Vive les brunettes

par Erwin Van Hove

17/05/10

Je vous avertis d’emblée : si vous entamez cette lecture dans le but d’apprendre quelque chose, passez votre chemin. Vous n’y trouverez pas une trace d’analyse ou d’explication. Juste une opinion. Même pas. L’expression d’un goût personnel. L’aveu d’un entichement. Alors voilà : je m’appelle Erwin Van Hove et je suis accro au chocolat. Et au café. Et au havane. Et au tabac. Et au basané-mordoré-tanné. Et au châtain-marron-noyer-noisette. Bref, j’ai le béguin pour les brunes et dès lors je regrette qu’il y en a si peu. Parce que c’est un fait qu’on n’en voit pas beaucoup, alors qu’on trouve partout des noires. Et pas mal de blondes. Et diverses rouquines. Et même de plus en plus souvent des platine. Alors voilà, ce texte n’est rien d’autre qu’un appel à la fois désespéré et solennel aux pipiers : je vous en supplie, ô Maîtres, le moment de la finition de vos sablées venu, rappelez-vous qu’il existe toute une palette de teintes brunes !

Moretti

Moretti

Skip Elliott

Skip Elliott

Rad Davis

Rad Davis

Cette évidente discrimination que doivent subir les brunettes, est-ce la faute d’Alfred Dunhill ? Vraisemblablement. L’inventeur de la pipe sablée, la légendaire Shell, l’a voulue noire. Ce n’est pas que je ne le comprenne pas. Evidemment quand on a garanti à sa clientèle que, quelle que soit sa finition, toute pipe qui sort des ateliers, jamais ne portera un point de mastic, la teinture noire est une bénédiction : c’est elle qui permet d’escamoter le mieux les défauts dans la surface du bois. Et voilà pourquoi la grande majorité des sablées aux quatre coins de cette terre de miséricorde est finie en noir. Ceci dit, depuis un bon demi-siècle on trouve aussi pas mal de blondes. D’habitude on qualifie leur teinte du terme anglais tan. Fauve en français. Là encore on décèle tout le poids de l’influence de la marque britannique qui avait introduit sa finition Tanshell en 1953. Cette teinture claire est rapidement devenue populaire parmi les producteurs de tous horizons. Et c’est logique. Dès qu’un pipier se rend compte, une fois le sablage terminé, que la tête a un beau grain et (presque) pas de défauts, il veut mettre en évidence ces qualités. Ce serait dommage de cacher cette belle surface sous une couche noire. Et par conséquent il opte pour une finition blonde, d’autant plus que le prix qu’il peut demander pour une tan est plus élevé que pour une noire. Plus récemment on a même assisté à un nouveau phénomène qui est l’aboutissement de cette logique : des pipes joliment sablées à la surface claire et uniforme, une denrée rare, sont laissées telles quelles, sans teinture ni cire. Ce sont les fameuses vierges.

Trever Talbert

Trever Talbert

Sergeï Senatorov

Sergeï Senatorov

Jack Howell

Jack Howell

David Enrique

David Enrique

Bien sûr il n’y a pas que des noires et des blondes. Dunhill par exemple a lancé des séries de sablées finies en rouge (Red Bark) et dans une couleur qui vire entre le brun et le bordeaux (Cumberland). Et quand on y prête attention, on découvre sur le web et dans les civettes toute une panoplie de teintes bordeaux, rougeâtres, orangées. Mais peu de véritables brunes. C’est assez étonnant puisque sur les lisses on voit tellement de variations de teintes brunes. Peut-être que pour comprendre ce surprenant paradoxe, il faut se tourner une fois de plus vers Dunhill. En 1986 la marque a introduit la finition County. Il s’agissait d’une série de pipes sablées avec une teinture brune et un tuyau en cumberland. Très vite le fabricant anglais a dû se rendre à l’évidence : cette série ne se vendait pas. La production a donc été arrêtée. Bref, il semblerait que les fumeurs de pipe boudent les sablées brunes.

Ceci dit, il y a de l’espoir : récemment Dunhill a réintroduit la finition County sur le marché. On verra. Et puis parmi les pipiers qui se sont fait une réputation au cours de la dernière décennie, il y en a plusieurs comme Cornelius Mänz, Trever Talbert ou Victor Yashtylov qui, de temps à autre, finissent des sablées en brun. Pareil en Italie : une des plus belles sablées brunes qu’il m’ait été donné d’admirer, c’était une Rinaldo et cette année j’ai pu acquérir une Moretti sablée avec une teinture tête-de-nègre du plus bel effet. Quant à la France, récemment David Enrique a introduit à ma demande une finition baptisée Havane dont la couleur chaude me fait fondre. Il est donc bel et bien possible de dégoter de belles brunettes, mais elles restent tout de même très minoritaires. C’est d’autant plus surprenant que Jim Cooke, le roi incontesté du sablage qui sert de phare à tout sableur ambitieux, présente régulièrement des sablées brunes rien moins qu’époustouflantes.

JT Cooke

JT Cooke

Cornelius Maenz

Cornelius Maenz

JT Cooke

JT Cooke

Ah que j’aimerais vous convaincre de la beauté des brunettes ! Pourtant, plutôt que de vous ennuyer avec mes piètres tentatives verbales, je vais me taire. Mais faites-moi plaisir et prenez un instant le temps de regarder ces quelques images. C’est fait ? Alors, dites-moi : est-ce que ces petites brunes chaleureuses et voluptueuses vous laissent vraiment de marbre ?

David Enrique

David Enrique