Qu'est-ce qu'une pipe ?

par Bernard Mathieu

05/06/17

Quelques réponses simples aux questions complexes que pose l'habitude de fumer la pipe

1ère partie

Ami lecteur, si tu hausses les épaules et juges que la question ne vaut pas la peine d'être posée parce que tu connais tout de la pipe et du tabac, laisse tomber. Si, malgré ma mise en garde, tu lis plus avant, sache bien que c'est à tes risques et périls! Si tu te barbes, tu ne pourras incriminer que toi et ta fichue manie de finir ce que tu commences, ou ta propension irrépressible à lire tout imprimé qui te tombe sous le nez (C'est façon de dire, ami lecteur, je sais bien que tu ne lis pas avec le nez), incrimine qui bon te semble mais pas moi qui suis là que pour te distraire.

Je te fiche cependant mon billet que peu d'entre nous savent que dans la liturgie chrétienne la pipe est un chalumeau : autrement dit un petit tuyau avec lequel le célébrant, (L'ecclésiastique qui célèbre la messe pour ceux qui n'auraient jamais mis les pieds dans une église) buvait jadis le vin consacré.

À Saint-Denys le diacre et le sous-diacre communiaient à la grand-messe avec une pipe d'or (Ac. Compl.1842).

Basilique cathédrale de Saint-Denis

En langage contemporain libre ça donne : en 1842, le diacre et le sous-diacre qui officiaient à la basilique de Saint-Denis, où sont inhumés de nombreux rois de France, dont Dagobert, le chéri de tous les enfants, 42 de ses pairs, 32 reines, et une flopée de hauts personnages qui se croyaient très importants jusqu'à ce qu'ils ne se retrouvent définitivement à l'horizontale, le diacre et le sous-diacre, donc, lichetrognaient le vin du calice avec une paille en or. (Question perso. Est-ce que le diacre et le sous-diacre avaient chacun leur paille ou, méprisant l'hygiène, se servaient-ils tous deux de la même? Question subsidiaire : comment se débrouillaient-ils pour qu'on ne leur fauche pas leur précieuse paille en or?)

Ça vous la coupe?
(La chique)
A moi aussi!

Construction de Saint-Denis. Campagne de Dagobert Ier en Poitou.
Grandes Chroniques de France. Bibliothèque nationale de France.

C'est aussi avec ce genre de tuyau métallique que les Argentins et les Gauchos (prononcer gaouche), autrement dit les brésiliens du sud, sirotent leur maté : une herbe dont le seul intérêt, à mon sens, est de faire pisser si tant est que pisser présente un quelconque intérêt.

Pot à Maté et son chalumeau

Les célébrants cités plus haut avaient de quoi s'arsouiller puisqu'une pipe c'est également une ancienne capacité de mesure pour les liquides équivalant à un muid et demi d'aujourd'hui, soit quatre-cent deux litres environ !
Note bien, cher lecteur, que je parle ici du muid d'aujourd'hui parce que les muids d'hier et, plus encore, ceux d'avant-hier, pour s'y retrouver, pardon !
Le muid de Beaurieux, en usage dans le nord de la France et en Belgique, contenait 137 litres, le muid de Laon en contenait 145, celui de Paris 268. Celui qui avait le pompon c'était le muid de l'Hérault qui contenait 685 l.
Tu serais tenté d'en déduire, ami lecteur, ami fumeur, que l'ivrognerie est une affaire de gens du sud !
Que neni !
Ami, regarde autour de toi !

Quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels (...): voilà les états. J'oublie trois ou quatre cents pipes de vin qu'on y boit (Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe tome 1, dans l'édition de 1848, page 198)

Demeure de Chateaubriand à Combourg

Siroter quatre cent deux litres de pinard avec une paille en or, Seigneur !
Antoine Blondin aurait sûrement tenté le coup, moi pas. Suis une trop p'tite nature !

Sous l'ancien régime toujours, une pipe c'était aussi une grande futaille de capacité variable selon les régions et selon son contenu.

Ainsi, une pipe de cidre, une pipe de cognac ou une pipe d'eau-de-vie, n'avaient pas la même contenance. De plus, comme tu l'as vu à propos du muid, les contenances changeaient aussi selon qu'on était à Lyon, à Toulouse ou en Anjou. Imagine, ami lecteur, les embrouilles qui surgissaient entre marchands de gnôle.
Nombre de bourre-pif se sont échangés lorsqu'un Normand vendait une pipe de cidre à un Breton.
Ou quand un parisien achetait une pipe de cognac à un charentais.
- Ta pipe elle est pas à la taille !
- Ah bon?… Elle fait combien chez vous ?
- Trois pichet de plus !
- Tu me prends pour un branque ?… Sérieux, tu me prends pour un branque ?… (sur le ton de De Niro se regardant dans un miroir : “you are talking to me ?… You are talking to me ?” Taxi Driver, film de Martin Scorcese sorti en France en 1976)
- Traîne savate !
- Merdeux !
- Prends celle-là mon grand !
En résumé, sous l'ancien régime c'était le bordel !

Chargement d'un pinardier quai de la Lune à Bordeaux

La récolte de vin qui, en 1813, s'élevait à vingt-deux mille pipes, est tombée, en 1845, à deux mille six cent soixante-neuf. (Jules Verne, les Enfants du capitaine Grant, tome 1, page 61 dans l'édition de 1898.)

édition originale du roman

Nous avions pris à bord de chaque bâtiment soixante pipes de vin : cette opération nous avait obligés de désarrimer la moitié de notre cale pour trouver les tonneaux vides qui étaient destinés à le contenir. (Voyage de La Pérouse, tome 2, page 18 dans l'édition de 1797)

Louis XVI donnant ses instructions à la Pérouse.
Peinture de Nicolas-André Monsiau château de Versailles

En argot moderne, pipe désigne aussi le gosier : J'ai la confession qui m'étrangle la pipe (Raymond Queneau, Zazie dans le métro, Gallimard 1959 p. 220)

édition originale de 1959

Ou la mort avec : casser sa pipe.
Pour expliquer l'origine de cette expression, on raconte que, lors des innombrables guerres qui ont émaillé les règnes de nos rois, de nos reines, de nos princes et de nos empereurs, bon nombre de pauvres diables ont choppé de la ferraille dans la carcasse. Lorsqu'un membre était touché, il fallait l'amputer.

Valise de charcuteur fin XVIIIème

Comme l'anesthésie n'existait pas encore, on saoulait le blessé d'un grand pichet de rhum, on lui collait une pipe entre les dents dont il mordait le tuyau pour contenir ses cris et c'était parti !
“Passez-moi la scie ! Passez-moi le marteau !” commandait le chirurgien à ses assistants (À l'époque, les règles de l'hygiène étaient totalement inconnues. Chirurgien et assistants passaient donc à la table d'opération sans même se laver les mains. Tu imagines la suite, ami lecteur, pas la peine que j'te fasse un dessin !)
Et que je te scie et que j'te charcute et que j'te rabote…
Et ça durait, ça durait…
Et le pauvre amputé bêlait, bêlait, bêlait…
Résultat des courses, des montagnes de guiboles, de bras, d'arpions, et de mains finissaient au panier.
Au jeu du “je te découpe tout vif”, des types ne supportaient pas et y laissaient leur peau. La pipe tombait par terre et se cassait puisqu'à l'époque, les pipes des soldats étaient en terre.
“Il a cassé sa pipe l'andouille ! Grommelait le chirurgien ? Tout ce boulot pour rien ! Bon, au suivant”

Je jure sur la tête de ma première vérole,
Que cette voix, depuis,
Je l'entends tout le temps.
Au suivant, au suivant.
Cette voix qui sentait l'ail et le mauvais alcool,
C'est la voix des nations et c'est la voix du sang
Au suivant, au suivant

" Au suivant " Mr Jacques Brel - 1964 - YouTube

Vrai ou faux ? Pour ma part je n'en mettrais pas ma main au feu, ça me semble trop futé pour être vrai… Dans le même genre on prétend que c'est Henry IV qui serait à l'origine de l'expression : en deux coups de cul hier à Pau.

Les chirurgiens de Mash, le film de Robert Altman, qui opéraient durant la guerre de Corée, aussi mal équipés qu'ils fussent, disposaient d'infiniment plus de moyens que leurs collègues de l'Empire, sans parler de ceux qui se sont farci la guerre de 7 ans, dont les principales batailles comme celle de Zorndorf, du 25 août 1758 ou celle de Kunersdorf du 12 août 1759 ont été de convaincantes répétitions des hécatombes modernes.

C'est bien la pipe en terre, qu'on cassait aux stands de tir, qui a engendré l'expression : aller au casse-pipe. Partir à la guerre.

Casse-Pipe forain en Grande Bretagne

Casse-pipe”, est un roman inachevé de Louis Ferdinand Céline publié en 1949 aux éditions Frédéric Chambriand.

Ré édition de Casse-pipe e collection Folio, illustration de Tardi

On dit aussi, et on écrit également : “se fendre la pipe”.
Se fendre la Pipe ?
Quelqu'un aurait une pipe à fendre ?
Ou quelqu'un aurait un pipe à vendre ?

C'est tout pour cette fois ami lecteur.
Tu sais, bien sûr, que nous sommes loin, et même très loin, d'avoir épuisé le sujet, tant celui de la pipe est, sinon inépuisable, en tout cas bien plus vaste que les quelques mots écrits ci-dessus.
Alors bye bye, l'ami, à bientôt, ciao belo !
Et bonnes pipes !






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