Mes sorties en boites n°2

par Nightcap

19/10/15

Dark English Full 5110 de McClelland

Officiellement, il n’y a là que du bonheur, pour les amateurs des mélanges de sa Majesté. Le Dark English Full 5110 de McClelland est décrit comme un anglais fort, composé uniquement de Oriental/Virginia/Latakia, vendu en vrac. Et d'habitude, j'aime plutôt les McClelland.

D’ailleurs, ce truc obtient la note de 2,9 / 4, sur Tobacco reviews. Pas terrible, mais pas si mal...

Oui, mais voilà : suite à cet essai... il atteint royalement la note de 2 / 20, sur mon échelle de valeur tabagique.

Faisons vite. Rien qu'à l'ouverture... Visuellement, de gros brins très bruns, du roux, presque pas de blond, et du noir, beaucoup (pour être Dark, c’est dark). Rien qu’à le voir, tu te sens en deuil.
Mais ce n’est qu’un début…

Car ensuite vient le parfum, qui sort du sac : du sucre, du sucre, du sucre ; du pain d'épice, de la vanille poisseuse, de la pâte d'amande, et pour pimenter le tout, un petit fumet de caoutchouc brûlé ; tout cela bien plus que du Latakia ou de l'Oriental, tous deux réduits à une quasi inexistence.

Clairement, on nous ment. S'il n'y a pas du Cavendish bien saucé là-dedans, je m'appelle Bambi.

Au fumage, c'est pire. Tu as l'impression d'aspirer de la cassonade vaguement cramée, dans une pipe en calisson d'Aix (si, si, le calisson est bien présent...).

Peu à peu, certes, j'ai cru sentir quelques orientaux (Basma ?) qui venaient pointer un peu leur nez - ou plutôt qui venaient piquer mon appendice nasal, sans s'exhaler vraiment; sur un fond gustatif directement inspiré du caramel mou.

Après quelques instants, certes… j'ai aussi pensé voir passer un zest de latakia, vers le mi-bol... mais avec, en demi-teinte et en accompagnement, un tel enrobage d'odeur florale infecte, genre géranium, qu'on en vient à regretter le calisson.

Et par la suite... je n'ai plus rien senti, car j'ai fini par balancer cette s....e dans le tréfonds de mon cendrier (c'était çà, ou passer ma Zenith par la fenêtre).

Mieux : on m'avait dit que ce tabac poissait les pipes; eh bien c'est vrai (d’ailleurs, vu le sucre qu'il y a dedans, ce n'est guère étonnant).

Bref… faisons simple : ce "Dark full English" est à un blend Anglais ce que Disneyland-Orlando est à Cawdor, le château de Mac Beth. Une infamie en sucre d’orge.

A mon avis. ;-)

Tradition (1812) – Barling

A l’odeur, dans la boite : du fumé, bien fumé ; plutôt feu de camp, feu de broussaille, que goudron.
De l’encens, nettement.
Mais aussi, sous la fumée, se glissent des relents discrets de pommes qui surissent ; voire des notes de calvados fruité (genre : du calva de Domfront - la seule appellation de calva ayant le droit d’ajouter de la poire à la pomme).
De l’orange, également : un peu ; ou plutôt de l’eau de fleur d’oranger, toute en finesse. Des délicatesses du Sud, des douceurs mauresques entrelacées d’odeurs de feu de bois.

Genre : fin de soirée d’automne, dans les jardins de l’Alhambra, quand le parador a allumé ses grandes cheminées de pierre blanche pour y brûler de l’if.

Le tout est gourmand, fin, et même délicieux.
Donc, suspect.

Primo, ce n’est pas du tout, du tout ce qui est annoncé. Au dos de la boite, là où G.L. Pease t’aurait tartiné 145 lignes emphatiques pour t’expliquer combien son tabac est « grand », « immense », voire nirvananesque… les braves gens de chez Barling ont fait tout au contraire dans le télégraphique. On y lit simplement: « Full and strong in taste. Traditionnal English »…
En vertu de quoi tu t’attends à du brutal, du-qui-secoue, du blend pour homme. Et tu te retrouves avec quelque chose qui fleure plutôt la liqueur de dame, servie en sacristie dans une tasse à thé.

Secundo : je ne connais qu’un autre tabac « anglais » capable de glisser ce type de fragrances sous du Latakia massif : le Old Ironsides, de Dan Tobacco. Mais j’ai découvert il y a peu que, même dans l’Ironsides, ils n’avaient pas pu s’empêcher de glisser des cochoncetés chimico-aromesques…
Depuis, je me méfie.

Le Barling Tradition 1812, pourtant, a l’air « honnête ». Ces discrètes douceurs paraissent d’ailleurs assez « naturelles » - et peut-être même le sont-elles.

En tout cas, la comparaison avec l’Old Ironsides n’est totalement pas absurde. Le Barling, comme le blend de Dan Tobacco, est un anglais étrange, puisqu’il ajoute trois sortes de fumées diverses, qu’on ne réunit pas souvent. Du Latakia chypriote. Du Syrien. Et du Kentucky - dont je pense, au demeurant, de plus en plus de bien, lorsqu’il est de cette qualité.
A quoi j’ajoute des Virginias dorés.
Et de quoi je soustrais : les orientaux. Il n’y en a pas, dans le Barling. Et c’est quand même un paradoxe, pour un tabac qui se décrit comme « un anglais traditionnel ».

Au fumage, même quiproquo. Dans les premières bouffées, ce blend décrit comme « full and strong » déploie, sous un Latakia extrêmement policé, une élégance de jeune fille, des douceurs crémées, et en note de fond : une forte odeur de poudre d’iris – un peu comme si tu ouvrais le flacon d’un parfum de luxe des 50’s, oublié trop longtemps dans le tiroir d’un vieux meuble en acajou.

Plus : des fragrances d’église, ou plutôt de confessionnal ; des subtilités d’eau de Cologne de luxe, un très léger nuage de vanille. Même le Kentucky s’acidule un peu, pour jouer les Samsun, au point d’en faire presque oublier l’absence des orientaux.

Et l’ensemble, il faut bien l’avouer, est d’un dandysme fou.

Tiens, pour te distraire un peu, j’ose même une comparaison musicale : les premières bouffées du Tradition sont au tabac anglais ce que l’intro d’Aristocracy à la Jean Laffitte, par Ellington, est au jazz New Orleans (tiens, je ne résiste pas, c’est là : http://www.deezer.com/track/726972.

Mais pour un véritable amateur de tabac britannique, adepte indécrottable de choses plus corsées… faudrait pas non plus que ça dure trop longtemps.

Heureusement, les choses évoluent – et plutôt bien. Assez vite, le Latakia se fait plus charnel. Le poivre monte. Le Kentucky rajoute une pointe de subtilité, une note de clarinette, sur le Syrien et le Chypriote, qui ont laissé tomber la flute pour le saxo, voire - bientôt – la trompette.

In fine, le Barling Tradition se rapproche donc, alors, de ce pour quoi il se vend : un latakié un peu carré.
Mais en restant dans le mezzo vocce, joué en mineur.
Car sous le fumé, et jusqu’à la fin, il reste encore du complexe, en sous-note. Du précieux. Du rare. Du nanan.
Une odeur de bois de rose… Un arôme de raisins trop mûrs qui flétrissent au soleil… Et toujours un parfum d’encens, plus fort que je n’en ai jamais senti dans aucun blend… le tout se pavanant toujours dans des subtilités ecclésiastiques, des onctuosités de prélat, des finesses vaticanes.

La room note est à l’unisson : très élégante et fraiche : « De l’eau de toilette de grand luxe, avec des zests d’orange, des pointes de cardamone en note de cœur, sur fond de feu de bois », dit l’experte de la maison.

Des quatre tabacs anglais “polis”, des quatre traditionnels Mousquetaires du Latakia que je teste en ce moment de façon parallèle (Wessex gold ; Solani 779 ; Barling Tradition et Ashton 99) au moins c’est clair : celui-ci, sans nul doute, s’appellera Aramis.

Bravo. Mais comment te dire… ? Moi je préfère Athos au chevalier d’Herblay. Et globalement : d’Artagnan au chevalier d’Eon…
C’est clair, ce tabac est excellent. Mais… traite moi de vieux puritain… il n’en reste pas moins qu’il en fait vraiment trop, je trouve, dans ses féminines vocalises et ses douceurs d’église.

Pour rester dans la métaphore musicale… C’est comme le prélude en do majeur du Clavier bien tempéré… Surtout joué par Richter. C’est beau comme la parole éternelle. youtube.com/watch?v .
Mais si tu rajoutes sur cet air le lamento d’une voix de femme, pour en faire un Ave Maria… si beau que soit ce chant, à mon avis, tu gâches un peu. youtube.com/watch?v .
Bach fait parler Dieu. Et Gounod : la prière, donc l’homme.

Ben là, c’est un peu pareil. A l’excellence d’un anglais « classique » qui pourrait juste être divin, ce blend rajoute à mon goût trop « d’humanité », d’église … et de gourmandise.

Ceci posé, il faut le dire… ce Barling tradition est quand même un délicieux tabac, qui vaut le voyage.
Voire : qui vaut bien une messe…

A mon avis ;-) .

Wilderness, de McClelland

Les grands espaces, le Yukon, les Rocheuses, de la truite qui fait splash dans les torrents, des grizzlys qui font grrrrumpf en partageant fraternellement ta tartine au petit déjeuner ; sur l’écran les images de Jeremiah Jonhson - ou de Délivrance, si ça tourne mal… tout çà, tout çà.

Et au milieu fume un tabac. En tout cas, c'est ce que le titre veut évoquer : "Wilderness".

A l’ouverture, c’est sûr, ça sent le grizzly : du fumé, sec et clair ; du Latakia, bien affirmé ; de l’arôme viril. Mais plutôt rond, riche, sans être poisseux, animal plus que minéral, et peu d’acidité dans l’air : il y a du chypriote, là-dedans, oui ; mais aussi du syrien, c’est clair.

Par ailleurs, le fauve s’est un peu pomponné, la boite fleure aussi des choses plus subtiles. Un peu de figue, un très léger nuage de vinaigre de xérès, un zest d’abricot. De la vieille rose, comme une poussière de loukoum traînant sous le Latakia.

Allez, Nounours, lâche la tartine un moment, et avoue. Je la reconnais, ton eau de toilette. C’est Yenidze, de chez Oriental…

Avec, de plus, un petit fond de Basma (pour la rose) ?!
Chochotte, va.

Résultat : les premières bouffées sont très douces et parfumées.
Donc plutôt inattendues, pour un Anglais.
Et même plutôt étranges, au regard du contexte…

Le Wilderness, en effet, a un frère, un zest plus brutal. Issu du même papa, bien sûr. Fred Hanna.
Ce blender génial a notamment fait Samovar (une merveille de finesse, d'originalité et de complexité). Mais il a aussi inventé Legends - dont Wilderness est supposé être le "sister ship".

Legends, soyons clairs, est pour moi une vraie réussite.
Ce tabac se veut « une réminiscence des blends complexes et légendaires des jours passés ». Rien que cela. Mais la formule ne relève pas que la pub, ni de la vantardise : c’est un Anglais, sec, pas gras, équilibré, goûteux, épicé, boisé, dans la lignée des grands Dunhill d'antan ; avec, pour charmes multiples, des parfums foisonnants cachés sous tous les brins : cassis, raisins secs, cèdre, vanille, cardamone, clous de girofle...
J’exagère ? Niet. Je ne fais, dans cette liste, que reprendre les arômes décelés par nos chroniqueurs Charles et Simon dans leur très jolie revue croisée : bouffardesbavardes13.htm. Arômes que j’ai également décelés.
Auxquels personnellement, je soustrairais toutefois la girofle, que je n’ai pas sentie – mais on ne va pas se battre pour des clous… ;-)
Et à quoi je rajouterais des notes de prune, en milieu de bol.
Pas assez évolutifs, ont dit Charles et Simon. Mouais… Pas faux. Mais un tout petit peu quand même, je trouve. Je perçois notamment, vers la fin, des odeurs de cèdre qui se renforcent, que je trouve assez, voire très plaisantes.

Bref, comme d’habitude, tout ceci est très personnel. Mais Legends, bien qu’un peu « léger » sur le Latakia à mon goût, est selon moi un très – très bel Anglais.
(je sais, cela ne veut pas forcément dire quelque chose… mais ce n’est quand même pas pour rien qu’il obtient, sur Tobacco Reviews, la plus haute note obtenue par un tabac « anglais » : 3,8…)

Puis Hanna a produit Wilderness.

Au menu de ces 2 tabacs, la recette de base est la même, c’est celle des british blends classiques : LA / OR / VA (Latakia, Oriental, Virginie).

Mais pour le Legends, le Latakia est chypriote, l'oriental est d'abord constitué de Mahalla et de Drama; auquel on ajoute du Virginia rouge.

Pour le Wilderness, en revanche, le Latakia vient de Syrie, pour une bonne louche, avec une cuillerée de chypriote; et l'Oriental est d'abord composé de Yenidze et de Drama ; auquel on ajoute, également, du Red Virginia.

Bref, en gros, Legends et Wilderness, c'est la même chose… mais dans le Wilderness, le Latakia est aussi Syrien, et surtout le Yenidze remplace le Mahalla.

Pour ceux qui ne se sont pas plongés dans la dégustation de la série des grands orientaux de McClelland, permettant de goûter chacun des différents "tabacs turco-grecs-macédoniens" à l'état presque pur, çà ne raconte sans doute pas grand-chose, tout çà. ;-)

Mais la différence est sensible. Le Yenidze est plus piquant, plus parfumé, plus poivré mais aussi plus rafraichissant au goût; et comme le Drama, il sent - un peu - l'huile d'olive.

Résultat final : les premières bouffées du Wilderness sont, je l’ai dit, parfumées, fraiches et douces; davantage que celles du Legends, plus calé sur le Latakia en début de bol.
Mais la chose s'inverse par la suite. Le Syrien s’impose, même, assez vite ; et j'ai trouvé que le Wilderness, petit à petit, semblait un peu plus "fort" et un peu plus latakié que le Legends, en seconde partie. Voire plus complexe.

Après avoir enchaîné plusieurs bols en alternance, pour mieux comparer : c’est même clair. Les deux blends sont cousins. Mais différents, et c'est notamment les orientaux qui font la nuance. Le Wilderness est un peu plus "subtil", fruité ; le Legends plus "carré", salé.

On sent – aussi – dans le Wilderness, peu à peu, monter des arômes à foison : du cèdre, de l’olive, de l’orange confite, de la cardamone… Mais les Virginias, également, sont plus présents : odeur de foin classique, zest de citron, voire de bergamote - plus parfois, en fin de bouffée, quelque chose d’acidulé, d’étrange et de charmant, qui passe rapidement et ressemble à de la confiture de tomate…

Bref… il faut le dire, de nos jours, le grizzly des montagnes est gourmand, voire connaisseur. Bravo Nounours (tu peux reprendre ta tartine…).

Et le bilan est donc clair. Finalement, je trouve le Wilderness un peu meilleur que le Legends - que j'aime beaucoup, pourtant.

Trop léger, encore ? Un peu, un tout petit peu. Je n'ai pas tout à fait ma dose de Latakia et de puissance.
Mais franchement, c’est un excellent tabac.

A mon avis ;-)