Font-ils un tabac ? n°9

par Erwin Van Hove

28/05/12

Troost, Aromatic Cavendish

Un tabac (du moins je le suppose, puisque c’est en civette que ça se vend) hollandais. La description sur la pochette contient des mots tels que rich, unique, special, extra, best. Des rigolos, ces Hollandais !

Je conçois que ce genre d’herbe attire les masos, les cas psychiatriques, voire les suicidaires et j’admets même que ces gens-là ont tout autant que moi le droit inaliénable de fumer le tabac qui leur convient. Mais alors pourquoi ne pas apposer sur la pochette un autocollant criard avec une mise en garde claire et nette pour prévenir le consommateur qui ne se doute de rien, que ce produit vise exclusivement ce créneau particulier du marché ?

Palais irrité, langue mordue, muqueuses asséchées. La totale.
Et le goût alors ? Je ne sais pas, moi. Il a quel goût au juste, le foin sucré ?

Le mot néerlandais troost signifie consolation. Ca me semble le comble de l’ironie. Je le répète : des coquins, ces Hollandais.

Fribourg & Treyer, Cut Virginia Plug

Allons-y. Enfin. Puisqu’il le faut bien. Ce n’est jamais bon signe si, après avoir ouvert une boîte de tabac, je traîne pendant des semaines avant de me lancer dans la rédaction d’un article. Cependant, ne sautez pas aux conclusions prématurées ! Il ne m’arrive jamais d’éprouver ce genre de manque de motivation quand je suis confronté à un tabac nul. Non, cette flemme me paralyse plutôt quand je ne sais pas trop quoi vous dire.

Ai-je envie de m’étendre sur le nom de ce tabac ? Pas vraiment. Mais bon, il faut quand même mentionner que je le trouve ridicule. C’est quoi, un plug ? C’est un bloc de tabac pressé. C’est quoi alors un cut plug ? Ben, c’est un bloc découpé en tranches. Cela a un nom : des flakes. Alors pourquoi faire compliqué plutôt que d’annoncer que c’est tout simplement un virginia flake ? Allez savoir.

Comme le blond et le fauve dominent, il s’agit plus précisément d’un flake à base de lemon virginia, dans le genre du Golden Sliced d’Orlik. De ce genre de virginia, il ne faut jamais attendre la profondeur d’un red virginia étuvé. En vérité, à mes yeux un virginia blond est toujours passablement superficiel. Et ce n’est pas ce Cut Virginia Plug qui me fera changer d’avis.

Certes, il n’est pas mauvais. Le virginia ne mord nullement, se consume gentiment et n’est pas trop acide, mais ses saveurs me laissent sur ma faim. Tout est léger et en mineur. Et cette version light du virginia, il ne faut pas la confondre avec la subtilité. Non, ce virginia puéril et frêle manque de carrure.

Un virginia flake pour pantouflards et gringalets.

Windels, Semois grosse coupe

Je fume la pipe depuis trente-sept ans et pendant deux décennies, le semois de chez Windels, une civette située à Malines, entre Bruxelles et Anvers, était sans conteste mon tabac de prédilection. Bien sûr, il m’arrivait d’essayer toutes sortes d’autres mélanges, mais c’était au semois de Windels que je revenais sans cesse. Je sais, pour les puristes, ce n’était pas un vrai semois puisqu’il n’était pas produit par l’un des cultivateurs attitrés de la belle vallée wallonne. A leurs yeux, c’était même carrément un sacrilège, vu que ce mélange était subtilement aromatisé à la deer tongue. N’empêche que je raffolais de ce fragrant semois insolite et fascinant. Un tabac à nul autre pareil.

Ca fait des années que monsieur Windels a abandonné sa fameuse recette pour produire un semois conventionnel. Pas mauvais, bien au contraire, mais sans grand mérite non plus. Rien à voir avec la magie de jadis. Et voilà que plus récemment, la maison malinoise a changé de cap et fait désormais fabriquer son semois chez Flandria, un producteur à échelle industrielle. C’est ce Windels-ci , conditionné en boîtes de 120g, que j’ai testé pour vous.

Ce tabac m’enrage. Il n’est même pas la piètre ombre de ce qu’il a été. Pire, c’est tout simplement un leurre, depuis sa coupe qui convient parfaitement à ceux qui roulent leurs cigarettes alors que sur la boîte il est indiqué qu’il s’agit d’une grosse coupe, jusqu’à sa composition qui contient autant de semois qu’une boîte de petits pois de Marie Thumas.

Est-ce que cet ersatz est infumable ? Pas du tout. Il se bourre et s’allume facilement, il ne pose pas de problème de combustion, il n’agresse pas la langue. Par contre, niveau arôme et goût, ce tabac insipide et peu agréable n’a rien, mais alors rien d’un vrai semois. Barbant et anodin à faire pleurer, il n’a strictement aucun intérêt. Quel gâchis.

PS : J’ai fini par relever le contenu de la boîte de quelques pincées de deer tongue. Pas plus de 2%. Sans aucunement atteindre la grandeur d’antan, ce mélange passe quand même nettement mieux comme ça.

G.L. Pease, Raven’s Wing

Sur eBay, une boîte de Raven’s Wing se vend en général entre $70 et $80. C’est en effet l’un des tabacs qui n’est plus disponible depuis qu’en 2004 le stock entier de latakia syrien de Pease et de C&D est parti en fumée dans un incendie d’entrepôt.

La boîte que je teste, a été remplie et scellée le 27 novembre 2001. Tel que je me le rappelle, dans sa jeunesse le Raven’s Wing était un mélange anglais qui, plutôt que de viser la complexité et la subtilité, affichait sans vergogne sa contenance massive en latakia chypriote et syrien. A l’époque, c’était un GLP que j’aimais bien, mais qui ne faisait point partie de mes Pease favoris. Qu’en est-il aujourd’hui, après une décennie de conservation en cave ?

Les brins sont archi-secs et ont perdu toute souplesse. Le nez s’avère fumé, boisé, vineux, mais en douceur. On sent que les virginias étuvés, les orientaux et les deux latakias se sont fondus ensemble et forment désormais un tout dans des tonalités fanées.

Dès les premières bouffées, le palais confirme les impressions du nez : le fumé et le boisé sont bien présents, alors que les apports des virginias et des orientaux ne sont plus reconnaissables parce qu’intégrés dans l’ensemble. Et c’est pareil pour le latakia syrien : je ne le distingue plus. Ce qui frappe d’emblée, c’est une insistante présence acide qui me gêne et qui rend la sensation en bouche peu agréable. De ce genre de tabac âgé, j’aurais attendu un équilibre plus gracieux entre douceur et acidité. Et puis, les saveurs manquent de pureté et de définition. Par moments, mes papilles décèlent même un goût que je qualifierais de cendreux.

Je n’ai pas peur de l’avouer : ce Raven’s Wing maturé me déçoit. Quand on a patienté pendant dix ans pour ouvrir une boîte de tabac de qualité, on est en droit de s’attendre à une expérience autrement plus satisfaisante.

Mémorable ? Pas pour un sou. Très moyen tout au plus.

PS : L’honnêteté m’oblige à ajouter ce post-scriptum. Une semaine après l’ouverture de la boîte, le tabac s’est mis à évoluer pour atteindre un équilibre plus harmonieux. L’acidité désagréable a disparu et les saveurs se développent mieux. Ce n’est toujours pas un mélange incontournable, mais tel qu’il se présente désormais, il est respectable.