Lucien Georges - LJG

Lucien Georges est né en Corse, en 1944. C'est en 1964 qu'il sort d'un sommeil de vingt ans la Riviera Briar Pipe, une société de fabrique d'ébauchons qui avait appartenu à son grand-père. Il part de zéro, avec quelques adresses de fabricants trouvées dans les archives, pour produire, quelques années plus tard, 600 000 ébauchons par an, soit le quart de la production mondiale.

Pour en arriver là, il s'est rendu à Saint-Claude, il devient fournisseur de Butz-Choquin et de Chacom, puis ce sera GBD, Jeantet, Lacroix, Savinelli, Comoy's à Londres, Rocco Cutry aux USA, Nagashima au Japon, notamment, et bien sur Sven Knudsen, le frère de Teddy, qui le guidera vers la fabrication de pipes artisanales.

Sven Knudsen s'était rendu en Corse, à la recherche d'ébauchons flammés, de client il devient ami. Fasciné par son travail, Lucien lui demande de lui apprendre son métier. Il se rendra chez Sven, pendant deux mois, puis un mois, et encore une fois un mois. Lucien monte son atelier à Bastia, et Sven viendra plusieurs fois l'aider à démarrer. Alors que Lucien commence à peine à présenter quelques pipes qu'il trouve parfaites, Sven lui fera cette remarque, que Lucien n'oubliera jamais - et que devraient méditer les jeunes pipiers : " Ce n’est pas encore çà, tu mettras au moins 2 ou 3 an pour atteindre un bon degré de finition, et encore plusieurs années pour atteindre la perfection". Et Lucien Georges d'ajouter : "Il avait bien raison, et je lui rend aujourd’hui un vibrant hommage car il ne peut plus travailler pour cause de maladie. Merci Sven, mon maitre et mon ami".

Lucien Georges va donc continuer à travailler : "C’est ma passion qui me guide, mais aussi le fait d’avoir prospecté la Corse entière dans les moindres recoins à la recherche des meilleures racines de bruyère, puis le fait d’avoir vu débiter ces milliers de tonnes de souches par «mes» scieurs d’ébauchons qui étaient de grands spécialistes, toujours à la recherche du nec plus ultra, puis le fait de fréquenter les plus grands fabricants du moment, et surtout les meilleurs artisans qui m’ont montré et démontré comment maitriser cette matière. De toute les façons ,pour fabriquer de belles pipes, il faut choisir de beaux ébauchons, ce qui devient de plus en plus difficile. Une pipe reste une pipe et sa qualité dépend essentiellement de la qualité de la bruyère, du temps de séchage de l’ébauchon et des données techniques de fabrication, le design étant important mais secondaire."

Bien sur, sa bruyère est corse : "Pourquoi irai-je chercher d’autres bruyères ailleurs alors que tout le monde reconnait que la bruyère Corse est la meilleure ? Ma fabrication est uniquement basée sur une utilisation d’ébauchons secs depuis 10 ans minimum ce qui procure une combustion sans humidité supérieure à la normale et par conséquent un gout très agréable, ainsi qu’une plus grande légèreté de la pipe. De plus, mes pipes (même rustiquées ou sablées) sont garanties 100% sans mastic. Pour ce qui est des tuyaux, ils sont d’origine allemande et Italienne".

Sa finition préférée reste les lisses : "Comme vous pouvez le constater sur mon site, je propose toutes les finitions et toutes les qualités de façon à ce qu’il y en ai pour toutes les bourses. Un seul credo pour moi : aucune pipe n’est vernie. Le degré de finition est quasi identique pour toutes les séries que je propose. Pour sortir un peu des sentiers battus du rustiqué et sablé, j’ai crée 2 nouvelles finitions : l’une «new fashion» qui donne un aspect «cuir», l’autre «croco style» qui est plus originale et qui est de plus en plus demandée. Bien entendu, ma préférence va sur la finition des «straight grain» naturelles ou orangé, lustrées à la cire de carnauba, ce qui donnera une patine incomparable et éternelle à la pipe. Je ne fabrique plus de sablées, et ce que j’appelle «handblast» est en fait un rusticage fait main qui ressemble à du sablé. Il ne s’agit pas de tromper ma clientèle car mon «rusticage» est léger et uniforme sur toute la surface de la pipe, alors que le sablage creuse uniquement les parties tendres. De plus j’évite l’appellation de rustiqué car cette pratique est plus que douteuse étant donné que la plupart des pipes rustiquées sont mastiquées, et que dans certains cas le dosage de colle, mastique, sciure de bois peuvent être très importants. Je vous laisse imaginer la suite."

Pour créer une pipe, Lucien pense d'abord à choisir la plus belle bruyère : "Voilà encore un credo capital : choisir les meilleurs ébauchons pour faire de très belles pipes. A partir de ce moment là, il faut vivre le veinage ou le grain de la bruyère. Après réflexion, je prends un crayon et je dessine mon modèle en fonction du veinage. Je ne pense plus à un modèle donné si le veinage de la bruyère m’indique un autre chemin, et ainsi de suite jusqu’à la phase finale. Ceci dit, il est toujours possible de respecter un style de fabrication plus ou moins classique".

Ses tuyaux sont en ébonite : "J’utilise de l’ébonite allemande ou italienne. Je peux aussi travailler l’acrylique, mais j’ai très peu d’expérience dans ce domaine, et par conséquent, aucun retour pour le moment. Quoi qu’il en soit l’ébonite est bien plus confortable en bouche. Son seul inconvénient est qu’elle ternit assez facilement, c’est la raison pour laquelle certains détaillants (pas trop connaisseurs) préfèrent l’acrylique. Ceci dit, je ne sais pas qui a introduit l’acrylique dans l’industrie de la pipe, ni pourquoi. Les matières plastiques diverses ne sont pas bonnes, je ne passionne pas non plus pour la corne, qui du fait de sa porosité, fini par donner un gout amer. L’ambre me parait venir en second derrière l’ébonite, mais à quel prix. De plus, sa couleur ne se marie pas très bien avec les teintes habituelles de la pipe ou la couleur de la bruyère naturelle. C’est parfait pour de l’écume, mais il faut qu’il soit véritable." Et ses pipes sont préculottées : "je préculotte mes pipes avec un produit neutre qui n’est pas seulement une teinte mais un badigeon très efficace et très résistant qui fait que l’on peut bourrer la pipe la première fois, ou tout au moins sur une bonne moitié. Je ne suis pas un grand fumeur de pipes, mais j’ai souvenance des premières pipes que j’ai acheté à l’âge de 16 ou 18 ans. Bien que procédant par doses successives, elles étaient très difficiles à culotter uniformément et n’avaient pas bon gout à l’état neuf. Ce que je peux affirmer, sans vouloir venter ma fabrication, c’est que je n’ai jamais reçu d’observations de mauvais gout, mais des compliments en général."

Son système de gradation ? "Dans ce domaine, chacun «dit la sienne». En vérité, il existe des bases fondamentales guidées par la classification des ébauchons qui sont les suivantes : qualité Flammée (exceptionnelle), qualité A (grain anglais, bird eyes sans aucun défaut), qualité Extra (légèrement inferieure à la précédente), qualité B ou 1er choix (les défauts apparaissent), puis 2eme et 3eme qualité qui à mon sens devraient aller dans un barbecue. Ce sont en quelques sorte des normes internationales appliquées par tous les grands fabricants, le reste étant de la pure fantaisie car chacun peu appliquer ses propres règles. Dans ma vie de pipier presque cinquantenaire, il m’est arrivé de fabriquer 3 pipes véritablement exceptionnelles, que j’appelle (arbitrairement) Blanc Bleu. Quelle gradation pourrait-on donner à ces pipes ?"

Le logo de Lucien Georges affiche LJG : "L.J.G. qui sont les initiales de mon nom complet : Lucien Jassois-Georges ,que j’ai réduit en Lucien Georges car Jassois est imprononçable en Anglais, Italien, Allemand, etc.… De plus, j’ai horreur d’écrire un bouquin sur une pipe du genre Extra-Extra, the finest, plus un nom, un numéro de série, etc. …On doit voir un maximum de bois sur une pipe, et non pas un tas d’estampilles pour vanter le fabricant ou masquer des défauts".

Lucien Georges, s'il apprécie artisans et industriels - Je fume pipe et cigarettes, mes pipes favorites sont bien entendu les miennes car elle correspondent à mes gouts. J’aime aussi les pipes Danoises, car c’est dans ce pays que j’ai appris la fabrication. Puis les pipes Françaises car j’ai été fournisseur en ébauchons de Chacom et Butz-Choquin du temps ou je fabriquais des ébauchons. Toutes les formes de pipes me plaisent. - garde néanmoins un œil critique : "Il y a de plus en plus de pseudo artisans qui font uniquement du montage pour se propulser dans la catégorie du fait main en trafiquant plus ou moins les modèles de têtes de pipes achetés au rabais dans les stocks poussiéreux. Des gens qui s’approvisionnent dans les vieux stocks pour sortir je ne sais quoi plus ou moins transformé. Je ne leur vois pas un avenir lumineux car on ne s’improvise pas pipier. Ce n’est certainement pas avec eux que la pipe française peut renaitre. Il faut être très attentifs à cette nouvelle vague qui au lieu de promouvoir la pipe française (surtout) va la détruire. Dans ce cas, il vaut mieux acheter de la bonne pipe industrielle. Le problème de certaines sociétés industrielles, c'est qu'elles liquident des stocks poussiéreux depuis pas mal de temps. Tout juste pour payer les frais. C’est une politique désastreuse qui va bien finir un jour prochain. A ce moment là, il ne restera plus que les «bons»".

Les grands oubliés restent, pour lui, les coupeurs auxquels on devrait rendre hommage : "A mon sens, il manque un élément important auquel vous n’avez peut être pas pensé et que tout le monde oublie. Cet élément est primordial, essentiel, capital, incontournable…en somme tout ce qui touche l’indispensable. Il s’agit de la fabrication des ébauchons. Il ne faut pas oublier que sans cette matière première spécifique l’industrie comme l’artisanat de la pipe n’existeraient pas telle qu’on la connait. C’est la base de toute fabrication, laquelle peut être très bonne, bonne, mauvaise ou très mauvaise, selon la provenance ou la qualité de l’approvisionnement.

Un ébauchon ne se fabrique pas comme une buche. C'est de lui que dépend la renommée du fabricant, et si certaines fabriques et régions entières périclitent dans l’industrie de la pipe en fonction d’autres facteurs, c’est aussi et surtout à cause d’un approvisionnement médiocre en ébauchons. Je répète qu’on ne peut pas faire du beau avec du mauvais. Ceci devrait être le 1er commandement de tous les fabricants."

Il pointe également une situation dont avait parlé Rainer Barbi, mais sans résultat : "A l’heure actuelle il n’existe plus aucun fabricant d’ébauchons en Corse. Ceci mérite d'être mentionné tambour battant car une majorité de fabricants et d’artisans pratiquent une publicité mensongère lorsqu’ils affirment que leur production est issue, toute ou partie, d’ébauchons corses. Depuis 1975/1980 il n’existait plus qu’un seul scieur d’ébauchons en Corse, et il est à se demander comment cet homme pouvait-il à lui seul approvisionner plus de la moitié des pipiers de la planète. Il faut mettre un terme à ce mensonge flagrant, et faire comprendre aux amateurs de bruyère corse que ce ne sont pas les quelques ébauchons du bon vieux scieur qui trainent dans tel atelier ou telle fabrique qui font une production basée sur cette bruyère."

Lucien Georges est mort le 29 avril 2013.