Font-ils un tabac ? n°45

par Erwin Van Hove

13/07/15

Cornell & Diehl, Burley Flake #3

Je ne sais pas si c’est fait exprès ou si c’est le fruit du hasard, mais il saute aux yeux que les trois blenders artisanaux américains les plus en vue ont chacun leur tabac de prédilection. Greg Pease est le roi du latakia. McClelland produit quelques-uns des meilleurs virginias au monde. Cornell & Diehl, de son côté, a toujours eu un penchant pour les burleys de qualité.

La série des Burley Flakes, composée de quatre blends, témoigne de cet engouement pour l’humble herbe américaine. Le numéro 3 contient un peu de virginia et une bonne pincée de perique, mais c’est clairement le burley qui joue le premier violon. Ca se voit d’ailleurs au premier coup d’œil : on est en plein dans les bruns. Mais ce n’est pas la couleur qui capte l’attention à l’ouverture de la boîte. Les arômes qui s’en dégagent, sont déroutants et fascinants. Impossible de les décrire. Si, soudain j’y retrouve l’odeur du chou rouge cuit et une note d’acétone. Puis un léger parfum de cacahouètes. Et de la terre bien sûr. En tout cas, voilà une belle complexité.

Les flakes se désagrègent quand on essaie de les sortir de la boîte. Ce n’est pas si mal parce qu’ils me semblent trop épais pour les enfourner tels quels. Chez Cornell & Diehl, on ne vous vend jamais de l’eau, ce qui fait que le tabac n’est absolument pas trop humide et qu’il est donc extrêmement facile de transformer les flakes en brins. Pourtant il s’avérera que le tabac tend à s’éteindre si l’on n’y va pas mollo au moment du bourrage et si l’on ne manie pas avec délicatesse le tasse-braises.

Deux surprises au moment de l’allumage. D’abord il y a le kick nicotinique. Décidément, ce n’est pas un tabac pour âmes sensibles. Ensuite on est surpris par le côté terre à terre qui n’a rien en commun avec la complexité du nez : voilà un goût terreux de burley pur et dur avec une touche de moisi due au perique. Il est vrai que le virginia rend le burley un peu moins sévère mais fondamentalement c’est un goût de burley/perique franc. Et ce goût qui me rappelle les cigarettes au perique qu’un jour le pipier américain Will Purdy m’a fait goûter, n’évolue pas en cours de route. Seul le taux en vitamine N gagne encore en ampleur.

Conclusion : pour l’amateur de burley sans fioritures, c’est un tabac à essayer à condition de supporter la nicotine ; pour les autres ce sera une déception. Quant à moi, je suis moyennement convaincu.

McClelland, Classic Samsun

Nous n’applaudirons jamais assez l’initiative de McClelland laquelle nous donne l’opportunité de découvrir la typicité des divers tabacs dits orientaux. Ca ne veut pas dire pour autant que chaque mélange de la série Grand Orientals soit une incontestable réussite. Personnellement, je ne suis par exemple pas impressionné par les blends à base de yenidje ni par le sokhoum. Par contre, le Drama Reserve me semble un authentique chef-d’œuvre. Pour moi, c’est même l’un des tabacs les mieux équilibrés au monde.

Voici donc le Classic Samsun, un tabac originaire de la région de la mer Noire dans l’est de la Turquie. McClelland spécifie fièrement qu’il s’agit de feuilles de Maden-Canek. Ca ne me dit rien, mais apparemment ce serait le nec plus ultra en matière de tabacs de Samsun.

Côté visuel, le Classic Samsun a tout pour me plaire : voilà une belle coupe bien large et des couleurs qui varient du fauve à l’anthracite. Quant aux arômes, pas de surprise. On reconnaît d’emblée la patte de McClelland. Donc, oui, il y a de la tomate séchée au soleil et du vinaigre balsamique, mais c’est nettement moins marqué que d’habitude. Et puis, il y a du pruneau et des notes boisées, du sucre candi, du café et du chocolat. En vérité, cette piètre description ne fait absolument pas justice à la complexité et à l’harmonie des parfums. Bref, le nez est superbe.

Les premières bouffées me font soupirer d’aise : quel délice ! D’emblée, une fumée crémeuse plante le décor : beaucoup de douceur tenue en équilibre par une belle acidité noble, du boisé, du café, du piment, des amandes, de la fleur de sel, une touche empyreumatique d’encens qui me rappelle le latakia syrien. Mes papilles gustatives ne savent pas où donner de la tête. C’est le feu d’artifice. Cependant, en cours de route, la fumée perd son velouté et devient plus piquante. Le boisé et l’épicé s’accentuent sur fond aigre-doux. Ca reste vraiment bon, mais la fascinante complexité du début a disparu. Arrive la finale où les saveurs s’approfondissent et s’assombrissent.

Ni viril ni faiblard, c’est un tabac qui doit convenir au plus grand nombre, même aux débutants, d’autant plus que la combustion est exemplaire et que la fumée n’agresse nullement la langue.

Pendant quelques minutes le Classic Samsun est tout simplement grandiose. Ensuite il se contente d’être très bon. Pour moi, il n’atteint donc pas la perfection du Drama Reserve. N’empêche que c’est un mélange très intéressant que je recommande chaudement à tout amateur de délices orientaux.

Dunhill, My Mixture 965

Made in the U.K. in association with Dunhill Tobacco of London. In the U.K. et non pas in the EU. C’est donc sans conteste une boîte de l’époque Murray’s encavée pendant une dizaine d’années.

Jusque dans les années 90, avant que je ne découvre la corne d’abondance des civettes en ligne américaines, suisses et allemandes, le 965 était l’un de mes mélanges favoris. Puis, papillonnant de découverte en découverte, j’ai fini par l’abandonner. Ce sont donc des retrouvailles qu’on pourrait penser émouvantes. Il n’en est rien. En vérité, je les redoute, vu que mon amour du latakia se meurt depuis des années. Le risque d’une pénible déception est donc réel et je n’ai pas particulièrement envie de briser un beau souvenir.

Le nez me rassure un peu. Je retrouve un arôme harmonieux et passablement subtil avec un évident parfum de cuir et des notes automnales de sous-bois, de terreau humide, de feu de bois. Sous l’effet du temps, les virginias ont bruni, ce qui fait que dans la mixture il reste peu de contrastes. Les brins sont restés souples et suffisamment humides. Parfait.

Quand les premières bouffées ont développé leurs saveurs, je sais à quoi m’en tenir. Même si je me rends compte que ce 965 fondu et équilibré doit combler tout latakiophile, pour moi la magie a disparu. Décidément, les mélanges qui carburent au latakia ne sont absolument plus ma tasse de thé. Si, par contre, le goût marqué de vieux cuirs et d’humus ainsi que des saveurs empyreumatiques et épicées vous transportent, n’hésitez pas et sautez sur toutes les boîtes de 965 de l’époque Murray’s qui vous tombent sous la main. Il est en effet évident que ce 965 produit au Royaume-Uni a plus de corps et de profondeur qua la version danoise contemporaine.