiers. Cependant, j’ai la nette impression que monsieur Voisin se contrefiche éperdument des critiques qu’on pourrait faire à l’égard de disons Rad Davis, Tokutomi, Rainer Barbi ou Tom Eltang. Non, non, c’est bel et bien la bouffarde gauloise à laquelle on ne peut pas toucher.

En plus, aux dires de ce spécialiste, ces critiques, ce seraient donc de grosses bêtises. En capitales. Monsieur Voisin émet cette critique sans citer d’exemple, sans donner d’arguments. Un tir à blanc. De toute évidence, la critique ne semble pas aussi facile que ça, après tout. Et pourtant il se dit " toujours révolté par la critique mal faite ". Etonnant. Et surtout peu perspicace. Mais il est vrai que nous avons tous des jours meilleurs que d’autres…

Après la lecture de ce coup de gueule, j’ai visité le site web de La Pipe du Nord. Si on peut appeler ça un site web, mais soit. J’y ai découvert une Viprati de la série Dali dont le prix m’a immédiatement surpris : €368. J’ai donc lancé une petite recherche et je suis tombé immédiatement sur la même pipe, même modèle, même finition, sur le site web de La Pipe Rit. Prix affiché : €240. Cette Viprati est donc 53% plus chère à La Pipe du Nord qu’à La Pipe Rit. Ca m’a définitivement coupé l’appétit de me rendre à la boutique parisienne. Tant mieux. Ca m’a épargné un déplacement en métro.

En réponse à la mise en garde de monsieur Voisin : En résumé faites attention à ce que vous lisez sur certains sites de discussions, je répondrai donc par ma mise en garde à moi : En résumé, faites attention à bien comparer les prix quand vous achetez une pipe.

Pour terminer ces quelques commentaires, une dernière remarque, cette fois-ci sur les tabacs. Vous connaissez tous le choix limité dont disposent les Français. Et les Parisiens n’y font pas exception. Pendant mon séjour à Paris, il m’est par hasard arrivé de lire une interview d’Echo Hui, président du Pipe Club de Shangai et importateur de pipes en Chine. Non seulement il parle d’un marché en pleine expansion, mais il énumère également les tabacs favoris des Chinois : Dunhill, McBaren, Peterson, G.L. Pease, Cornell & Diehl, McClelland. Apparemment, le commerce du tabac en Chine est nettement moins étatisé qu’en France ou qu’en Belgique. Par ailleurs récemment Trever Talbert a fait état d’échantillons de pipes fabriquées en Chine. Son commentaire était éloquent : ces pipes étaient parmi les plus belles qu’il ait jamais vues. Il en avait le souffle coupé. Peut-être qu’un jour nous achèterons tous à l’oriental…