Si seulement je pouvais vous entretenir de la pédale wah wah plutôt que du tabac du même nom, je vous pondrais à coup sûr de la copie autrement plus excitante. Parce que, franchement, le tabac ne m’inspire pas. Du tout. Non, ce n’est pas vrai. En fait, il m’agace. Ce que j’ai goûté n’est vraiment pas bon. Indigne du talent de Thomas Darasz. Mais voilà qu’à l’instant même où je m’apprête à vous dire que le WAHWAH (oui, Darasz se sert de capitales) est un mélange raté puisqu’une bonne demi-douzaine de fumages ne m’ont procuré aucun plaisir, soudain dans la apple de Sergey Ailarov que je cale entre mes dents, il se montre plus accompli en développant des saveurs fondues avec une certaine profondeur. Capricieux avec ça.
Sur papier, le WAHWAH a tout pour me plaire : une panoplie de virginias brésiliens, indiens et africains, du perique et du kentucky. Pourtant, l’aspect du mélange ne m’inspire pas confiance : si je note la présence de quelques curlies plus ou moins défaits, je vois surtout des brins courts et étroits. Et puis, ce sont les blonds, les fauves et les bruns clairs qui dominent, pas exactement les couleurs que j’attends d’un VA/perique/kentucky. Je remarque également que le tabac est sec, trop sec. C’est difficile à comprendre vu que le tabac a été conservé pendant dix mois seulement dans un bocal qui ne laisse pas entrer d’air.
Passons au nez. Ou plutôt au manque de nez. Neutre. Fade. Morne. Je sens vaguement le kentucky et pour le reste l’odeur me rappelle le tabac à rouler hollandais de ma jeunesse. Mais en sourdine. C’est un nez de tabac moribond.
Entre-temps, je fume le WAHWAH dans deux autres pipes, une Claessen et une Roush. Rebelote : le tabac se montre à nouveau fort décevant. Manque de velouté, d’harmonie et de goût. Pas d’équilibre entre les sucres et les acides, mais au contraire une structure par trop acerbe et piquante. Un rythme de combustion trop élevé. Et puis, surtout, une saveur qui n’a rien d’agréable et dans laquelle je ne reconnais l’apport d’aucun des ingrédients. Une saveur anonyme somme toute. Quand arrive le final, la Roush livre un réel effort pour rehausser et fondre les goûts, alors que dans la Claessen le tabac périt sans gloire aucune. Triste.
Le tabac a sa page sur Tobaccoreviews, mais elle est vide. Par contre, sur le site web de Tabak aus Kiel je trouve cinq commentaires dithyrambiques de dégustateurs qui tous couronnent le WAHWAH de cinq étoiles. Ah bon. Je suppose que parmi ceux qui ressentent le besoin de poster leurs jugements sur le site du blender, il pourrait y avoir un lèche-cul ou deux. N’empêche que la plupart de ces commentaires doivent avoir été rédigés en toute sincérité.
Est-ce que mon opinion si divergente serait simplement une question de goût personnel ? Ce n’est pas impossible. Je suis cependant persuadé que la raison qui se trouve à l’origine de ce désaccord est nettement plus objective et, par ailleurs, plus inquiétante. Je dois revenir à Deniz Beck qui a remarqué que plusieurs mélanges de Thomas Darasz se mettent à dégénérer quand ils sont conservés au-delà de quatre mois. (voir artfontilsuntabac109) Or, au moment de la dégustation, mon tabac était âgé de dix mois, alors que, fort probablement, les recenseurs allemands ont écrit leurs éloges après avoir goûté du tabac fraîchement livré.
Il semblerait donc que pour la seconde fois en quelques semaines, mes expériences personnelles concordent avec celles de Deniz Beck. Ce constat est profondément désolant. Si ce genre d’expérience devait se répéter une fois de plus avec un autre mélange, tout doute serait levé. Dans ce cas, tout porterait à croire que Thomas Darasz a un sérieux problème. Et donc aussi ceux qui comme moi ont investi dans un stock de tabacs TAK.
Mais qu’est-ce que c’est parfumé ! Dès que j’ouvre l’enveloppe qu’une bonne âme brugeoise m’a fait parvenir, des arômes envahissants me sautent au nez. Après avoir laissé traîner le tabac emballé pendant une heure dans mon bureau, il embaume la pièce entière. Au moment de l’ouverture il s’avérera pourtant que l’échantillon est enfermé dans un ziplock glissé dans un sac en plastique qui, lui, est entouré d’un autre sac en plastique ! Et ben, ça promet !
Caramel et vanille. A la louche. Pas la moindre odeur de tabac. Bref, l’annonce d’un bide phénoménal. D’autant plus que de toute évidence, Flandria n’a strictement rien compris à la définition du terme grosse coupe. Je ne distingue que de courts brins maigrelets. Et par ailleurs peu de couleurs : le mélange est uniformément brun clair avec ici et là un accent blond ou fauve. Manifestement ce n’est pas un blend complexe. Ceci dit, je refuse de croire Tobaccoreviews qui présente le Oud-Brugge comme un burley pur. Je crois reconnaître du virginia blond et peut-être même un soupçon d’orientaux.
Allumage. À contrecœur. Et là, c’est la surprise. Certes, ce que je goûte n’est pas ma tasse de thé. Du tout. Je ne vais donc jamais mais alors jamais m’acheter une boîte de ce tabac qui ne goûte pas le tabac. Mais force m’est d’avouer que ce n’est pas si dégueulasse que ça. Je dirais même que dans son genre, c’est un mélange bien fait. Evidemment, pour moi il est trop aromatisé, mais il n’est ni sirupeux, ni pataud et il ne perd pas son goût pour devenir désagréablement amer. Il est même bien équilibré, les sucres étant contrebalancés par une acidité tonique et épicée mais pas acerbe. Pour tout vous dire, alors que je n’arrive pas à fumer un bol entier de la majorité des aros purs et durs qu’il m’ait été donné de déguster, j’ai réussi à parachever le fumage de plusieurs bols du Vieux Bruges.
En cours de route, le nuage aromatique se dissipe quelque peu, ce qui fait que les tabacs arrivent à pointer la tête. Et mon palais confirme mes observations visuelles : à part le burley, le blend doit contenir du virginia et des orientaux. En fin de compte, c’est donc une vraie recette. C’est même annoncé avec fierté sur la boîte : pijptabak naar oud recept. Du tabac à pipe selon une vieille recette. C’est bien possible parce qu’à l’origine, le Oud-Brugge était produit dans la belle ville de Bruges par A. De Neve & Cie, fabrique que vous pouvez découvrir sur une photo datant du tournant du vingtième siècle. En rachetant l’entreprise brugeoise, Flandria a acquis la recette.
J’ai remarqué que dans certains forums le Oud-Brugge est populaire. Je ne partage pas cet enthousiasme, mais je comprends pourquoi ce tabac a ses adeptes. C’est en effet un aro respectable.
Torben Dansk. Ça sonne danois, ce n’est pas danois. Les dix-huit mélanges Torben Dansk, c’est du made in Germany et plus précisément par la Deutsche Tabak Manufaktur. Bref, ce sont des tabacs distribués par Dan Pipe.
DTM présente son Sailor’s Flake comme un virginia blend classique et naturel composé de virginias américains et indiens. Tobaccoreviews confirme sans équivoque : flavoring : none. Pas d’aromatisation. J’ai vraiment du mal à le croire dès que j’inhale les odeurs que dégagent les flakes assez uniformément bruns : c’est vraiment fruité. Trop fruité pour un VA naturel. J’ai par ailleurs du mal à déterminer ce que je sens parce que chaque fois que j’ouvre la boîte, les odeurs ont évolué. Ma première impression, c’était de la confiture de fraises et du sirop de groseilles. Ensuite, j’ai senti de l’abricot. Et enfin des pruneaux. Et avec ça un soupçon de réglisse.
Je veux en avoir le cœur net. Je trouve sans problèmes ce que je cherche sur un site web gouvernemental allemand. A part du propylène glycol, de la gomme arabique, du sorbate de potassium et du sirop inverti, le Sailor’s Flake contient de la vanilline, de la pâte de réglisse, du sirop de pomme et des arômes de pruneaux. Qu’est-ce que je vous disais. No flavoring ? My ass !
Les flakes passablement secs ne sont que légèrement pressés, ce qui fait qu’on ne peut pas les sortir en entier de la boîte et qu’on n’a pas le choix : il faut bourrer la pipe avec du broken flake. Arrivent les premières bouffées dont les saveurs correspondent parfaitement au nez. Je les associe donc tantôt à l’abricot, tantôt au pruneau sur un fond de réglisse clair et net. Et, ma foi, ce goût de virginia dénaturé n’est pas mauvais. Rien à voir avec l’opulence des grands virginias, remarquez. Un petit plaisir superficiel.
Bientôt on change de registre. Le fruité se fait discret, le goût réglissé gagne en ampleur alors que monte une vague d’acidité épicée qui se met à me picoter les muqueuses. Et ça, ce n’est pas agréable du tout. Dorénavant on est sur un tabac qui n’a plus grand-chose en commun avec celui du début. Les sucres fruités peinent à amadouer le piquant acerbe qui me fatigue le palais. Le tabac perd donc à la fois son équilibre et son caractère plaisamment frivole.
Dans la plupart des pipes, ça finit par se tasser. N’empêche que le Sailor’s Flake n’arrive plus à me convaincre. C’est un virginia flake très médiocre qui manque cruellement de nuances et de complexité.
J’apprécie la maison DTM – Dan Pipe parce qu’elle propose une large gamme de tabacs pour tous les goûts, parce que quelques-uns de ses mélanges me plaisent bien et parce qu’elle continue à livrer du tabac à l’étranger. Il est toutefois évident qu’elle ne joue pas dans la cour des grands. Fort probablement faute de matière première de qualité supérieure. Les virginias qui composent le Sailor’s Flake confirment cette thèse. Quant à la pratique si courante chez Dan Pipe de bourrer les mélanges de produits chimiques, de les doper aux arômes artificiels et de nous cacher ces procédés, je la trouve regrettable et malhonnête.