d Fumeurs de Pipe - Littérature

Poèmes

Charles de Ryle

La Pipe

poème tabaco-didactique
Charles de Ryle 1862

Chant premier

Ici je ne viens point des poèmes épiques
Célébrer les sujets, dans des chants héroiques,
Vous dire les exploits des vainqueurs d'lion,
Les amours de Renaud ou les pleurs de Didon.
Mon orgueilleuse plume encore s'émancipe
En louant le tabac, en célébrant la pipe.
À mon secours, Nicot! héros trop ignoré
Qu'avec un saint respect la Grèce eût adoré.
Gloire à toi! le premier tu donnas à la France
Le bien consolateur de l'humaine souffrance.
Dans un temps malheureux, de ta patrie en pleurs
Ta main, par ce présent, sut calmer les douleurs.
À l'Espagne il fallait cette gloire seconde
De trouver le tabac avec le Nouveau-Monde:
Mais bientôt tu devais, illustre ambassadeur,
Faire au peuple français partager cet honneur...
Au tabac pourquoi donc donner un nom profane
Pourquoi ne pas toujours dire Nicotiane?
Ainsi nous avons vu supprimer le vrai nom
Du légitime enfant de Christophe Colomb,
Et le monde laisser, par un arrêt inique,
Un obscur Florentin baptiser l'Amérique.
N'importe, à ta mémoire on doit le mème honneur
Que I'on nomme ta plante herbe du Grand-Prieur,
Herbe de Sainte-Croie, Yoll ou Médicée,
De quelque autre façon qu'elle soit baptisée,
Que pour parrain enfin elle ait pris Tabaco.
II faut toujours crier : honneur à Jean Nicot !

Charles de Ryle



Dirai-je du tabac les mémorables luttes,
Et combien il causa de savantes disputes ?
Dirai-je ses efforts pour se faire accepter ?
Sur combien d'ennemis a-t-il dû l'emporter
Pour pouvoir dans la France établir son empire,
Pour qu'à le tolérer le monde pût souscrire !
Urbain, Elisabeth, Médicis, Amurat,
Tyrans dont il blessait le sensible odorat,
Ou bien de l'Angleterre un roi pusillanime,
Dont I'esprit rancunier le choisit pour victime,
Cent autres, dont les noms, du fumeur détestés,
Ne valent même point l'honneur d'être cités,
Pendant un siècle entier, sur la divine plante
Jetèrent à l'envi leur bave diffamante...
La fortune changea du moment ou Jean Bart,
Pour défendre la pipe, à la lutte prit part.
Honneur à lui! ce fait aux pages de l'histoire
L'ennoblit à mes yeux plus qu'aucune victoire
C'était un temps illustre, et nos hardis vaisseaux
D'un gouvernail vainqueur des mers fendaient les eaux.
L'Anglais n'était plus rien, et sa flotte détruite
Du feu de nos canons s'éclairait dans sa fuite.
Près des Duguay-Trouin, des Léry, des Cassar
Brillait d'un vif éclat l'audacieux Jean Bart,
Fumeur aussi fameux que marin intrépide.

Charles de Ryle



Louis Quatorze un jour de le voir fut avide ;
Et, pour l'encourager dans ses nobles travaux,
Au palais de Versaille il manda le héros.
À la cour du grand roi le grand Jean Bart arrive
Mais sa pipe un instant restera-t-elle oisive?
Non pas : il l'a chargée, et fume gravement;
Jean Bart attend Louis, mais attend en fumant;
Et Louis , respectant cette innocente audace,
Reconnut que partout la pipe est à sa place.
Sois fier, divin tabac : c'est un honneur pour toi
D'avoir été fumé dans le palais d'un roi,
Et peut-être va-t-on, gràce à ce bel exemple,
À la place d'encens te brûler dans un temple !...
Fallacieux espoir! météore éclatant,
Tu ne brillas qu'un jour, et rentras au néant.
Mais, comme le Phénix, ingénieux emblème,
Tu devais un matin renaitre de toi-même..
Cest toi que savouraient, par des tubes grossiers
Nos soldats d'ltalie, en cueillant leurs lauriers;
C'est toi qui, dans les champs de l'Egypte brûlante,
Soutenais, redoublais leur valeur chancelante,
Et mèlais ta fumée à celle du canon.
Chaque jour, depuis lors, vit croitre ton renom;
Et notre époque, enfin, vient sceller ta conquête,
Couronner ton triomphe et le porter au faîte.
En tous lieux aujourd'hui le tabac vénérẻ
Des grands et des petits se trouve idolåtré.
Lorsqu'un matin Paris revit la république,
L'art de fumer devint un art tout politique.
N'avons-nous pas choisi pour nos représentants
Des hommes, sur ce point, de mérite éclatants?
Témoin ce partisan de la démagogie
Qui changea notre Chambre en vaste tabagie;
Dont I'unique talent était d'ètre fumeur,
Et, bien que sans-culotte, excellent culotteur.
Voulant sur son savoir bâtir sa renommée,
Il lançait dans les airs des flocons de fumée.
Et puis fumait encor; croyant par ce moyen
D'un grand homme d'Etat se donner le maintien.
Dans ces temps, si féconds en singuliers principe,
La France appartenait aux culotteurs de pipes;
Et nous devons au moins à ce gouvernement
De savoir que l'on sert son pays en fumant,
Que, dans les sombres jours, pour sauver la patrie
C'est la pipe qu'il faut, et non pas le génie.
À quel tabac donner ici le premier rang?
Est-ce à toi, varinas? est-ce à toi, maryland?
Faut-il plutot offrir la palme au virginie,
Ou doit-on mettre avant le tabac de Turquie?
Lequel viendra primer entre tant de rivaux?

Charles de Ryle



En citerai-je un seul exempt de tous děfauts ?
Ici, comme toujours, c'est encore à la France
Qu'on doit , sans hésiter, donner la préférence.
Mon choix n'est pas celui d'un juge partial,
Car la France aux fumeurs fournit le caporal.
Quel rival lui trouver dans toute la nature,
Possédant comme lui cette saveur si pure,
Cet arôme si franc, ce bouquet parfumé
Qui vous ravit encore après qu'on a fumé ?
Ah! qu'ils sont loin de lui ceux que la contrebande
S'efforce d'importer de Suisse ou de Hollande !
Et qu'il l'emporte aussi sur les produits plus fins
Créés pour le palais des fumeurs fémiins !
Pour ces plantes sans ètre aucunement sévère,
Je ne les admets point dans nos pipes de terre :
Vouloir les y brûler est une grave erreur
À peine pardonnable au novice fumeur;
Car ceci , selon nous, est un premier principe :
Pour choisir le tabac voyez quelle est la pipe.
Ainsi dans ce fourneau tel vous semblera bon
Qui, brùlé dans un autre, parait nauséabond.
Le canaster germain aux pipes d'Allemagne;
Roulez dans le papel le doux tabac d'Espagne;
Que l'esclave à genoux aux vases d'Orient
Prodigue à pleines mains les produits du Levant
II faut que de Cuba les trésors fins et rares
Aux mains du fabricant se forment en cigares ;
Enfin, que, tel qu'un prince en un chàteau royal,
Au sein de nos brûlots règne le caporal.
Des feuilles de tabac en cylindre assemblées,
Et dans une autre feuille étroitement roulées,
Composent le cigare, apanage pompeux,
Privilége exclusif du fumeur fastueux.
Sans être du cigare un ardent prosélyte,
Loin de moi le dessein de nier son mérite !
Lorsqu'il est doux et sec, qu'il brûle également
Il vous pourra parfois causer de l'agrément.
Au sortir d'un salon où la valse brillante
À rempli de son charme une nuit enivrante,
Ou lorsque le café couronne le festin
Que réglèrent les lois de Brillat-Savarin,
Moi-mème, grand fumeur, hautement je déclare
Que je comprends fort bien la valeur d'un cigare
Qu'on le nomme londrès, puros, panatellas,
Manille, trabucos, regalia, damas,
Qu'il soit belge, français, ou bien qu'il se pavane
D'une origine prise au sol de la Havane.
Peu m'importe; j'admets celui que vous aimez
Et je l'estime aussi dès que vous l'estimez.
Du cigare orgueilleux sœur mignonne et coquette
Faut-il parler de toi, gentille cigarette?
Je sais t'apprécier, ne crains pas mes dédains.
Légèrement roulée en de légères mains,
La cigarette plait aux bouches féminines,
Aux novices du palais , aux lèvres enfantines;
Pour I'ardente Italie a des attraits puissants.
Et du fier Andalous sait charmer les instants.
Lorsqu'elle est avec art de maryland bourrée,
Au fond de l'estomac sa fumée aspirée
Sur nos sens fait peser une douce torpeur;
Et nous croyons sentir, vaincus par la langueur.
Assoupis par l'ivresse ou sa force nous jette,
L'opium d'Orient travailler notre tète.
Par la femme surtout aimée avec ardeur,
De la Parisienne elle fait le bonheur :
Qu'elle est follement chère aux petites maitresses !
Qu'elle sait leur ravir de suaves čaresses !
Dans les boudoirs de soie objet d'un tendre soin,
Des mystères d'alcôve elle se voit témoin;
Que souvent, succédant aux amoureuses fièvres.
Elle effleure à son tour de séduisantes lèvres !
Réfléchis, jeune femme, être capricieux,
Alors que la vapeur devant tes jolis yeux
Déroule lentement ses légères spirales.
Ses nuages obscurs, ses tortueux dédales,
Réfléchis que c'est là l'image des serments
Dont tu sais enivrer tes crédules amants,
Quand ta bouche promet éternelle constance.
Oui, de cette fumée ils ont la consistance;
On les croirait à tort d'un poids un peu plus grand
IIs s'envolent comme elle au gré de chaque vent.

Chant deuxième



Dites quel fut celui dont l'utile génie
À de la pipe un jour enrichi la patrie.
Dites-le pour qu'ici, joyeux, reconnaissants,
À ce mortel divin nous prodiguions l'encens.
Ce héros, qu'il faudrait adorer sur la terre,
Dont le nom devrait ètre en tout pays vulgaire,
Dans un linceul obsur repose enseveli;
Et le temps a passé, le laissant dans l'oubli.
Je ne puis murmurer ce nom avec tendresse,
Comme l'amant heureux celui de sa maitresse,
Car la France, égoiste, ingrate en son bonheur,
Profite du bienfait sans en savoir l'auteur.
Que la pipe, au contraire, aux plus lointains
Se trouve environnée et d'amour et d'hommages
L'Indien vous dira, beau de naiveté,
Que le calumet vient d'une divinité,
Parcourez les tribus des nomades d'Afrique,
Le chibouck est pour eux la plus sainte relique
Et toi, fruit merveilleux du génie ottoman,
Narghileh! que tu sais captiver un sultan,
Quand il puise en ton sein une douce fumée
Qui dérobe à l'essence une odeur parfumée !
Couché dans le sérail sur des divans soyeux,
Et charmant à la fois son palais et ses yeux,
Qu'il aime à partager ses ardentes caresses
Entre sa chère pipe et ses belles maitresses !
Le tabac et l'amour, sources de ses plaisirs,
Se disputent entre eux ses paresseux loisirs;
Et, tout en s'enivrant auprès de ses captives,
De leurs regards de feu, de leurs poses lascives
II fume tout le jour, et ce n'est que le soir
Qu'il délaisse sa pipe et jette le mouchoir.
Que tu dois tre fière, ô pipe orientale,
De l'emporter parfois sur ta belle rivale !
De voir le Grand Seigneur, renonçant à l'amour
Chaque matin te faire un fidèle retour,
Et préférer alors ton vase diaphanel
Au corps voluptueux de la belle Persane !..

Charles de Ryle



Je ne veux pas ici parcourir l'univers
En parlant des fumeurs de cent peuples divers;
Car la pipe sur terre en tous pays abonde,
Et chaque heure en apporte une nouvelle au monde,
Cependant je désire éloigner votre choix
Des godets de métal ou de corne ou de bois,
D'ambre ou de corossol ; des pipes étrangères
Devant leur origine à de rougeatres terres,
Tels sont les fourneaux turcs, ou des rives du Nil
Croyez-moi, vous pouvez les laisser en exil.
Fumez-les quelque temps, et vous verrez leur terre,
Pour le jus du tabac terre inhospitalière,
Repoussant de son sein ce suc âcre et mordant,
À vos lèvres porter un liquide ofensant.
La pipe de faience est la pipe germaine :
Devant elle je dois mettre un frein à ma haine.
L'Allemand du mauvais sait distinguer le bon,
Et quand il a dit oui, je n'ose dire non.
J'accepte de grand ceur notre tête d'écume,
Quand dans les premiers jours un autre me la fume,
Mais je la veux jaunie, et la rejette loin
Si de la commencer on me laisse le soin.
De même que l'ami modeste, mais fidèle,
Vaut mieux que le flatteur qui vient prồner son zèle,
De même que le bon surpasse le brillant,
Et l'homme de mérite un adroit intrigant,
Ainsi la pipe blanche en argile grossière
Surpasse, à mon avis, toute rivale altière.
Aux yeux du vrai fumeur c'est la modeste fleur
Qui bientôt se trahit par sa suave odeur,
Et que l'on choisira, malgré les apparences,
Avant cent autres fleurs aux brillantes nuances.
C'est elle qui, trônant au sein de l'atelier,
Distrait dans ses labeurs le vaillant ouvrier :
De son zèle au travail aiguillon salutaire,
Elle seule lui fait oublier sa misère,
Soutient son énergie, et sait tromper sa faim :
L'ouvrier a sa pipe, il se passe de pain
Tant qu'il peut la fumer, pour lui pas de souffrance;
Mais s'il doit la quitter, forcé par l'indigence,
Vous le voyez rêveur, découragé; ses bras
Retombent fatigués et ne travaillent pas...
Combien je la préfère, elle, simple et commune,
À ces joyaux de prix créés pour la fortune,
Aux précieux fourneaux d'ambre et d'or incrustés,
Et par d'habiles mains adroitement sculptés !
Chefs-d’œuvre de talent! élégantes merveilles !
Non, vous ne valez point les filles de Marseille;
Les produits de Gambier, la pipe Fiolet,
Qu'enfantent par milliers Saint-Omer et Givet;
Celle qu'à juste titre on chérit en Hollande:
La grossière Bretonne ou la lourde Flamande;
Pipes d'emploi vulgaire, et qui, d'un seul morceau
Nous offrent à la fois la tige et le rameau.
D'autres sont des foyers, et, pour étre complètes,
Exigent des tuyaux qui s'adaptent aux têtes.
Comment décrire ici les sujets variés
Par les doigts du sculpteur tour à tour copiés ?
Là, c'est d'un vieux grognard l'imposante figure
Ici, c'est d'un coursier la tête et l'encolure,
Près d'eux Abd-el-Kader : la face de l'émir
Loin des feux du désert va cependant brunir :
Son aspect est sauvage, et sa barbe argentée
Couvre de flots épais sa figure effirontée,
Et, renversant les lois de l'inflexible temps,
Au lieu de se blanchir noircit avec les ans.
Voyez cet écrivain, enfant de notre époque,
Dont le nom bien connu prêtait à l'équivoque:
L'artiste modela sa tête en un soulier.
Et l'on devine ainsi le nom du romancier...
Un souvenir, qu'en moi réveille cette tête,
Du fond de mon sujet me détourne, et m'arrète:
I| faut que je remplisse un devoir d'amitié :
Eugène, de moi-mème ò seconde moitié !
Qui de nous oserait ne pas te reconnaitre
Dans l'art du culotteur pour modèle et pour maitre
Qui n'eût pas admiré ton talent infini,
Lorsqu'en deux jours par toi ce soulier fut bruni
Et que deux jours après, ô chose surhumaine !
Sa nuance foncée était couleur d'ébène!

Charles de Ryle



Nous rencontrons aussi de ces sujets joyeux
Tels qu'en taillait Pradier d'un ciseau gracieux.
Là, je vois de l'amour l'enivrante déesse
Etalant à nos yeux sa gråce enchanteresse.
Plus loin, Léda, la blonde, et son volage amant
Couple tout à la fois et lascif et charmant,
Couple voluptueux que Cupidon assemble.
Du suprème bonheur ils jouissent ensemble :
Le cygne, haletant et le regard en feu,
Dans un moment si doux s'applaudit d'etre dieu,
Et Léda, s'enivrant d'amour et de luxure,
Avec emportement outrage la nature.
Si ce groupe impudique au tabac fait accueil.
Le cygne en peu de jours se vêtira de deuil;
Et Léda, regrettant une amour immorale,
Loin d'elle jettera sa robe virginale :
De leur méfait honteux juste expiation,
Qui leur vaut du fumeur I'estime et le pardon.
Habile est l'artisan dont un effort suprème
Un jour utilisa jusqu'à cet homme même,
Chimérique rêveur d'un nouvel univers,
Dont la plume hardie, en des écrits pervers,
De la propriété reniait le principe.
Il copia sa tète, il en fit une pipe...
Un complet changement soudain s'est opéré :
Ce cerveau , vide hier, est aujourd'hui bourré;
Mais tout son contenu. sans laisser une trace.
Se dissipe en vapeur, et se perd dans l'espace.
Dans ces objets chéris lorsque je dois choisir.
Il en est un qui sait arrêter mon désir;
Pour lequel constamment mon amour fut extrême :
Marseillaise, c'est toi, c'est toi surtout que j'aime !
Toujours je t'ai fumée et fumerai toujours,
Ô pipe, ma compagne! ô pipe, mes amours !
De tout temps on l'a vue au quartier des écoles.
Dont les fumeurs jamais ne font de choix frivoles.
Etre des råteliers l'ornement et l'honneur,
Et de l'étudiant s'attirer la faveur.
Regardez-le passer, son béret sur la tête :
Comme il sait mépriser notre sotte étiquette !
Il a sa Marseillaise, il fume gravement;
Il est fier de fumer lui seul ouvertement;
Et son esprit rétif n'admet pas le principe
Qui souffre le cigare et rejette la pipe.
Il est étudiant, pour lui tout est permis.
Durant les longs hivers, avec de bons amis
Devant l'âtre brillant il passe ses soirées :
Le punch est allumé, les pipes sont bourrées :
Aux propos enjoués succède un gai refrain;
Puis pour recommencer il a le lendemain.
Il ne trouve la joie au fond de la bouteille,
Que s'il joint la fumée à sa liqueur vermeille;
Et jamais de plaisirs sans sa pipe il ne voit...
Ah ! qu'il est beau pour nous le temps de notre droit !
Dans le quartier latin, de plaisirs couronnées
Pourquoi ne pouvons-nous remplir nos destinées !
Et loin de lui pourquoi devons-nous voir le temps
Sur son aile rapide emporter nos vingt ans !
Là, pas un seul chagrin qu'une heure ne dissipe
Là, point d'autre souci que de brùler sa pipe.
Comme um fidèle ami considérant le sort,
On s'éveille content, et joyeux on s'endort...
Mais il faudra demain sur la mer de la vie
Errer, en supportant la fortune ennemie.
Voyez ce bol de punch qui flambe sous vos yeux;
Son feu vif et brillant s'élève vers les cieux,
Il redouble de force, il tend à les atteindre;...
Comme vos jours heureux bientòt il va s'éteindre.
L'étudiant, ce roi des culotteurs français,
Pour lequel chaque pipe offre un nouveau succès,
À cependant son maitre : oui, pour si haut qu'il vaille,
Du fumeur germanique il n'atteint pas la taille.
Faisons ce triste aveu, tout en prenant le deuil;
Il faut à la justice immoler notre orgueil.
Qu'il est beau le Germain au fond des brasseries.
Abandonnant son åme au cours des rêveries !...
Il songe, fume et boit : car, ainsi qu'en naissant
Un enfant a besoin d'un lait adoucissant
Qu'il puise sans leçon dans le sein de sa mère,
De même aux Allemands la bière est nécessaire.
Pourquoi le ciel, jaloux de mon heureux destin.
Ne m'a-t-il pas fait naitre aux rivages du Rhin ?
Oui, j'envie aux Germains leur brumeuse origine,
Quand je vois leur amour pour la liqueur divine.
Pour la rude boisson dont la saine saveur
Du tabac sait si bien purifier l'odeur.
N'est-ce pas ton avis, digne enfant de I'Ardenne.
Qui ne fumes jamais que ta choppe étant pleine,
Qui, chaque soir, au fond d'un vieil estaminet.,
Cultives avec soin la pipe et le piquet,
Et que je n'ai pu voir déroger au principe
De faire emplir ton verre en rechargeant ta pipe.
Je n'ose te nommer sans ta permission.
Et pourtant il me faut une rime,... Brion.
La bière au Hollandais est également chère;
Mais dans I'art de fumer que de tous il diffère !
Cet indolent fumeur, ami de nouveauté,
Toujours de son brûlot veut la virginité;
Et dès quil a senti ses ardentes caresses,
II le livre un instant aux flammes vengeresses,
Le fume encore, et puis le recuit aussitôt.
Insensé ! d'ignorer la bonté du culot!
De maltraiter sa pipe, et de vouloir chez elle
Ce que le fiancé désire de sa belle !
Loin de vous cet exemple, ô novices fumeurs !
Entretenez l'espoir d'être un jour culotteurs.
Étudiez à fond ce secret diflicile.
Ne vous rebutez point d'une épreuve stérile.
Redoublez vos essais; mais avant, pesez bien
Ces importants conseils d'un grand praticien :
-Le tabac, que du doigt dans la pipe on entasse,
Doit présenter partout une égale surface :
Sur la cendre rougie appliquez le fourneau,
Aspirez lentement; que chaque effort nouveau,
Qui transmet au palais la vapeur enivrante,
Entretienne avec art le feu qu'il alimente.
Lorsque vous rechargez nettoyez le brûlot,
Et que jamais au fond ne reste le culot :
La tête, sans ces soins, par le jus amollie,
Aurait jusqu' au sommet sa surface salie.
Gardez-yous de le mettre en d'humides endroits
Au råtelier il faut l'oublier quelquefois :
Quand vous le reprenez, qu'une valeur nouvelle
Vous excite au travail et double votre zèle.
Chaque jour, sa sueur, le perçant plusieurs fois,
Du fourneau brunira les terreuses parois,
Et sur ses flancs bientôt une ceinture noire
Viendra se dérouler sous le turban d'ivoire.
À juste titre alors montrez-vous orgueilleux :
Pour moi, d'un tel trésor noblement envieux ,
Je m'écrie en voyant cette rare merveille :
Bienheureux qui possède une pipe pareille !
J'en avais une; mais le sort fatal, hélas!
Me prouva que tout doit succomber ici bas.
Ô chère pipe ! toi, dont mon âme était fière,
Comme de son enfant l'est une jeune mère,
Toi, sur qui je veillais avec un zèle ardent,
Que sans cesse entourait le soin le plus prudent,
Toi, qui dans tout Paris n'avais pas de rivale
Toi, qu'en un jour de deuil, une chute fatale
Devait de ton ami pour jamais séparer,
Maintenant tu n'es plus; mais je puis te pleure
Des bienfaits du culot comblée avec usure,
N'ayant jamais appris ce qu'est une brùlure,
Que tu fus belle, amie! et que facilement
Tu mêlais tes baisers à ceux de ton amant !

Charles de Ryle



Qu'elle était parfumée et douce ton haleine !
Mariant avec gràce et la neige et l'ébène,
Que tu me fis honneur! et combien de jaloux,
Lorsque je te bourrais, te faisaient les yeux doux
Ô pipe bien-aimée ! ô charmante maitresse !
Que je t'ai dù souvent de longs moments.d'ivresse.
Et que souvent j'ai pu, par notre intimité,
D'un code repoussant adoucir l'âpreté !...
Du moins, puisque d'après le sort commun,
Sous le coup de la Mort doit un jour disparaitrai
J'aurais voulu la voir tomber au champ d'honneur
Dans une belle nuit de fète et de bonheur,
Lorsque, fou de jeunesse et d'ardente énergie.
On brise sa raison au contact de l'orgie:!...
J'aurais chanté sa fin : ce trépas glorieux
Eût au moins adouci nos suprêmes adieux.
C'est vivre encor, mourir au sein de la bataille
Comme un soldat qui tombe atteint par la mitraille
Mais, un jour de repos, te voir à mon amour
Par un trépas obscur enlever sans retour, ...
Comment me consoler ? Cette scène navrante
À mon esprit troublé sans cesse se présente :
Sous I'ombrage des bois j'étais assis rêveur,
Savourant lentement ton parfum enchanteur;
Vaincu par une molle et suave apathie,
Je laissai vaciller ma tête appesantie,
Et bientôt succombai, victime du sommeil.
Qu'ill devait être sombre et triste mon reveil !
Sans frémir je ne puis me rappeler le reste :
Ô ma pauvre compagne ! ô destin trop funeste!
D'un instant de paresse, ah! que je fus puni !
Tu tombes, je m'éveille : hélas! c'était fini.