Sans blague, ce qui sort du sachet ziplock ressemble à s’y méprendre à une crotte de labrador obèse. L’étron combine le marron, l’anthracite et le noir. Pourtant le nom du White Twist n’a rien d’ironique, l’ingrédient de base étant du white burley. D’ailleurs, en découpant le twist, autrement dit le rope tressé, je découvre un cœur de couleur fauve. Pour le reste, il y a du virginia et de perique.
Après que les tabacs sont roulés et tressés, ils sont cuits au four, ce qui explique la couleur très foncée. Thomas Darasz nous promet une fumée crémeuse et ronde et des saveurs à la fois épicées, florales et terreuses avec des accents de noisette et de foin. Voyons ça.
Les rondelles que je découpe ne gardent pas leur forme. En triturant les fragments de tabac, j’obtiens facilement un mélange prêt au bourrage. Le nez est du genre discret : je sens de l’acidité et des relents rustiques de terre, de foin, voire d’étable. Mais fondamentalement, ce que je sens, c’est du tabac. Du bon tabac.
Les toutes premières bouffées suffisent pour me faire soupirer d’aise. Ça, c’est du tabac, mes amis ! Une main de fer dans un gant de velours. On sent immédiatement que la fumée a de la carrure, mais Darasz l’a rendue tellement crémeuse et pour ainsi dire nourrissante qu’elle caresse le palais et remplit la bouche d’une sensation de réconfortante opulence. C’est clairement l’effet de la cuisson au four.
Elle a également un effet déterminant sur le goût qui forme un ensemble fondu dans lequel il n’est plus possible de mettre le doigt sur des saveurs individuelles. La fumée s’exprime sur le thème du terreux, de la paille, de la croûte de pain, de l’épicé. Elle me rappelle celle des cigares au semois ou des cigares hollandais. En fait, le goût rejoint le nez : on a donc avant tout l’impression de fumer du tabac. Et de grande qualité avec ça.
Du début à la fin, la fournée se consume gentiment, sans jamais chauffer ni agresser le palais. La puissance est toujours là, mais domptée. C’est un tigre transformé en gros matou ronronnant. Certes, vers la fin la crémosité faiblit et les épices du perique gagnent en ampleur, mais même s’il change de nature, l’équilibre est sauvegardé.
Le Tom’s White Twist ne s’adresse ni particulièrement aux fanas de burley, ni aux amateurs de VA/perique. Il est fait pour séduire tout pipophile qui apprécie un mélange pure nature qui tire le meilleur parti du Nicotiana tabacum. Bref, le Tom’s White Twist arrive à sublimer l’herbe à Nicot. C’est une création parfaitement réussie d’un nouveau blender qui a atteint sa vitesse de croisière et qui n’a pas fini de nous émerveiller.
Du virginia, du black cavendish, une pincée de perique et cinquante pourcent de latakia ! Pas exactement une composition qui fait vibrer mes cordes. En ouvrant le colis contenant un royal échantillon que m’a envoyé un membre du forum, je perçois immédiatement une évidente odeur de latakia. Mais aussi une note plus subtile qui semble apporter une nuance onctueuse et crémeuse à l’herbe chypriote. En fait, ça sent la rondeur.
Le cake multicolore est souple et peu dense. Il ne faut donc pas de couteau pour préparer le tabac. En le triturant, je dois y aller mollo, sinon il risque de se transformer en tout petits fragments. Je retrouve l’odeur du colis. On est loin de la bombe à latakia. Les arômes sont au contraire doux et bon enfant, à la fois fascinants et enjôleurs. Le Moro Cake n’est clairement pas un anglais classique. Il est par ailleurs à noter qu’il ne s’agit pas d’une création de Thomas Darasz, mais de Salvatore, son employé.
Les premières bouffées correspondent aux promesses du nez. Certes, le latakia est clairement présent, mais alors qu’avec un taux de 50% de tabac fumé, on pourrait s’attendre à des saveurs sombres et empyreumatiques, ce qui frappe, c’est d’une part que le latakia s’exprime plutôt sur le cuir et le boisé que sur le fumé, et d’autre part que la fumée crémeuse véhicule des notes douces de réglisse et un petit côté fruité et gentiment épicé qui apportent à l’ensemble quelque chose de réconfortant. Voire de caressant. C’est du comfort food qui vous réchauffe les os par temps hivernal.
Certes, les dogmatiques anglophiles s’indigneront de la présence de black cavendish et considéreront le blending dans le style germano-danois comme un sacrilège, mais personnellement j’avoue être sous le charme. Combustion parfaite, excellent équilibre sucré/acide/salé, aucune agressivité. C’est tout simplement un mélange assez original, remarquablement rond, velouté, agréable du début à la fin et qui me procure un réel plaisir. Je tire même mon chapeau à Salvatore dont le Moro Cake est la toute première création.
Après 42 ans de dégustations de cinq cents mélanges, j’ai un kilomètre ou deux au tabacompteur. Fatalement ce genre d’obstiné pèlerinage sans destination à travers Terra Nicotiana a fini par me rendre un tantinet blasé. Been there, done that. Le train-train sans surprises. Mais voilà qu’en examinant le contenu du ziplock de Highland Balls, je suis bouche bée. Ca, messieurs, c’est une première. C’est du jamais vu.
Regardez la photo. Les Highland Balls, ce sont des boulettes de tabac que Thomas Darasz appelle Orient-Praline. D’accord, c’est un produit surprenant, mais ce n’est pas ça qui me désoriente en ouvrant la pochette. J’avais commandé des boulettes et je m’attendais donc à recevoir des boulettes. Or, mon sachet ne contient qu’une bonne demi-douzaine de ces balls. J’y vois surtout un amalgame de brins et de grands morceaux de feuilles non écotées. Je me demande donc à quoi ça sert de présenter fièrement du tabac sous forme de boulettes si elles se défont si facilement pendant le transport ? Frustré, je sors une boulette de la pochette pour l’examiner. Elle est ferme et solide et même quand je la roule entre mes doigts, elle garde parfaitement sa forme. Ah bon.
Recherche sur internet. Et là, je comprends. La photo ne présente pas les Highland Balls sur un lit des tabacs qui les constituent. Non, elle représente exactement ce qui est livré : quelques boulettes, mais surtout les ingrédients pour en faire soi-même. Ca alors ! Un tabac en kit. Un tabac Ikea.
Il faut pourtant nuancer. Les pralines sont faites avec un mélange de virginia et de burley en ribbon cut et en ready rubbed enroulé dans une cape de tabac d’Orient. Or, si le ziplock contient des dizaines de morceaux XXL de tabac turc, leur superficie n’est pas suffisamment grande pour en faire des boulettes telles qu’on les voit sur la photo. A la limite, on peut essayer de faire des mini-pralines, mais la façon de faire la plus simple, c’est de déchirer l’oriental afin d’obtenir des fragments bourrables et de les mélanger avec le virginia/burley.
Du coup je ne vois pas l’utilité du produit. Quand je commande des boulettes, je veux des boulettes qui contiennent exactement le mélange tel qu’il a été conçu et mis au point par le blender. Je ne veux pas par essais et erreurs tenter de reconstituer la recette d’origine. Je ne veux pas mener des expériences avec différents dosages des ingrédients. Je ne veux pas faire des mélanges au pif alors que l’art du blending est une affaire de précision.
Et puis, finalement, je me ravise : en fait, je ne veux pas de boulettes. Parce qu’elles ne servent à rien. Au contraire, elles me compliquent la vie. Un bouchon de semois est conçu intelligemment : de par sa forme conique, il se cale dans à peu près n’importe quelle pipe. On peut donc le fumer tel quel, en profitant pleinement de la recette créée par Manil. A l’opposé, une Orient-Praline n’entre dans aucune de mes pipes. Par conséquent, je suis contraint de défaire, de découper ou de déchirer les boulettes, puis d’effriter les feuilles de cape pour les rendre fumables. Or, pendant que je me bats avec les capes, elles se vident de leur contenu. Je me retrouve donc avec une pile de ready rubbed et de ribbon cut et avec de grands fragments de tabac d’Orient. Bref, là encore je risque de modifier la composition en manipulant le tabac. Plus de boulettes pour moi.
Et le fumage et le goût alors ? Quand j’écrase une praline et que je la roule entre mes doigts pour en faire un cylindre que j’arrive à enfourner, je me retrouve sur les bras avec une pipe qui tire mal. Quand je déchire une boulette en veillant à mélanger ensuite des fragments de cape avec le tabac en brins, le tirage est nettement meilleur. N’empêche que le fumage ne me procure pas grand plaisir. Ce n’est pas que les Highland Balls soient mauvais, loin de là. Mais de la part d’un produit aussi particulier, je m’attends à une expérience spéciale. Or, il n’en est rien. D’accord, le tabac est gentiment épicé, peu sucré mais pas trop austère, et pas désagréable. Mais en même temps, il n’est en rien remarquable. Je dirais même qu’il est passablement anodin. Le virginia et le burley se cantonnent dans l’anonymat et si le tabac turc apporte une certaine élégance, il ne me rappelle que très vaguement les délices parfumés des grands orientaux. Les saveurs s’expriment avec retenue, presqu’en sourdine et comme elles n’évoluent guère, je reste sur ma faim jusqu’à la fin. J’ajoute que lorsque je laisse de côté les boulettes pour bourrer une pipe avec un mélange de brins et de morceaux de feuilles qui se trouvent en vrac dans le ziplock, le résultat est exactement le même.
Je suis certain que les Highland Balls seront applaudis pour leur originalité et qu’on chantera les louanges de leur créateur audacieux et inspiré qui non seulement nous propose du tabac à pipe sous une forme toute nouvelle, mais qui, en plus, nous permet de faire nos mélanges personnels. Et il est vrai que Thomas Darasz a le mérite d’être sorti des sentiers battus. Mais personnellement, je suis d’avis que tant de tralala pour un résultat aussi banal, ça relève davantage de l’art du marketing que de l’art du blending.
PS : Une semaine après avoir terminé et soumis mon article, je me rends compte non seulement que jour après jour je fume plusieurs pipées de Highland Balls, mais en plus que je le fais avec plaisir. J’en suis moi-même étonné. Il semblerait donc que ce tabac mérite un paragraphe supplémentaire.
Qu’est-ce qui a changé ? C’est très simple : mes attentes. Au début, j’attendais de ce tabac si particulier qu’il me procure une expérience unique et comme ce n’était pas le cas, j’ai été déçu. Mais depuis que je le fume comme tout autre mélange, sans en attendre monts et merveilles, je constate que je l’aime bien. Fondamentalement, c’est un mélange discret et équilibré, dominé par le goût des morceaux de feuille de tabac d’Orient qui se rapproche davantage de celui d’un cigare épicé que des typiques parfums orientaux. Si les Orient-Pralines n’ont pas suffisamment de personnalité pour devenir un favori, de par leur modestie et sobriété, elles ne risquent jamais de lasser et dès lors, elles peuvent parfaitement servir de all day smoke, ce qui, à mes yeux, est toujours un atout.