Le Limerick est l’un des sept mélanges qui constituent la série Treasures of Ireland produite par la Deutsche Tabak Manufaktur. Je n’ai jamais trouvé de définition claire et nette de la classification Irish blend et ce ne sont sûrement pas les teutons Trésors d’Irlande que voici qui m’éclaireront. Aucun de ces sept mélanges ne contient du latakia, mais pour le reste, on y trouve de tout : avec et sans burley, avec et sans cavendish, avec et sans orientaux. La plupart sont des aros, mais pas le Limerick. La boîte affiche par ailleurs qu’il s’agit d’un virginia flake, mais quand on lit la recette, on se rend compte que c’est en fait un VA/perique.
Les flakes sont passablement foncés avec divers tons de brun. Ils s’effritent facilement et se transforment sans effort en brins fins. L’arôme qu’ils dégagent n’a rien de spectaculaire, mais est plutôt agréable : des figues sèches, une toute petite note de moisi due au perique, une cuillère de confiture de fraises, ce qui fait que j’ai du mal à croire qu’il n’y a là aucune forme d’aromatisation.
Au fumage, c’est un VA/perique sans grande personnalité, mais qui n’offusquera personne. Il n’éblouit pas, mais du début à la fin il tient la route : une dose civilisée de nicotine, suffisamment de sucres, une acidité discrètement présente, un tour du moulin à poivre, une pincée de sel, un bâton de réglisse, de vagues saveurs fruitées. Ce n’est ni le plus profond ni le plus complexe des VA/perique, mais incontestablement il y a de l’équilibre et de l’harmonie. En plus, la combustion ne pose aucun problème et petit à petit les saveurs gagnent en ampleur et se mettent à explorer un registre plus grave.
D’accord, il y a mieux. N’empêche que c’est un blend réussi que vous pouvez fumer en toutes occasions et qui ne risque pas de vous gaver.
Tout est dans le nom. L’invention du procédé de pressurage/fermentation en fût du perique étant communément attribuée à l’acadien cultivateur de tabac Pierre Chenet, il s’agit bien évidemment d’un blend qui veut mettre à l’honneur le perique.
Un jour Greg Pease m’a expliqué que le perique est un condiment dont il faut se servir avec parcimonie. Selon lui, au-delà de 10%, le caractère impérieux de l’herbe nouvelle-orléanaise risque de déséquilibrer un mélange. Or, voilà que le Chenet’s Cake contient non moins de 35% de perique ! Un pourcentage effarant. Et ça se sent ! A l’ouverture de la boîte, mon nez est assailli d’odeurs intenses et déroutantes. Je sens tantôt du munster ou du fromage de Bruxelles, tantôt de la colle et de l’acétone. Bref, ça schlingue ferme. Mais il s’agit là d’odeurs qui finissent par se volatiliser parce que deux jours après l’ouverture, je retrouve à ma surprise un tabac autrement plus plaisant : du gruyère, du foin humide, de la figue, de la noisette, une touche de chocolat au lait.
Le tabac se présente sous forme de crumble cake, c’est-à-dire sous forme de pavé moins dense qu’un plug. Pour transformer en brins fumables ce genre de cube pressé, point besoin d’un couteau : il suffit de le malaxer. La couleur brun-acajou trahit l’emploi de somptueux red virginias, garants de douceur et de velouté.
Le Chenet’s Cake fait partie de la Cellar series, une gamme de tabacs spécialement conçus pour être encavés pendant des années. Sur la boîte il est d’ailleurs spécifié que le mélange atteindra son apogée dans 10 à 15 ans. Bien que je sois d’accord avec cette estimation, je veux savoir ce que tant de perique donne avant qu’il ne soit assagi sous l’effet du temps.
L’allumage réserve une belle surprise : certes, le perique est plus présent que dans un VA/perique classique, mais il ne verse ni dans le caricatural, ni dans le déséquilibré. Il est vrai qu’en ce moment il roule encore des mécaniques avec une bonne dose de nicotine, avec des tannins jeunes qui apportent de l’amertume et une certaine sécheresse et avec sa typique saveur de moisi, mais en même temps on découvre un virginia mûr, âgé et suave qui a le pouvoir de dompter, le temps aidant, tant de fougue. D’ailleurs, d’ores et déjà l’acidité naturelle du perique est absorbée par le VA de toute grande qualité.
Le mélange ne s’exprime pas sur les fruits secs, mais sur le cuir et sur le sherry oxydé, avec des notes salines. Ce sont des saveurs difficiles à décrire, sombres et graves. C’est donc un tabac vraiment viril et sec, d’autant plus qu’au cours du fumage la nicotine se met à cogner dur. Vous êtes avertis.
Cornell & Diehl tient sa promesse : le Chenet’s Cake est un grand cru qu’il faudra ouvrir dans dix ans. Je suis convaincu qu’à ce moment-là, quand les ingrédients se seront fondus et tempérés, ce sera un tabac extraordinaire qui vous impressionnera. Par contre, si vous ne savez pas vous montrer patient pendant une décennie, je recommanderais de vous en tenir à des VA/perique plus classiques, sauf si vous êtes un fan pur et dur de l’herbe acadienne.
Wessex. Encore une de ces marques à consonance anglaise, alors qu’il s’agit en réalité d’une marque allemande. Kohlhase & Kopp, toujours eux. Il va de soi que l’emploi du terme slice plutôt que flake fait référence à l'Edgeworth Sliced, le burley flake le plus légendaire de l’histoire du tabac à pipe. D’ailleurs, dès la sortie du Burley Slice - marketing oblige - il a été présenté comme une tentative de réincarnation du défunt Edgeworth. Téméraire comme affirmation ! L’edgeworthophile pur et dur que je suis, s’apprête donc à la dégustation avec une bonne dose de scepticisme.
Voilà de beaux flakes larges qui me semblent plus foncés que le modèle qu’ils émulent. Le marron domine, mais on voit aussi du fauve et du noir. A l’ouverture de la boîte déferle une vague d’une odeur médicamenteuse qui me rappelle immédiatement l’ancien Edgeworth. Or, cet arôme si particulier se volatilise immédiatement pour ne laisser que quelques vagues traces. Restent alors des odeurs discrètes et introverties qui n’ont pas grand-chose en commun avec les effluves typiques d’un burley blend, à savoir de la terre, de la noisette et du chocolat. Je décèle plutôt un peu de réglisse et de mélasse. Une touche de cuir aussi. Un peu morne tout ça et rien à voir avec le nez complexe et fascinant du mythique Sliced.
Souples sous les doigts, les flakes collent un peu. Ceci dit, pas d’humidité excessive. Comme j’ai lu que ce Wessex donne le meilleur de lui-même quand on plie et qu’on enroule les tranches plutôt que de les triturer, c’est ainsi que je bourre ma pipe. Le fumage prouvera d’ailleurs que c’est une bonne méthode vu que le tabac se consume régulièrement et lentement sans s’éteindre.
À l’allumage mes sens s’éveillent immédiatement : voilà que je reconnais des saveurs de terreau et de noisette à la Edgeworth. Le bonheur. Il s’avère de courte durée. Très vite, la fumée perd ce goût enthousiasmant et sombre dans une fadeur anonyme et barbante. Remarquez que le tabac ne devient pas désagréable, mais il est tellement monotone et feutré que je reste sur ma faim.
Léger au début, il gagne en force au cours du fumage, mais de la nicotine qui ne sert pas à corser une fumée opulente et goûteuse, ça me rappelle les vins tanniques sans matière. Ajoutez à cela le caractère naturellement austère du burley et vous voilà en train de fumer un tabac neutre et assez asséchant. On n’est pas loin de la cigarette.
Je dois dire que la dégustation me surprend. J’avais déjà goûté le Wessex Slice au moment de sa sortie et à ce moment-là, je l’avais apprécié nettement plus. Je lui avais même trouvé un air de famille avec l’Edgeworth. Aujourd’hui, il me déçoit. Heureusement, il reste les burleys de Hans Wiedemann. D’accord, ils n’imitent pas le style d’Edgeworth. N’empêche que ce sont les meilleurs burley blends disponibles aujourd’hui.