Haro sur les aros !

par Erwin Van Hove

13/07/15

Si, comme moi, vous suivez les échanges dans les groupes de discussion francophones dédiés à la chose pipière, vous avez sûrement dû observer un phénomène surprenant. S’il est permis de s’indigner des prix gonflés de toute une ribambelle de pipiers, s’il est bon ton d’affirmer que certaines réputations sont surfaites, s’il ne faut pas se gêner de railler les goûts immatures des Ricains qui raffolent de virginias aux odeurs de ketchup et de doucereux crossover blends, force est de constater que certaines critiques passent nettement moins bien. Faites des reproches à la pipe française et d’office une série de boucliers se lève. Dites du mal des pipes à filtre 9mm et les réactions irritées, voire indignées prouvent que certains se sentent dénigrés. Et c’est pareil pour les tabacs aromatisés : si vous avez la témérité de déclarer qu’en général ce sont des tabacs de qualité fort médiocre, bourrés de produits chimiques, vous pouvez être certain que des amateurs d’aros rétorqueront que c’est un préjugé injuste, que tout est affaire de goût et que les goûts ne se discutent pas, et que, dès lors, il est déplacé de vilipender les aromatophiles et de les traiter de fumeurs de pipe inférieurs.

Il va de soi que tout pétuneur a le droit inaliénable de fumer ce qu’il veut. Il va sans dire que le sybarite nanti qui fume du virginia 20 ans d’âge dans une S. Bang n’en tire nullement le droit de mépriser celui qui fume une Bruyère Garantie bourrée d’un drugstore blend parfumé à la vanille. Que ce soit clair. N’empêche que la vérité a ses droits. Tout comme on n’emploie pas exactement du Romanée-Conti ou du Pétrus pour faire du sangria, on n’emploie pas les herbes les plus extraordinaires pour faire des mélanges saucés ou aromatisés. Bref, je m’arroge le droit d’affirmer haut et fort qu’il y a très peu d’aros superbes et qu’il y a énormément d’aros mal faits, voire passablement infects. Voilà. Je vais même vous prouver qu’il ne s’agit pas d’une opinion, mais d’un fait.

Dans les forums, les fumeurs d’aros tendent à cultiver un complexe de caliméro en se présentant comme une minorité traitée sans grand respect par la majorité qui, pour la seule raison qu’elle préfère les bruns rustiques, les anglais virils ou les virginias subtiles, s’érige en modèle. La réalité est bien sûr complètement différente. En vérité, le fumeur de pipe archétypique fume des aros. En effet, il se vend nettement plus de mélanges aromatisés que de tabacs naturels. Les chiffres sont même effarants : dans un article, Russ Ouellette a révélé que de tous les mélanges vendus par Pipesandcigars.com, le site web américain qui fort probablement présente la plus large gamme de tabacs au monde, entre 90 et 95 pourcent sont des aros. Oui, vous avez bien lu : entre quatre-vingt-dix et quatre-vingt-quinze pourcent. D’ailleurs, loi de l’offre et de la demande oblige, le nombre d’aros disponibles sur le marché mondial est de loin supérieur au nombre de tabacs ni saucés ni aromatisés.

S’il est désormais établi que le fumeur de pipes moyen est un consommateur de tabacs dopé aux arômes, on peut supposer sans grand risque de se tromper qu’une majorité des auteurs des soixante-quatre mille commentaires publiés sur Tobaccoreviews.com ne sont pas exactement des adversaires intransigeants des infusions et des sauces, d’autant plus que les Américains ont toujours été des consommateurs enthousiastes d’aromatics. On ne peut pas dire non plus que les dégustateurs qui s’expriment sur ce site, prennent un malin plaisir à taper à coups de massue sur les tabacs qu’ils n’apprécient pas. Au contraire, l’indulgence y est vraiment de mise puisque sur les 5600 mélanges répertoriés, seulement 64 n’atteignent pas la cote fatidique de 2 sur 4. Or, une petite analyse de l’incontournable banque de données qu’est Tobaccoreviews, confirme objectivement et indéniablement mes propos exprimés ci-dessus : très peu d’aros sont vraiment excellents et beaucoup d’aros sont tout simplement mauvais.

21 tabacs obtiennent le score parfait de 4 sur 4. Parmi ces 21 mélanges, il n’y a que 2 aros, soit seulement 9,5%. Viennent ensuite 155 blends hautement recommandés qui, même s’ils ne sont pas jugés parfaits, sortent du lot puisque leur score se situe entre 3,9 et 3,6. Parmi ces 155 favoris, on ne compte que 30 aros, c’est-à-dire 19% du total.

Examinons maintenant l’autre bout de l’échelle. Malgré l’évidente bienveillance des dégustateurs, 64 mélanges sont recalés puisqu’ils obtiennent un score inférieur à 2 sur 4. De ces 64 tabacs, il y en a 52 qui sont des aros, soit 81%. Et c’est pareil quand le moteur de recherche du site vous donne la liste complète des tabacs Not recommended. Sur les 94 tabacs répertoriés, 76 ne sont pas naturels, ce qui revient encore une fois à 81%.

Conclusion ? Pourquoi en formuler une ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes et ne mentent pas. Affaire classée.