Le Jules Verne du taxi

par Roger Pierre

25/01/16

Pierre Alidière était-il fumeur de pipe ? Je ne sais. Mais si l'on voit souvent, au hasard des promenades sur le Net, des inventions pipières aussi bizarres que biscornues, celle-ci, la pipe à poire, méritait d'être mise à l'honneur. Finalement, c'est surtout la revue américaine Modern Mechanics qui lui a rendu hommage. En langue française, on ne trouve que cet extrait des souvenirs du comédien Roger Pierre, sur un site qui ne semblait plus trop entretenu, et que je voulais éviter de perdre - et qui depuis a disparu.

Il y a peu de chance que nous fumions jamais une pipe à poire, mais l'on pourra toujours signaler cette trouvaille aux taxis qui nous interdisent de fumer.

C'est un plaisir pour moi d'évoquer à présent un personnage extraordinaire que j'ai connu dans les années 50. Il était à la télévision l'inventeur de gadgets de l'émission "Trente-six Chandelles" du regretté Jean Nohain. Chacune de ses trouvailles provoquait des cascades de rires admiratifs.

Ancien chauffeur de taxi, il débuta en 1910. Deux millions de kilomètres parcourus. Sa voiture, immatriculée 5630 RK 6, était connue de tout Paris. C'était un musée roulant: quatre ailes en caoutchouc pour virages dangereux; réservoir à sable pour routes verglacées; périscope pour jours d'embouteillage; pare-chocs télescopiques pour créneaux de stationnement difficile. Côté agression, chacune des sept attaques dont il fut la victime donna naissance à une arme nouvelle! Le tube-alarme, un genre de stylo qui projette du mercurochrome à la figure du client. La matraque qui lance du poivre quand on s'en sert. Le bloc autodéfense: on appuie sur un bouton, un projecteur illumine l'intérieur arrière de la voiture, déclenche des flash et prend l'agresseur en photo! Autre bouton: une sirène à réveiller un arrondissement se met en branle. J'oubliais: le panier à salade transformé, qui pouvait coiffer la tête du voyou grâce à un système de fermeture style menottes (allez courir dans Paris avec un truc comme ça sur la bobine, déjà toute barbouillée de mercurochrome!)

Et je vous passe les petites inventions: ouvre-boîtes, tire-bouchons à ressort, chausse-pieds pour personnes obèses, chaussures à garde-boue et boîtes aux lettres transparentes, en passant par le pot de chambre avec canne vissée sur le rebord pour le monter "à hauteur" sans éclabousser la moquette.

Ne vous moquez pas trop vite! C'est lui l'inventeur du casse-noix à vis, des cartables fluorescents pour écoliers circulant la tombée de la nuit, avec feu rouge clignotant! Et surtout des voyants de taxis sur le toit des voitures: allumé, c'est libre; éteint, c'est en service. Cette invention fut agréée par la Préfecture de police. Mais les chauffeurs de taxi de France ont maudit Pierre Alidière, c'est son nom, Pierrot de Vitry pour les intimes, car il les obligeait à faire, à l'époque, quatre cents francs de frais pour installer ce système lumineux.

Pierre Alidiere

Contre les fous du volant, Pierrot avait inventé un "mouchard" branché sur le cadran de vitesse: au-dessus de 120, tilt! apparaissait une tête de mort luminescente, tandis qu'un bip-bip répétait inlassablement : TROP VITE! TROP VITE! TROP VITE!

J'évoquerai juste pour mémoire, la ventilation sans moteur pour auto, une hélice extérieure entraînant une hélice intérieure qui brassait l'air; la canne à poignée longue-vue pour les turfistes (qui sert aussi de cataphote la nuit); la carotte d'orientation pour scooter qui pivote en cas de changement de direction; la pipe qui ne s'éteint pas (il suffisait de presser une petite poire fixée sous le fourneau).

C'était un bien brave homme que ce Pierre Alidière qui m'appelait son "cadet" et qui n'a jamais vendu une seule de ses inventions! (Il en a trouvé deux cents). Son unique échec: il a voulu faire Paris-Cannes en dix jours avec un fiacre attelé. Il partit fièrement, avec sur la tête un melon gris. Une batterie dissimulée à l'intérieur du chapeau alimentait un feu blanc devant et un feu rouge derrière! Hélas ! le voyage fut court à cause du cheval... Il avait vingt ans et n'a jamais pu dépasser Fontainebleau !

Pierre Alidiere

Marchand de glaces, rue de Rennes, à Paris, en 1898