les bouchons de Semois

par Jean-Luc Bodeux

04/01/05

Cet article, paru dans le journal le Soir du 6 août 2002, est ici reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur.
Qu'il en soit chaleureusement remercié.
La photo est de Jean-Pierre Petyt, toujours présent !

Bouchons à tabac sortis de l'oubli

Le long de la Semois, un producteur de tabac remet au goût du jour le très réputé bouchon de pipe, qui fait le bonheur de tous les amateurs.

Dans la vallée de la Semois, ils ne sont plus qu'une poignée de planteurs, et encore moins de fabricants de cigares et de tabacs pour la pipe. Trois artisans en réalité. Joseph martin à Alle, les deux autres étant, à Corbion, Jean-Pol Couvert et Vincent Manil.

Tous trois croient encore en leur métier, qui n'est plus que complémentaire, à l'heure où le tabac est de plus en plus mis au banc de la société. Ce tabac, c'est autre chose que l'industriel, disent-ils. Le nôtre, c'est un tabac de dégustation, pour connaisseurs, plein d'arômes. Un tabac avec lequel il ne faut pas avaler la fumée, ce qui est nettement moins nocif. Donc, nous continuons avec force à faire vivre ce patrimoine.

Mieux, Vincent Manil innove. L'an passé, il avait déjà ouvert à son domicile un musée du tabac visitable tous les jours, de préférence sur rendez-vous, sous la guidance de son épouse Gwénaëlle qui vous parlera de la culture, rigoureuse, du tabac de la Semois, du travail de son mari (le découpage, la torréfaction du tabac), et présentera une multitude d'objets liés à cette culture traditionnelle en Semois, le tout dominé par des dizaines de superbes pipes de bruyère ou de terre d'Andenne, notamment.

Mais le tabac, produit qui peut paraître un peu rétro, mérite aussi des coups de renouveau. Voici quelques jours, Vincent Manil a recréé un produit qui avait complètement disparu : le "bouchon de pipe". Le fin du fin pour les amateurs.

Vincent Manil a recréé un produit complètement disparu

Un fabricant est toujours à la recherche de produits liés au tabac, dit-il. Je connaissais le bouchon, qui est à la pipe ce que son compère de liège est à la bouteille de champagne. Unique. J'ai retrouvé une boîte de bouchons chez un marchand à Namur. Certains amateurs le connaissent bien.

Il y a d'ailleurs un club de "fumeurs de bouchons" près de Tournai (voir ci-dessous). Mais leur matière première était introuvable. Le dernier fabricant, un Brugeois, a cessé ses activités il y a deux ans. Je me suis donc intéressé à la chose. Et de fil en aiguille, j'en ai parlé à un industriel de Flandre, qui avait gardé une de ces vénérables machines à bouchon au fond de ses hangars.

Vincent Manil achètera dès lors cet engin métallique mystérieux, tellement mystérieux qu'il n'y avait pas de mode d'emploi. On a passé des soirées à essayer de décrypter son fonctionnement, avec un ami, se rappelle-t-il. Tout se déchirait. Puis finalement, on y est arrivé, après avoir maudit tous les dieux du tabac...

Vincent reste donc secret sur le processus de fabrication. 90% du travail se fait manuellement. Il faut utiliser du tabac haché, généralement de la coupe moyenne, qui est enfermé dans plusieurs feuilles de tabac soigneusement découpé au cutter. Et c'est là qu'intervient la machine.

Au final, on a un superbe petit bouchon conique, qui s'insère dans la pipe. Le tout, après un travail patient. Vincent Manil réalise n effet de 15 à 20 bouchons à l'heure. Il les vend 2,5 euros. C'est donc par passion, pour ne pas perdre ce patrimoine. Et au bout du compte, le fumeur en a pour au minimum 1h30 de plaisir !

Mais pourquoi donc réaliser un tel "casse-pipe" alors qu'il y a du tabac à pipe tout haché ? Autre plaisir, autre goût, explique Vincent Manil. Les gens recherchent de plus en plus de tabac doux. Avec ce bouchon, la pipe ne chauffe presque pas. La circulation de l'air est différente et la fumée est donc froide, plus savoureuse. De plus, on évite le bourrage de la pipe, le rallumage souvent régulier.

Atelier-musée du tabac de la Semois, visite sur rdv, Vincent Manil, 10 rue Tambour, 6838 Corbion (061/46.81.29)

Amougies célèbre la Semois

Le bouchon, le club "les longues pipes" ou "les Jacob" d'Amougies, dans le Tournaisis, sait ce que c'est. Et pour cause. Le bouchon de tabac, c'est toute sa raison d'être depuis plus d'un siècle !

Mais voilà, si le lien d'amitié de ses fumeurs est ancré autour de la passion de se retrouver de temps à autre autour d'une "pipe bouchonnée", ces amateurs sont bien marris depuis deux ans, à tel point qu'à terme, l'association risquait de disparaître. Faute de trouver sur le marché le moindre bouchon.

Les derniers, nous les avons fumé lors de notre souper en 2000, lance M. Peereboom, le secrétaire. Avant, on avait retrouvé un nonagénaire de Bruges qui les faisait à la main. La dernière fois, en 2000, il nous en avait fait 400. On les a placés dans un coffret spécial pour qu'ils ne dessèchent pas. Puis ce fut la traversée du désert.

Une fois l'an, l'association organise le concours du meilleur fumeur de pipe, avec un bouchon. L'objectif : tenir le plus longtemps possible. Le record est de 2 h 37. Sans bouchon, on arrive à 1 h 15. On a bien essayé de faire des bouchons à notre manière, mais sans résultat. Et puis, on a rencontré l'an passé un représentant cubain qui savait en faire. Mais ce projet est tombé à l'eau, faute de temps et par peur des taxes trop élevées.

Vincent Manil s'annonce donc comme le sauveur. Il leur a envoyé deux bouchons, en guise de test, et peut-être d'hameçon. Ils seront, en tout cas, l'objet de tous les commentaires, lors de la prochaine réunion du club, à la mi-août. "Les longues pipes" les goûteront comme un cadeau tombé de la... Semois.