Font-ils un tabac ? n°114

par Erwin Van Hove

29/03/21

TAK, Wood Blend

Pourquoi un mélange de virginia, perique, burley et cavendish a-t-il été baptisé Wood Blend ? Simple : parce que les tabacs sont maturés dans des caisses de cèdre et livrés dans un ziplock qui contient une longue lamelle du même bois.

Encore une idée farfelue du blender novateur ? Oui et non. Si l’association du bois de cèdre et du cigare est une pratique courante, c’est pour moi la première fois que je vois cette combinaison appliquée au tabac à pipe. Par contre, depuis toujours les blenders se servent de bois divers pour aromatiser leurs tabacs. Quelques exemples : le perique fermente d’office dans des barriques de whisky en hickory ; le Peterson Irish Oak était maturé dans des barriques de sherry en chêne ; McClelland a sorti à l’occasion de son trente-cinquième anniversaire des boîtes de virginia qui contenaient chacune un morceau d’une barrique de Kentucky bourbon.

En ouvrant le bocal, je m’attends à une évidente odeur de cèdre. Il n’en est rien. Même pas une vague senteur de bois. N’empêche que le nez est carrément plaisant : rien de spectaculaire, mais de bons arômes ronds et fondus sur le pain avec, cachés dans le fond, un accent liquoreux, une touche fruitée et une pincée de chocolat au lait. La palette de couleurs diverses et la combinaison de différentes coupes trahit qu’il s’agit d’une recette avec plusieurs ingrédients : des virginias, du perique, du burley et du black cavendish.

Après une conservation d’un peu plus d’un an, le tabac a une hygrométrie parfaite : il est souple sans être humide. Quand les premières bouffées m’emplissent la bouche, je ne détecte nullement un goût de cèdre. Il est vrai qu’entre les saveurs de croûte de pain et les épices, je note une présence boisée. Mais très vite je note autre chose, notamment que la combinaison d’une acidité assez élevée et d’un piquant marqué commence rapidement à me gêner, d’autant plus que ma langue se met à picoter. Je n’y peux rien : j’aime le tabasco en cuisine, mais pas dans mes pipes. Cette vague acerbe-piquante écrase d’ailleurs tout autre goût : c’est à peine si je détecte ici et là un flash de cavendish et je suis carrément incapable de découvrir la moindre trace de burley. Reste donc tout au long du fumage un goût boisé et une sensation en bouche acerbe et brûlante.

Je ne vois pas très bien à qui s’adresse ce genre de mélange. C’est un blend déséquilibré, morne et tout simplement désagréable.

HU-Tobacco, Dark Moor

Une base de brown virginia, une bonne portion de kentucky et une pincée de perique. Et ça se voit : le ribbon cut aux couleurs brunes est parsemé de quelques brins aubergine. Ça se sent aussi : le foin et le pain des virginias, la touche moisie et, cachée dans le fond, une légère senteur de fruits secs du perique, et surtout une odeur terreuse et tourbée du kentucky. Un ensemble automnal, sérieux, fort naturel.

Le Dark Moor révèle son âme dès les premières bouffées. Voilà un blend qui ne cherche pas à impressionner par son caractère extraverti ou par sa personnalité haute en couleur. C’est au contraire un tabac classique, serein au profil bas. C’est un tabac qui n’a rien de spécial, mais qui n’est pas pour autant médiocre. Parce que c’est un tabac très bien équilibré. A commencer par la structure : les virginias apportent juste ce qu’il faut de douceur pour contrebalancer une acidité toujours présente mais jamais acerbe. Et c’est pareil au niveau des saveurs : si le mélange met en avant des épices passablement piquantes, elles ne dépassent pas le seuil de l’acceptable vu qu’une assise de goûts sombres composée de terre tourbée et de boisé les empêche de dominer.

Ceci dit, le Dark Moor est un mélange austère, sec, droit. Il ne respire pas la joie de vivre et n’est pas fait pour vous mettre de bonne humeur. Il convient par contre à un fumage introspectif, lent, attentif. Sinon, non seulement il risque de surchauffer, mais aussi et surtout de ne pas vous révéler ses subtilités. Utilisez donc des pipes au passage d’air bien ouvert qui ne nécessitent pas un tirage fréquent.

Je n’ai pas noté une grande évolutivité et côté puissance j’ai été surpris : si Hans Wiedemann lui attribue un score de 5 sur 6, je dois dire que personnellement je n’ai à aucun moment eu l’impression de fumer un tabac fort.

Ma conclusion ? Elle est nuancée. D’une part, dans son genre, le Dark Moor est incontestablement bien fait. D’autre part, ce genre de mélange plutôt janséniste ne plaira jamais aux foules. Ce n’est donc sûrement pas un tabac pour débutants ou pour adeptes de mélanges voluptueux. Pour l’apprécier à sa juste mesure, il faut un palais exercé et une approche davantage intellectuelle que sensuelle.

Wessex, Campaign Dark Flake

Quand on cherche les tabacs Wessex sur le web, on tombe exclusivement sur des commerces américains et russes. Les Wessex ne sont donc pas disponibles en Europe, ce qui peut paraître étonnant vu que c’est Kohlhase & Kopp qui les produit. Si on ne trouve aucune trace de la marque sur le site web de l’entreprise allemande, le distributeur américain, l’Arango Cigar Co, présente sur son site à lui une gamme de pas moins de 22 tabacs Wessex.

Au passage il est à noter que Wessex est également une marque de pipes largement distribuée des deux côtés de l’Atlantique. Produites par le passé par Chacom, de nos jours elles sont fabriquées en Italie chez Lorenzetti (lorenzettipipe.com).

Le Campaign Dark Flake, composé exclusivement de virginia brun foncé, jouit d’une solide réputation. A l’heure où j’écris ces lignes, sur Tobaccoreviews il obtient un excellent score de 3,6 basé sur les revues de 57 dégustateurs.

Ma boîte âgée de neuf ans contient non pas des tranches mais une longue ceinture enroulée qui hésite entre le flake et le broken flake puisqu’elle se désagrège au moindre toucher. Côté couleurs, pas de surprise : on est en effet dans le brun foncé, même si on voit également de l’aubergine et du roux. En revanche, le nez m’étonne : les odeurs de pruneau et de figue sèche sont tellement évidentes que je jurerais sentir du perique. A cet égard, j’ai constaté que les étiquettes apposées sur les boîtes plus récentes mentionnent la présence du dark-fired kentucky et de perique. Je perçois également de la cannelle, de la terre qui chauffe, de la croûte de pain et tout ça sur fond d’odeur de tabac bien mûr. Un tout complexe et appétissant que j’adore.

Si le tabac colle légèrement aux doigts, je ne peux pas dire qu’il faille nécessairement le faire sécher. C’est à vous de voir. Moi, je bourre sans tarder après avoir transformé les tranches en brins. Les premières bouffées me consternent : je m’étais attendu à une fumée bourrée de goût et de vitamine N. Il n’en est rien : les saveurs s’expriment avec modestie et sans aucunement rouler des mécaniques. D’emblée, le Campaign Dark Flake ne s’avère pas un fauve qu’il faut dompter, mais un chat ronronnant qui vous témoigne son affection.

Le fond est tantôt doux-amer, tantôt aigre-doux et sert d’assise à une série de variations sur le thème du nez. Passent la revue le pruneau et la figue, les notes terreuses, la cannelle sous forme de pain à la grecque, spécialité des boulangeries bruxelloises, mais également du boisé, du poivre, une chaleur d’alcool. Au cours des fumages successifs, je note que le Campaign est sensible au choix de la pipe. Certaines accentuent son côté doux et bon enfant alors que d’autres mettent en avant l’amertume et le piquant. Je me rappelle en particulier comment le tabac a boudé une Larsen Straight Grain faite par Tonni Nielsen, pourtant d’habitude une fumeuse de VA plus que respectable. Mais même quand il ne se montre pas sous son meilleur jour, le Campaign Dark Flake ne vous agresse pas les muqueuses et ne devient jamais franchement désagréable.

Je note également que le dernier tiers de ma boîte est moins odorant qu’au moment de l’ouverture, mais qu’au fumage le tabac se montre plus goûteux, plus cohérent et moins pointilleux envers les partenaires qu’on lui propose. C’est dire que ce virginia brun foncé peut être encavé pendant de longues années.

Les dégustateurs sur Tobaccoreviews ont raison : le Campaign est sans conteste un tabac agréable avec d’évidentes qualités. Pourtant, je dois vous avouer qu’il n’arrive pas à m’enthousiasmer pour de bon. Personnellement, j’attends d’un dark brown virginia davantage de caractère et d’opulence. Or, à cet égard force m’est de constater que le Campaign est un typique virginia blend de chez K&K : respectable, mais clairement quelques crans en dessous des virginias du Lakeland ou de chez feu McClelland. Il manque à l’entreprise allemande à la fois l’extraordinaire savoir-faire des Kendaliens et l’exceptionnelle qualité de la matière première avec laquelle travaillaient les blenders de Kansas City. En revanche, le Wessex présente deux avantages de taille : contrairement à McClelland, il n’appartient pas au passé et en outre, il n’est jamais en rupture de stock, ce qu’on ne peut pas dire des tabacs produits dans le Lake District.