Font-ils un tabac ? n°59

par Erwin Van Hove

08/08/16

Planta, Anden Gold

Superior Anden Gold, Hand Blended et Made in EU que je lis sur le couvercle. Mais pas de nom de marque. Dommage, parce que je ne m’en souviens plus. Sur le fond de la boîte pas non plus de mention des ingrédients. Seule info : Voller Tabakgeschmack Würzig/Medium. Goût de tabac plein, épicé/medium. Voilà qui fera un excellent exercice de dégustation à l’aveugle.

La marque, je la reconnais d’emblée à l’ouverture de la boîte. D’une part, le tabac n’est pas lové dans un écrin en papier mais dans un vulgaire sachet en plastique, d’autre part, l’odeur assez particulière me rappelle immédiatement les arômes de chocolat au lait du Vooroogst. Je décèle également d’évidentes notes fruitées et un soupçon de café et d’eucalyptus. Le tout n’est pas désagréable même si je me demande si ce sont là des arômes naturels. En tout cas, je n’ai plus aucun doute : c’est du Planta. Conclusion qui ne m’inspire pas exactement confiance étant donné que je n’ai jamais fumé un mélange Planta vraiment satisfaisant.

Du blond, du fauve, du brun clair. Je suis d’avis que le nombre d’ingrédients est limité. Il y a bien sûr du virginia et je suis certain que le mélange ne contient ni latakia ni perique. Y aurait-il du burley ?

D’un degré d’humidité idéale, les brins s’allument facilement. Ma bouche s’emplit d’une fumée peu dense et assez rugueuse. Une sensation peu agréable renforcée par une acidité et une astringence passablement caustiques qu’une bonne dose de sucre tente sans grand succès d’amadouer. Et toujours la même interrogation : suis-je en train de fumer du tabac saucé ? En tout cas, dans les saveurs fruitées et chocolatées mes papilles décèlent un manque de franchise et de pureté.

Le fumage poursuit son petit bonhomme de chemin sans évoluer et sans finale intense. Ce serait une expérience parfaitement anodine s’Il n’arrivait pas à plusieurs reprises qu’en déposant ma pipe, j’ai la langue râpeuse, le palais couvert de ripple marks et un sale arrière-goût au fond de la gorge. Merci Planta ! Superior Anden Gold ! Le qualificatif auto-octroyé superior fait sourire.

Et la composition alors ? Comme il n’y a pas de tabacs-condiments qui trahissent leur présence, je continue à penser qu’il s’agit d’un virginia/burley. Vérification faite, je suis étonné : des virginias d’Amérique du Sud et…des orientaux. Ah bon. Si c’est le cas, les herbes orientales dont se sert Planta, manquent sérieusement de caractère.

Le Anden Gold arrive peut-être à séduire les amateurs d’aros et de mélanges médiocres vendus en pochettes. Mais pour convaincre les connaisseurs de virginia blends, il lui faudrait des ingrédients de meilleure qualité et un traitement plus naturel. Pour moi, c’est un tabac ordinaire qui manque cruellement de classe et de personnalité.

Esoterica Tobacciana, Tilbury

Avez-vous déjà goûté du Stonehaven ? Pour moi, c’est l’un des tout meilleurs VA/burley au monde. Et je ne dois pas être le seul à le penser puisqu’il est en quasi perpétuelle rupture de stock. Me voilà donc forcé de me rabattre sur le Tilbury, l’autre Esoterica composé de virginia et de burley. Du moins, c’est ce que je lis dans le descriptif : des virginias golden et dark rehaussés d’un peu de burley. Or, le couvercle de la boîte annonce fièrement A broad-cut extra mature virginia. Point barre. Pourquoi, nom d’une pipe, le producteur jersiais fait-il semblant de nous proposer un pur VA alors que ce n’est pas le cas ? Et pourquoi cette autre manifeste contrevérité : à l’ouverture de la boîte on découvre des brins très fins alors qu’il est spécifié sur l’étiquette qu’il s’agit d’une grosse coupe (broad-cut) ? En tout cas, moi je ne pige que dalle à ce genre de pratique. Soit.

Assez uniforme et sans grande variation dans les couleurs, visuellement parlant, le Tilbury n’est pas exactement enthousiasmant. Et c’est pareil pour le nez qui ne brille pas par sa complexité : ça sent la grange. Blé mûr, malt, pommes qui sèchent. Un nez discret et frugal qui balance entre fadeur et subtilité.

Le fumage confirme cette ambiguïté : les premières bouffées discrètement fruitées arrivent à me convaincre que le Tilbury aspire à la finesse, mais par la suite l’absence de saveurs claires et nettes me laisse sur ma faim. C’est fondamentalement un mélange morne et sec fait avec des virginias très peu sucrés et avec du burley neutre et dépouillé. C’est vrai que c’est un style de blending à l’ancienne, sérieux, pur. Mais, pardi, serait-ce vraiment un péché mortel que de dérider le tout avec une touche de frivolité fruitée ou un soupçon de caressante douceur ? Là j’ai vraiment l’impression d’incinérer des feuilles mortes sans éprouver la moindre émotion. Ne croyez d’ailleurs pas qu’il faille être patient et attendre une finale explosive. Quelques rares flashs où les goûts font un timide effort pour se livrer, c’est tout. Si le Tilbury était une fille, je suis sûr qu’elle serait frigide.

J. F. Germain fait sans conteste des blends absolument superbes. Mais, il faut le dire, ils en font également qui me laissent de marbre. Le Tilbury appartient manifestement à cette deuxième catégorie alors que sur papier il devrait me combler. Dommage.

HU-Tobacco, Bahia Orange

Voici ma deuxième incursion dans l’univers des United Passion Special Blends, la nouvelle gamme de mélanges aromatisés de la main de Hans Wiedemann. Pour avoir échangé des courriels avec le blender allemand, je sais que c’est un amoureux de tabacs naturels et que, dès lors, il trouve essentiel que quels que soient les casings et les top-dressings dont il se sert, ils ne peuvent jamais cacher ou effacer les caractéristiques gustatives initiales des tabacs. Dans sa philosophie, il n’y a donc pas de place pour des aros qui du début à la fin goûtent bêtement la vanille ou la cerise. Chez lui, les arômes ajoutés se bornent au rôle de condiment. Pas étonnant donc que le Bahia Orange ne contienne pas de burley qui dans les aros communs sert simplement d’éponge à arômes. Que des tabacs nobles : des virginias pressés en flake en provenance de l’Inde et du Brésil et un peu de black cavendish anglais, c’est-à-dire fait à partir de virginia non saucé. Ces tabacs sont alors infusés d’arômes de noisette, de chocolat noir et d’orange amère avant d’être transformés en ready rubbed.

Je découvre du noir du black cavendish dosé avec parcimonie, des brins fauves et surtout le brun foncé des virginias fermentés et pressés. L’odeur de noisette m’échappe. Par contre, les arômes d’orange et de chocolat sont bien là et s’expriment sur les pralines à la liqueur d’orange ou sur les orangettes. Une autre association qui me vient à l’esprit, c’est le Nutella qui serait parfumé à l’orange ou au kumquat. Sous ces arômes qui ne sont en rien assommants, on sent la douceur épicée des virginias et du black cavendish.

A peine allumé, le mélange produit une fumée au goût d’orange. Ou plus précisément de pastilles de vitamine C au goût d’orange. C’est dire que la saveur d’agrume me rappelle davantage des arômes chimiques que le goût authentique du fruit, ce qui me couperait d’emblée l’appétit si je ne décelais pas en même temps des virginias de grande qualité. D’ailleurs, après quelques minutes de fumage, lorsque l’aromatisation se fait plus discrète, ils prennent le dessus. Et voilà que soudain le Bahia Orange change de registre et illustre à merveille la philosophie de Wiedemann : les virginias à la fois sucrés, acides et amers mènent la danse alors que les saveurs d’orange et de chocolat se bornent désormais à un rôle de support. Le résultat est agréable, harmonieux, équilibré. Et le plaisir va en grandissant puisque dans le dernier tiers les saveurs s’intensifient et s’approfondissent.

Vu la noblesse des virginias, personnellement, je les aurais préférés purs. Toutefois, je dois avouer qu’une fois les saveurs d’orange intégrées dans l’ensemble, elles sont plaisantes et bien dosées. Le Bahia Orange prouve avec autorité qu’à condition d’employer des tabacs de qualité et des arômes au service des herbes, il est parfaitement possible de faire un aro respectable. J’estime donc que les inconditionnels de mélanges aromatisés se doivent de le goûter et que les amateurs de virginia ne risquent nullement d’en être dégoûtés. Même si le Bahia Orange ne fera jamais partie de mes tabacs favoris, je salue le savoir-faire de Hans Wiedemann.