Errances d’une volute

par Laurent M

26/09/22

Saison 24 - Mc Clelland Navy Cavendish, le transparent

L’aromatisation d’un tabac me laisse de marbre quand il s’agit d’alcool. L’alcool se boit et ne se fume pas. Parfois il se brûle ou vous brûle. Utiliser le parfum d’un alcool pour aromatiser me semble aussi incongru que l’aromatisation aux fruits. Voici deux choses qui ne vont pas ensemble à mon avis. Tout cela découle de la tendance qu’a eue l’industrie du tabac d’élargir sa base de consommateurs pour multiplier les ventes et cela a commencé par les cigarettes, notamment au menthol. Bien entendu que l’on ne trouve pas de cigarettes à la cerise ou à la pêche, à la saveur de miel ou de chocolat. Cependant, la technique est la même : arranger la saveur naturelle du tabac avec un arôme supplémentaire. En clair : masquer la saveur d’un tabac par la saveur d’un fruit ou d’un autre ingrédient. C’est quand même bizarre, cette histoire, et jette de la suspicion sur la qualité des ingrédients. En pâtisserie, si on veut masquer la qualité de l’ingrédient, on ajoute de l’arôme artificiel, ou du sucre, souvent les deux. Dans la plupart des cas, l’aromatisation me semble être comme ces fans de tuning automobile qui débordent de la mesure et sombrent en “Jacky”* pour transformer une humble automobile citadine en monstre de course, le tout finissant en authentique caisse à savon dont l’esthétisme sombre entre le vulgaire et le pathétique, quoique souvent amusant.

Il n’empêche que l’aromatisation est censée donner une autre approche au tabac, rogner le goût âpre de la plante, plaire aux clients. Las, cela me laisse froid et peu sont les tabacs aromatisés qui trouvent grâce à mes papilles d’homo sapiens fumeur de pipe. Je me laisse plus séduire par des arômes de chocolat que par celle d’un alcool et, en l’espèce, d’une aromatisation au rhum. Du moins c’est ce que la description du tabac indique : “nous proposons à nouveau au fumeur le cavendish traditionnel de marine, pressé en cake et vieilli naturellement avec du rhum noir jamaïcain pour obtenir sa riche profondeur de saveur, de couleur et d'arôme.” J’avoue ne pas connaître le rhum noir mais une brève recherche indique que cela semble tout à fait sympathique. Dès lors, comment ne pas imaginer que l’adjonction de ce breuvage amène nous amène dans un lieu amène itou, un “Locus Amoenus” comme disait les anciens, un de ces lieux idéalisés de sécurité et de confort où le fumeur pourrait déguster tranquillement sa bonne herbe dans un rocking chair, sur la terrasse de sa petite maison en regardant bleuir la ligne de frondaison de la forêt toute proche. Home Sweet Home, chère Arcadie et paradis aux portes duquel nous sommes comme les bergers de Nicolas Poussin.

Mc Clelland Navy Cavendish

Il faut lui reconnaître, à ce navy cavendish, un aspect appétissant dans son costume de broken flake aux brins bien compressés des virginias. C’est chaleureux comme du caramel au beurre salé ou une pâte de fruit. L’examen de très près incite d’ailleurs à ouvrir la bouche pour en manger un morceau !

Mc Clelland Navy Cavendish
Mc Clelland Navy Cavendish

A l’odeur, ce tabac révèle un arôme d’herbe séchée avec une pointe de menthe poivrée, de croûte de pain grillée, de décomposition de plantes, une odeur terreuse ou de fruit blet. Il faut bien le malaxer pour parvenir à une consistance propre à l’enfournage. Au toucher, l’échantillon que j’ai se montre légèrement sec, peu gras, parfait pour une bonne combustion. Je réalise le test dans deux pipes en bruyère, une morta et une maïs.

À l'allumage, la première impression est bonne. Il y a une grande douceur, pas de force ni d’acidité. Cela développe un petit goût de noisette et de fruit à coque. C’est dans la morta que le goût se développe le plus pour atteindre plus de profondeur mais sans jamais développer une personnalité extraordinaire. Dans la pipe maïs, la douceur revient mais, en milieu de pipe, tout à coup, il y a un goût amer qui se développe, laissant une sensation désagréable sur la langue. Et le rhum, dans cette histoire ? Ma foi, si j’ignore tout à fait le goût du rhum noir de la Jamaïque, j’ose dire que ce n’est pas ce tabac qui peut m’en donner le début de l’ombre du soupçon d’un détail gustatif. Car, même en faisant tourner la fumée dans ma bouche, en faisant de la rétro-olfaction de manière douce et patiente, aucune saveur étrangère à ce qui est du tabac ne m'est remontée le long de mes cellules olfactives. Je n’ai certes pas la sensibilité d’un canidé mais mon simple pif d’homo sapiens sapiens mâtinée de lointaines celulles néanderthaliennes suffit largement à me faire ressentir quelques fragrances étrangères. Là, point et comme ça, c’est dit.

Comment te dire adieu ?

Bon, soyons tout à fait francs entre nous : ce produit ne me laissera pas un souvenir impérissable. Je laisserai ce cavendish de marine voguer sur ses flots bleus et essaierai d’atteindre ma note bleue avec d’autres volutes bleuâtres. Non pas que ce Cavendish soit désagréable mais il est sans réelle profondeur, un peu comme ces personnes rencontrées lors d'une soirée, avec lesquelles on bavarde de choses pour ne rien dire, du “small talk” comme diraient les albionistes, et dont, au bout de la soirée, on ne se souvient même plus ni de leur voix, ni de leur visage et encore moins de leur nom. C’était sympa, c’est tout.

Nicolas Poussin - Les bergers d’Arcadie


Source : Nicolas Poussin - Les bergers d’Arcadie - 1628 - département des peintures du musée du Louvre