Christopher Herriot - Oiseau Briars

par Aleksander Niepokoila

04/11/23



Il me semble particulièrement utile de commencer cette chronique en remerciant quelques collègues fumeurs de pipes parisiens. C’est Hassan qui, le premier, a fait mention de Chris Herriot lors d’une discussion; mais je dois souligner la participation d’Amélien qui a ajouté une couche sur le sujet. J’ai fini par aller rendre visite à Instagram, pour aller voir de plus près le travail de l’apprenti pipier. Je voudrais bien en faire la présentation, mais il s’avère que le site qui héberge cette petite chronique s’en charge finalement mieux que moi : Chris Herriot

Pour les échanges écrits ou oraux, pas de panique : si les nôtres étaient en anglais, Chris parle très bien français. Autant vous le dire tout de suite, Chris est un homme extrêmement sympathique et à l’écoute des désirs de chacun. Il est aussi très admiratif du travail de ses collègues et mentors, ce qui le rend modeste et réaliste sur sa marge de progression. Il encourage les retours sur les bons points et les axes d’amélioration, il a envie d’apprendre et ça se sent dans ses paroles. J’espère qu’il gardera cette mentalité, car il a quand même un bon potentiel.

J’ai fini par lui commander une lovat lisse, avec un tuyau bien particulier (bleu/gris) qui me rappelait certaines Radice vues sur Al Pascia. Je lui ai donné un ordre d’idées pour les dimensions, en prenant une Morel comme référence, et j'ai insisté pour avoir un tuyau bien fin. Bien évidemment, un foyer vierge, s’il te plaît. Il m’a gentiment aidé pour choisir une bague qui irait bien avec le tuyau et la teinte de la pipe sans partir sur de l’extravagant. Elle sera donc crème. Comme quoi, il est bon de laisser le pipier faire quelques propositions.

Avant de m’envoyer la pipe, il l’a emmenée chez Bruno Nuttens qui en a profité visuellement avant moi (quel chanceux). Après une petite correction au niveau de la forme, Chris m’envoie les dernières photos (car il y en eut d’autres avant), et le colis arriva en quelques jours. Puisque nous avions parlé de tabac durant nos discussions, il m’avait dit m’envoyer un échantillon de quelque chose. Dans le carton se trouve en effet un bel échantillon de Ken Byron Ventures - Mr. Christian’s Raven Eye Flake. Une petite note écrite de sa main m’invite à profiter de ce qu’il a envoyé comme tabac. Vu qu’il aura vu cet article avant tout le monde, j’en profite pour le remercier ici, encore une fois, pour une telle générosité. Il faudra aussi que je lui envoie quelque chose à mon tour, histoire de boucler la boucle.



Concernant la pipe, il faut dire que j’ai été très surpris : les photos la rendaient la teinte bien plus sombre, et Chris m’expliquait avoir appliqué trois teintes : british tan, yellow et chocolate brown. N’empêche qu’elle est plus jaune/orangée que ce qu’on peut voir sur les photos, et c’est bien plus à mon goût. Malgré quelques petits sandpits qu’il faut aller chercher à des endroits stratégiques, et qui sont plutôt bien maquillés pour la majorité, je ne regrette pas d’avoir pris une lisse. Certes, le grain n’est pas le plus intéressant du monde, mais la pipe dégage de la chaleur. Chris aura le temps de trouver de plus belles bruyères plus tard. Concernant les lignes et l’harmonie, je vois bien que le pipier connaît son sujet. Non seulement il a respecté la fourchette des dimensions données, mais en plus il a bien compris l’intérêt de la forme.

Je note une chose qui, je le sais, peut choquer une personne qui cherche l’aspect traditionnel de la lovat : la tige présente un écart de 1,2mm entre ses deux extrémités. Cela était-il fait consciemment ? Sa réponse est la suivante : “Yes because I thought it was more elegant and showed off the bowl shaping. Of course it’s not meant to be like a Canadian….but just a little bit”. Il faut savoir que j’avais pris une de ses canadiennes en référence, au tout début. Le parti pris est risqué, mais apporte une touche que je n’ai pas trouvée déplaisante à l'œil. Disons donc que sa lovat est un mix de deux formes, pour être plus précis.

Pour ajouter encore plus d’originalité pratique et esthétique, Chris a choisi de faire un saddle non conventionnel, qui imite aussi la forme d’un taper. Oui, un parfait mix. Pour donner plus de résistance à la matière du tuyau (une résine, non pas une ébonite) qui peut avoir tendance à se courber avec le temps. Le problème, donc, est résolu avant même qu’il ne soit existant. Mieux vaut prévenir que guérir. Bref, ce n’est pas une question de manque de savoir-faire, Chris est capable de vous faire un saddle parfaitement normal avec de l’ébonite ou de l’acrylique, son Instagram peut en témoigner. Concernant la transition entre le tuyau et la tige, c’est plutôt du bon travail. Il n’y a aucun jour à constater entre la tige et le tuyau, malgré un tout petit-mimi-mini-gap au niveau du dessous de la tige, mais j’appelle ça chercher la petite bête. Sinon, on ne ressent quasiment rien sous les doigts. Chris m’avait informé travailler avec un tour à bois, et non à métaux. Il fera encore mieux lorsqu’il sera équipé comme il se doit. Du même côté, j’aimerais ajouter que l’intégration de la bague est juste parfaite. On ne sent rien, c’est doux, c’est beau. Pour terminer sur l’aspect dimensionnel, j’aimerais vous dire que Chris a réussi à me faire un tuyau épais de 3,48mm. Ai-je vraiment besoin de vous dire à quel point c’est confortable ? Et la douceur de cette lentille sous la langue, avec une ouverture de la lentille bien travaillée, que du régal. Pour reprendre une expression de mon jeune frère, “on a envie de lui faire des bisous”.

Allez, parlons perçages, mais rapidement. Tout. Est. Nickel. Aucune exagération de ma part : tout est centré, alésé, aucune poussière laissée, encore moins d’écharde ou je ne sais quelle autre connerie, et en plus grand ouvert de tous les côtés. Franchement, si vous regardiez l’intérieur de la lentille, vous n’en reviendriez pas. De l’espace profond, large, bien alésé, et doux (encore une fois) sous la langue. Il sait à quel point la sensation en bouche est importante, et ça se voit. La respiration est parfaite, évidemment, aucun sifflement à l’horizon… Du très beau travail.

Il reste un point à aborder, et je ne sais comment me positionner pour vous le présenter de manière objective, je vais donc vous raconter ce qu’il s’est passé. Quand j’ai ouvert mon colis il faisait déjà nuit, et j’ai donc inspecté la pipe avec une forte lumière jaune artificielle. Allez savoir pourquoi, mais j’ai décidé d’aller activer la lampe-torche de mon smartphone pour tout inspecter différemment. Sous cette lumière, des micro-griffures apparaissent sur la surface de la tête et de la tige. Je l’ai évidemment communiqué à Chris qui m’a immédiatement proposé de lui renvoyer la pipe pour corriger immédiatement ce problème, qui a supposé avoir peut-être fait tourner un peu trop vite son touret pour le polissage. Je lui ai dit que j’attendrai de voir à la lumière du jour si ces traces apparaissent ou non. J’ai profité d’une belle éclaircie pour examiner la pipe sous le soleil de 13h, bien que l’ayant déjà fait le matin, mais lors d’un temps nuageux. Bon. Ces traces sont cachées, quasiment invisibles à la lumière du jour. Est-ce que j’ai envie de faire ce correctif en renvoyant la pipe ? Flemme. Mais alors, une grande flemme. N’empêche que Chris a renouvelé la proposition professionnellement, et qu’il est au courant du détail. Perso, cela me suffit. Je vous laisse juger de la situation selon votre approche, mais je n’ai pas envie de m’en séparer quelques jours alors que je ne peux pas voir le défaut mentionné si je n’active pas ma lampe-torche.

Avant de passer au fumage, petite manie qui vient du taulier : le doigt dans le foyer, on tourne, on glisse. C’est lisse, c’est doux. Cette expérience n’arrive qu’une seule fois par pipe, alors autant prendre son temps. De la même manière, j’ai passé une bonne vingtaine de minutes à la fumer pour en goûter le bois à ma façon. Dans tous les cas, Chris m’a envoyé des Va/Pe/Cav, et je compte bien en essayer un dans sa pipe : je n’ai que très peu de pipes qui sont ouvertes à ce genre de mélange, donc autant essayer. Pour être bref, cela fonctionne. Je n’ai pas l’impression que le bois sublime le mélange fumé, mais en tout cas il supporte parfaitement le goût et sa structure tout le long. Pour avoir déjà testé le tabac dans une autre pipe, je trouve même qu'il ajoute encore plus de douceur. Allez savoir, mais je me suis profondément senti touché pendant la première fois où j’ai fumé la pipe. Non seulement à cause de son confort, mais aussi à cause de son poids oubliable, des saveurs délivrées, du tabac qui se consumait parfaitement et lentement. Ou bien cette pipe me rappelle la douceur et la gentillesse de son créateur, ou bien je deviens trop sensible.

Pour conclure, sachez que Chris va bientôt s’installer près de chez Bruno, qu’il va continuer à apprendre, à investir dans du bon matériel, à s’appliquer, et à progresser comme il se doit. Je projette déjà de reprendre une pipe à Chris, mais j’attends qu’il prenne sa cabine de sablage pour lui en parler plus en détail. Certes, il peut d’ores et déjà profiter de l’installation de Bruno pour produire des pipes sablées : avez-vous vu l’eskimo en mode Eltang sur sa page Instagram ? Une combinaison sympathique à mon sens. Cependant, j’ai aussi d’autres pipes sur le feu qui sonnent à la porte. Puisque le pipier est bien assisté, et qu’il possède la bonne mentalité, je pense pouvoir vous conseiller d’aller toquer à sa porte d’ici peu. J’ai déjà montré quelques modèles un peu plus complexes à notre cher ami, et cela semble pouvoir être possible un jour. Mais pour une pipe classique, si vous voulez une interprétation personnelle ou plus traditionnelle, je pense que vous pouvez lui donner le feu vert.