Rainer Barbi

Les ancêtres de Rainer Barbi s'appelaient de Barbière, ils étaient domestiques à la cour de Louis XIV. Expatriés à Berlin, ils prennent le nom Barbi. La famille se déplacera ensuite à Hambourg, où Rainer nait en 1948.

Après de belles étude de lettres classiques, Rainer se verrait bien architecte. Mais à l'époque, la seule université où l'on enseigne l'architecture est à Hanovre, et les seules études que peuvent lui proposer ses parents sont des études de droit, toujours à Hanovre. Il y restera quatre ans. C'est à cette époque que se situe le tournant de sa vie:

En 1970, Rainer devient fumeur de pipe, et il court les magasins. Si elles sont abordables à l'époque, Rainer se souvient d'une Anne Julie à 1000 deutschmarks, c'est néanmoins très cher pour un étudiant en droit, qui doit parfois vivre un mois avec 400 deutschmarks. "Les pipes que j'aurais pu m'offrir auraient contenu plus de ciment que de bois, et celles qui me plaisaient étaient trop coûteuses : j'ai donc commencé à faire mes pipes". Rainer pense que le problème est toujours le même aujourd'hui, il faut donc trouver un équilibre entre le travail qui consiste à faire les meilleures pipes possibles, et les prix les plus serrés possibles, difficile exercice. Depuis 1999, six de ses pipes sont fabriquées en série, à un prix abordable.

Le succès est rapide : Rainer présente ses modèles à un marchand qui, enthousiasmé, lui propose de louer un étal au marché et de montrer son travail. En quelques jours, dix mille deutschmarks rentrent au magasin. Son propriétaire lui propose alors de travailler en collaboration et en exclusivité pour lui. Il arrête ses études de droit, et devient pipier.

Les problèmes d'alcoolisme du propriétaire du magasin rendent leur collaboration difficile, et Rainer décide de se mettre à son compte. Il va louer un emplacement à la foire internationale de Francfort. La décision est courageuse, elle demande un investissement financier, mais le succès est au rendez-vous. Il est le premier pipier à présenter et vendre son travail dans ce genre de manifestations, sans passer par un intermédiaire, c'est pour lui, aussi, le meilleur moyen d'estimer financièrement son travail et d'apprendre les lois du marché. Il renouvelle l'expérience, deux fois par an.

Il déménage à trente kilomètres de Hambourg, à Worth, un petit village de 130 âmes et 700 vaches. Il y trouve le calme, un retour à la nature, et peut travailler tranquille.

Rainer est autodidacte : à l'époque, la communauté des pipiers danois est refermée sur elle-même, et il n'obtiendra aucune réponse à ses nombreuses questions. "J'ai été le second autodidacte dans ce milieu, le premier était Sixten Ivarsson". En souvenir de cette période, il commencera, très tôt, à proposer des conférences, des articles, à proposer des formations dans son atelier à de futurs pipiers. C'est ainsi qu'il sera surnommé "le Pape de la Pipe". Et il poursuit toujours son travail d'ambassadeur de la pipe, afin de tirer vers le haut le travail de pipier, en Allemagne et dans le monde. "Chaque mois, j'essaie de former un jeune pipier."

C'est en se rendant en Grèce pour se fournir en bruyère, qu'il rencontre un coupeur, Anastasios Varelas, qui lui enseigne les secrets du choix, de la coupe, et de la qualité. Il n'y a pas un pays meilleur qu'un autre pour la bruyère, on trouve dans tout le pourtour méditerranéen du très et du moins bon.

"Le séchage n'est pas le plus important : nous devons trouver un équilibre entre le taux d'humidité ambiante et celle de la bruyère brute. Quand les conditions sont fixées, cela va entraîner un développement ou une rétractation de la bruyère, suivant l'humidité de l'air. C'est l'air curing. L'autre moyen, plus rapide, est l'oil curing : la vapeur de l'huile chaude va entraîner les particules d'eaux très rapidement. C'était la méthode employée chez Dunhill. Cela dit, cette méthode revient trop cher, les sociétés emploient l'air curing. La bruyère va rester six mois à sécher à la scierie, puis elle part chez le pipier, où elle séchera encore six mois. A ce moment-là, l'humidité est stabilisée, et on peut la travailler." Rainer ne croit d'ailleurs pas qu'un séchage long apporte quoi que ce soit à la qualité du fumage.

Il est un des rares pipiers à tailler la forme de la pipe, puis, et seulement après, à procéder au perçage.

Pour les tuyaux, il utilise seulement de l'ébonite,ou le cumberland, produits à partir de caoutchouc indien. Il les trouve beaucoup plus confortables que l'acrylique. Et puis, le côté naturel de la bruyère mérite bien un tuyau fait à partir d'une matière naturelle. En ce qui concerne les bagues, il se déclare conservateur : "Je suis pour un style pur : la bruyère et l'ébonite noire". Il n'utilise que des bagues en bois exotiques, en corne ou en os. il évite les ajouts, les réduit au maximum : "Moins est un plus."

La tête et le tuyau doivent faire cause commune pour former une unité cohérente d'harmonie et d'élégance. Sentir en bouche un tuyau de Rainer Barbi, c'est devenir dès lors plus difficile dans le choix de ses pipes.

Pour sa production, c'est fonction de différents facteurs : le temps, les commandes, la qualité de la bruyère. Bien sur, les plus belles sont celles qui demandent le plus de travail, donc de temps. Le tout consiste a faire de son mieux avec ce qu'on a. "Je retourne la question : combien de pipes dois-je faire pour vivre aussi bien, disons, qu'un ingénieur ? En gros, vous me demandez combien me prend de temps une pipe parfaite ? J'ai tout d'abord un investissement, en moyenne, de deux ébauchons pour une pipe, chacun entre seize et vingt-cinq euros - soit déjà cinquante euros pour une pipe. Un tuyau revient à deux euros cinquante. La location de mon atelier, huit cent euros par moi, si quatre euros par pipe si j'en faisais deux cent par mois. Comptez en plus l'électricité, les produits chimiques, l'eau, les machines, les outils - ceux que j'utilise sont plus chers, et je dois les entretenir. Et je ne compte pas mon temps de travail comme artisan : en moyenne, huit heures pour faire une pipe, ni les assurances. On en arrivé déjà à soixante euros. Si je veux me payer dix euros par heure de travail, nets, il faut compter dix-sept euros de l'heure, soit cent quatre-vingt quatorze euros pour une pipe, sans aucun bénéfice. Ensuite, il y a la distribution, l'investissement que cela demande, ma pipe va doubler de prix. Sans parler des frais de déplacement, etc. ... Vous comprenez pourquoi le producteur n'est jamais le gros gagnant ?"

Il attache une grande importance aux teintes : "Je travaille comme un artiste, dans ce jeu qu'est la création de pipes. La teinte doit suivre le travail de mise en forme, le mettre en valeur. Eltang, lui, propose une coloration classique, qu'on appelle corrosion. C'est bien une coloration, pas une teinte. Les autres pipiers travaillent leurs teintes. Ma teinte préférée, c'est celle qui me vient sur le moment. Il faut penser que la teinte que j'applique doit mettre en valeur la forme de la pipe. Et je n'ai pas de teinte préférée. Juste celle qui me semble convenir le mieux à la forme." Rainer réalise ses sablages dans l'atelier de Former.

Quand on lui demande s'il y a quelque chose qu'il veut mettre en évidence à propos de son travail, il répond que les collectionneurs sont mieux placés que lui pour le faire. "Pour l'instant, j'ai du produire quatorze mille pipes dans ma vie, et j'ai pour neuf mois de travail devant moi, que demander de mieux ?"

Cet homme, pour qui la vie consiste à tailler des pipes, et uniquement cela, pour qui c'est un style de vie, a aussi ses passe-temps : la minéralogie, la biologie et la psychologie. Et aussi une tendance à collectionner toutes sortes de choses.

En 2009, Rainer Barbi est engagé par Royal Dutch Pipe Factory, en rehaussant les standards de qualité de la firme, en vue d'améliorer la ligne Big Ben, et de relancer la marque Hilson - à l'exemple de la marque Bentley, dessinée par Former. Il devient le designer attitré de la firme, et les nouveaux partenaires lanceront la production en série d'une ligne Barbi.

Rainer Barbi est mort le 23 mai 2011