Testée pour vous : la Chacom 2016

par Erwin Van Hove

24/04/17
chacom 2016

Septembre 2015. Chacom présente sa pipe de l’année 2016 et, une fois n’est pas coutume, elle m’attire vraiment. Dès qu’elle est distribuée, je fais quelques recherches sur le web, mais 385 euros pour la finition la plus pure, c’est un prix que je ne mettrai jamais dans une pipe qui ne soit taillée et finie par un artisan respecté. A l’autre bout de la hiérarchie, 140 euros pour une sablée noire, ça me semble un prix correct, mais la qualité des sablages me déçoit. Bref, je laisse tomber. Jusqu’au jour où, un an plus tard, en me baladant sur le site de James Fox en Irlande, je tombe sur une jolie lisse à teinture à contraste. Le prix est bradé : 145 euros, port compris, alors qu’à l’origine cette finition coûtait 198 euros. Hop, elle est mienne.

A part le fait qu’elle me plaît, il y a une autre raison qui me pousse à l’acheter : je veux vérifier si Thomas Manzoni, le monteur chez Chacom, a dit vrai quand il a fièrement annoncé dans le forum que pour la pipe de l’année 2016, le producteur sanclaudien a revu et corrigé son cahier de charge technique. Voici les propos qu’il nous a tenus : Les becs des tuyaux ont radicalement changé. Il sont plus fins, plus ouverts (le V agrandi) et les lentilles, bien qu’encore en phase d'évolution, se verront plus fines et plus cohérentes. Les précédentes pipes de l'année souffrent encore de becs grossiers, mais celles-ci, ainsi que toute notre production à venir, se verront beaucoup plus adaptées à la demande du fumeur d'aujourd'hui, plus exigeant ! Quant aux perçages, celui qui débouche dans le foyer est de 3.5mm, celui du tuyau est à 3 mm. Fini le V d’antan à 2,5mm (ou 2, faut que je vérifie).

Ces propos m’inspirent d’emblée une réflexion. Si Chacom est vraiment à l’écoute du client contemporain exigeant, comment se fait-il que la série entière ait été percée en 9mm ? A part les pays germanophones, quel marché souffre d’une addiction au filtre 9mm ? Aucun. Et sûrement pas le marché local. Pourquoi donc faire gober à l’ensemble de la clientèle cette trappe à jus ? Pareilles pratiques me dépassent.

Par ailleurs, par le biais de sondages dans les forums, ce client contemporain exigeant a à maintes reprises et dans divers pays exprimé sans aucune ambiguïté sa préférence pour les foyers vierges. Or, voici que ma pipe est préculottée. Soupir. Ça me gêne d’autant plus que la plupart des Chacom 2016 que j’ai vues en photo, ne le sont pas. Vous comprendrez que ça me rend suspicieux : pour quelle raison décide-t-on de ne préculotter que certains foyers ? Se pourrait-il que cette couche noire serve à escamoter des défauts qui ne supportent pas la lumière du jour ?

Après ces interrogations préliminaires, passons sans tarder aux examens et aux tests pour déterminer si ma nouvelle Chacom tient la route.

chacom 2016

1. Extérieur

Quand je sors ma pipe de son coffret soigné, ma première impression est incontestablement positive. Les lignes sont harmonieuses et les proportions agréables à l’œil. La transition foyer/tige se fait de façon naturelle et élégante ; la tige conique évite le piège de la massivité typique des pipes conçues pour recevoir un filtre 9mm ; la forme du foyer est gracieuse, voire sensuelle ; le tuyau et son anneau décoratif en acrylique sont sobres et de bon goût. Rien à redire.

Le montage s’avère bien fait mais pas parfait : d’une part, au toucher je ne perçois nullement les passages entre les différents matériaux, d’autre part, il y a un léger jour en bas du montage, perceptible uniquement sous la lumière directe. Si le grain du bois n’a rien d’extraordinaire, c’est quand même un flame grain tout à fait correct qui suit assez bien la forme de la pipe. Quant à la finition, je tire mon chapeau : les surfaces sont parfaitement lisses, je ne trouve aucune trace d’outils, la teinture à contraste est appliquée de façon régulière, la finition satinée, qui s’avérera très stable, pare le bois d’un lustre modeste, mais distingué.

2. Confort

Pour son volume, la pipe est plutôt légère. N’empêche que ce n’est pas exactement le genre de pipe qu’on peut oublier en bouche pendant une longue promenade : son équilibre est tout sauf idéal, ce qui fait qu’elle tire vers le bas. Par ailleurs, même en mettant la pipe parfaitement à l’horizontale, ce qui demande un certain effort, je suis incapable de voir le dessus du foyer. Par conséquent, l’allumage doit se faire à l’aveugle. Dans ces conditions, non seulement il est impossible de vérifier si la flamme embrase toute la surface du tabac, en plus le risque de brûlure du dessus du foyer est réel.

Avec son épaisseur de 4,6mm, on ne peut pas dire que le bec brille par sa finesse. Pour moi qui suis habitué à des becs nettement moins épais, la sensation en bouche est donc peu agréable. Mais ce qui me gêne encore plus, moi qui adore les lentilles sensuellement arrondies, c’est que l’ouverture a des arêtes tranchantes. Compte tenu de mes repères personnels, c’est du travail passablement primitif.

3. Tirage

Avant de démonter ma pipe, je procède à un essai de tirage. Résultat : extrêmement décevant. C’est quand même pas croyable après tout ce qu’a avancé Manzoni. Quand j’enlève le tuyau, je vois immédiatement ce qui ne va pas : la pipe est livrée avec un réducteur qui est supposé transformer le perçage en 9mm en passage d’air conventionnel, mais sur ce réducteur est monté un zigouioui typiquement sanclaudien dont l’ouverture est franchement ridicule. Dès que j’enlève ce bout de métal, la pipe se met à respirer convenablement. Cependant, je ne suis pas encore satisfait parce qu’il y a trop de jeu entre le réducteur et le floc en 9mm, ce qui provoquera à coup sûr l’encrassement systématique du floc, et parce que le diamètre du trou de fumée dans le réducteur me semble trop petit. Je remplace donc cet adaptateur par un autre, d’origine allemande. Celui-ci se cale bien dans le floc et est pourvu d’une ouverture plus large. Désormais le tirage est vraiment aisé et naturel.

Une chenillette passe facilement du bec au foyer, ce qui prouve que les perçages sont bien alignés et suffisamment grands. Je sens d’ailleurs que le bec a été taillé en V et je constate que le trou d’air est percé comme il faut au centre du fond du foyer.

4. Goût

J’ai essayé d’enlever le préculottage au moyen d’un sopalin. Résultat : bien que je retire pas mal de poussière noire, la couche dure continue à adhérer aux parois. Il est clair qu’on a employé comme liant du verre liquide. Or, j’ai horreur de ce produit chimique qui scelle le bois et qui a tendance à déformer le goût du tabac. Je crains donc le pire quand je fais subir à ma Chacom 2016 l’épreuve du feu.

A ma grande surprise, dès les premières bouffées ma pipe se met à développer une saveur douce, nette, précise, impression qui se confirme au cours des fumages suivants. Ca alors ! Seul hic : en démontant la pipe refroidie, je retrouve à chaque fois une puanteur à laquelle je ne suis pas habitué. C’est le charme du système 9mm qui accumule de la condensation et qui s’encrasse à une vitesse vertigineuse. Bref, pour être certain de conserver les qualités gustatives de ma pipe, me voilà obligé de nettoyer systématiquement le réducteur, le floc et la mortaise. D’ailleurs après chaque fumage les têtes des cotons-tiges ressemblent à celles des mineurs à la fin d’une rude journée de travail. Qu’est-ce que je déteste ce foutu perçage 9mm !

chacom 2016

5. Conclusion

Certes, pour un pipophile habitué aux artisanales haut de gamme, cette Chacom présente plusieurs défauts et inconvénients. C’est un fait. Ceci dit, je suis certain que pour le typique client des marques sanclaudiennes, la Chacom 2016 est une réelle réussite. Compte tenu du prix fort démocratique que j’ai payé, même moi, je me sens vraiment satisfait. J’apprécie particulièrement sa forme, le soin apporté à sa finition, son tirage facile à condition d’enlever le zigouioui, et bien sûr son excellent goût. Jugé et approuvé.