Errances d’une volute

par Laurent M

23/08/21

Saison 14- Confessions d’un infidèle tabacophile sur les heures qu’il occupe à souffler de la fumée - Laudes.

Laudes, où l’on parle de Curly block, de HU White horses, et d’Amphora Burley, entre autres herbes impies mais néanmoins délicieuses.

Une fois lancé dans le stupre tabagique, difficile de s’arrêter, mes frères. Une petite pochette par ci, une autre par là : la machine à fumer est lancée et, de pipe en pipe, on s’en vient à abandonner, sans même s’en apercevoir, les principes illustres et nobles qui ont illuminé mon engagement. Ah!, je vous vois sourire. C’est donc que vous aussi, vous êtes dans cet état d’éparpillement qui jonche vos bruyères et vos papilles. Que vous vous en satisfassiez n’appartient qu’à votre seule conscience, fratres. Pour moi, c’est une trahison intime qui me pousse, une fois de plus, à reprendre le cours de ma confession.

Peter Heinrichs - Curly Block

Heinrichs Curly Block

De prime abord, quand on voit la photo de ce gros morceau de corde de chez Peter Heinrichs, on se dit que le boulot est bien fait. C'est lisse, dense, uniforme. Couper cela en petites rondelles a dû être un peu sportif pour frère Barbibul. Je te remercie donc de tes efforts car les petites rondelles que tu nous as données sont très régulières, jolies à regarder et les yeux se perdent dans les spires uniformes où l'on voit ce joli mélange burley/virginia, avec une couleur proche du RAL 8016, Pantone 1845 (on a les références qu'on peut).

C'est du tout bon au fond de la petite Graco, je dois le dire. Déjà au bourrage, c'est d'une aisance terrible et le tabac laisse sur les doigts une odeur entêtante de Burley/Virginia/Périque qui me plaît et qui me les a fait plonger et replonger dans le paquet rien que pour avoir le plaisir de les sentir. A l'allumage, il y a cette petite note de goût poivré et piquant qui tient la mélodie entraînante jusqu'au bout et qui est le propre du VA/PER, mais adouci par le Burley. Le fumage révèle un tabac dynamique, un peu comme un gamin lâché dans un square avec des jeux à n’en plus finir. Il bouge, reste éveillé, est dans son petit monde enchanté et tu prends plaisir à le voir, en l'espèce le fumer…, le tabac, pas le gamin. Tonalités agréables typiques d'un VA/PER donc. Question nicotine, je n'ai ressenti aucun effet mais les vieux singes sont un peu blindés quant aux morsures des puces. Cela étant, il est doux et ne donne pas de claques. J'ai fumé ma pipe à trois reprises et c'est peut-être aussi pour cela que je n'ai pas eu d'effets secondaires. J'aime bien reprendre des pipes froides, surtout en milieu de bol. On retrouve de la fraîcheur et un nouveau petit ressaut de goût et de saveurs. En fin de pipe, le gamin devient un peu plus mordant, normal, signe qu'il est temps de rentrer pour le bain et le goûter ! Un excellent tabac.

HU Tobacco - White horses

Le nom de White Horses ramène pour beaucoup des consonances amérindiennes, des noms de chefs qui ont mené des actions contre les colons anglo-saxons. Pour ma part, fratres, c’est la couleur d’un des quatre chevaux de l’Apocalypse : blanc, rouge, noir, livide. Et qui dit chevaux de l’apocalypse me ramène sans cesse non pas au livre de notre bien aimé Saint Jean mais à celui de l’auteur italien Eugenio Corti*, le Cheval Rouge. Fresque terrible de l’engagement des militaires transalpins depuis les combats de Stalingrad jusqu’à la libération du pays aux côtés des forces alliés. J’avais eu la joie de discuter littérature et d’échanger des courriers avec ce grand bonhomme au nez d’aigle et regard bleu qui avait connu l’hiver 42-43 de la retraite des forces de l’axe dans la poche de Stalingrad. Lui serrer la main m’avait donné le vertige du temps, de la Grande Histoire, de l’espace. Quelle que soit la couleur donnée à un cheval, cela me ramène à Eugenio. Pas fumeur de pipe pour un sou, ni fumeur du tout. Changeons de couleur de cheval et repassons du rouge au blanc.

C’est en fait à la côte bretonne, aux ressacs de la mer, aux tourmentes du vent et de la mer que fait référence les chevaux blanc. “J'adore le charme sauvage de la côte bretonne” indique Hans Wiedemann. “La chevauchée des «Chevaux Blancs» - c'est ainsi que s'appellent les couronnes en mousse blanche des vagues - stimule mes pensées tout autant que le plaisir d'une belle pipe avec un bon tabac. “The White Horses” est un mélange de force moyenne avec une bonne proportion de Virginias doux, du Kentucky, quelques feuilles de Havane et du Perique. Le Kentucky ne brille certes pas par sa complexité, mais intégré de manière judicieuse, il donne à ce tabac la bonne touche d'épices et de mordant qui évite que ce mélange ne vire à la monotonie”.

Une fois le côté carte postale bretonne évacuée, on découvre un tabac ne doit rien à l’écume vaporeuse des vagues océanes. C’est plutôt sombre, taillé à coupe moyenne. L’odeur est typique d’un VA/PER et quand le blender indique mettre des feuilles de tabac à cigare, l’odeur ne révèle a priori rien de spécial. Loin de moi d’être attiré par l’odeur du cigare mais cela aurait été une odeur différente de celle habituelle sur ce type de mélange si la proportion de feuilles à cigare aurait été en capacité de, justement, faire la différence.

HU Tobacco White horses

Et ce point se ressent également au fumage. Certes, le bourrage et l’allumage sont très bien et le fumage doux et aisé. Un tabac bien fichu qui n’est en rien agressif et se laisse oublier doucement, un peu comme ce ressac des vagues qui forme un bruit de fond éternel lorsqu’on marche le long de la côte. On s'aperçoit que la pipe est finie avant même d’y penser, ce qui fait de ce tabac un bon tabac quotidien, que l’on oublie toutefois aussi facilement, comme l’écume qui s’évanouit entre les doigts.

Amphora Burley

Amphora Burley

Tudieu, quelle odeur ! C’est la première remarque que je me suis faite au sujet de ce tabac. Une base de virginie burley sans doute avec un relent léger d’oriental, vraiment léger. Un tabac sombre, d’un brun foncé sans nuance de couleur fauve. Un tabac pressé, puis haché, cassé en longues bandes un peu dures qu’il faut finir d'effriter sous les doigts. Du broken flake pur jus.

L’odeur maintenant : du vieux tissu au fond d’une armoire, des vêtements qui n’ont pas vu l’air depuis longtemps, de la paille stockée trop longtemps dans la remise d’un rempailleur, avec les résidus de tissus d’ameublement qui finissent de prendre la poussière. C’est une odeur de brocante, de puces, de grenier pas aéré, de couloir de métro mal nettoyé dans lequel passe encore les relents de déjection urinaire d’un attardé nocturne. Il y a comme un fond léger de produit ménager. Que l’on ne se méprenne pas sur ce que je viens de dire. Tout cela se mêle et s’entremêle dans un fondu discret pas désagréable.

Le fumage ensuite. C’est dans une James Upshall au large fourneau, vieille habituée de mélanges sympathiques. C’est bien pour bourrer ces grandes bandes de tabac rustiques. Un goût trop léger pour moi à l’allumage mais j’ai l’habitude de ces tabacs dont le foin du début prend plus de couleurs, ce qui ne manque pas d’arriver au premier tiers du fumage, où ce tabac prend plus de corps. On sent bien la base de virginie, le goût sucré et un poil aigre. Pour autant, ce n’est pas un tabac qui fait grimper au rideau, ni de plaisir, ni avec la nicotine. Il est honnête et fait bien son job mais ne développe pas une saveur qui remplit la bouche. Je laisse la pipe s’éteindre à mi-bol. Je la reprends vingt jours après. C’est ce qu’on appelle du DGTLT (Delayed gratification technique long-term) !

A la reprise, le goût est renforcé. Tout de suite, les parfums arrivent plus nets, particulièrement le virginie qui accroche agréablement la langue. Tout reste très harmonieux, sans piquant ni âcreté jusqu’au bout.

Au final, ce tabac est une bonne base pour un tabac quotidien, fait pour les fumeurs amateurs qui cherchent un bon produit sans chichis ni adjonctions aromatiques.

Profitons tous désormais d’une pause spirituelle avant de poursuivre car mon esprit est las et plein de fumée et il est d’ailleurs temps d’aller s’en griller une.

reverend in rythm


Source : Relevant magazine(*)