Mystères du processus de rodage

par Fred Hanna, traduction de Jean-Daniel Chambaz

16/04/07

Il y a une bonne part de mystère, dans le phénomène apparemment familier du rodage d'une pipe. La sagesse traditionnelle indique que développer un culot est le processus de base par lequel une pipe atteint ensuite cette saveur de noix, riche et douce, et que nous en sommes tous arrivés à aimer.

J'en suis arrivé à la conclusion qu'attribuer cette grande saveur au seul développement du culot est assez similaire à affirmer qu'une voiture atteint de grandes vitesses uniquement en raison de la grande cylindrée de son moteur. Naturellement, les centimètres cubes sont un aspect important de ce qui contribue à la vitesse, mais c'est loin de tout faire. Il y a également l'influence du poids, des arbres à cames, du turbo, du type de carburant, du dispositif d'échappement, de l'aérodynamique, et ainsi de suite. Si tout ce qu'on a est un gros moteur dans un énorme et lourd châssis, la voiture peut réellement être tout à fait calme. D'une part, beaucoup de puissance peut être tirée d'un moteur relativement petit, sans monter beaucoup en cylindrée. De même, le culot dans le fourneau d'une pipe n'est qu'un parmi une variété de facteurs. J'ai fait un joli culot dans des pipes qui ne se sont jamais vraiment rodées, quoi que j'aie fait, et qui ne m'ont jamais procuré ce goût extraordinaire mentionné plus haut. Il est clair qu'il y a plus que cela, dans cette histoire.

Avant que nous traitions les mystères, cependant, donnons au culot l'importance qui lui est due. Il s'accumule dans la chambre à tabac, comme nous le savons, et se compose la plupart du temps de résidus de carbone issus de la combustion du tabac. Nous savons également que le carbone peut absorber des centaines de fois son propre poids en autres substances. Le résultat net, dans une pipe, en est qu'une grande partie des impuretés de la fumée du tabac est absorbée ou filtrée par le culot, ce qui "adoucit" la fumée livrée à la langue, particulièrement si le fond de la pipe est culotté. Cependant, en raison de cette capacité d'absorption, relativement peu de culot est réellement nécessaire pour qu'une pipe fume magnifiquement. Je crois que nous avons besoin de beaucoup moins que l'épaisseur traditionnelle d'une dime (0,10 dollar). Ainsi, un petit peu de culot suffit en général pour le rodage.

Cependant, l'explication traditionnelle du rodage tourne autour de ce point. J'ai maintenant rassemblé depuis quelques mois des notes sur le rodage d'une pipe et voudrais citer quelques observations et spéculations. Par exemple, au sujet du culot, j'ai possédé des pipes qui ont bien fumé dès la première cuvette, sans préculottage, mais qui ne s'améliorent en aucune façon, quel que soit le degré de développement du culot. Curieusement, il y a plusieurs années, j'ai acheté une Charatan Selected chez un type qui aimait déculotter ses pipes. Il a réduit le culot de cette pauvre pipe assez pour découvrir les parois, mais ni vous ni moi ne l'aurions su en la fumant. Elle avait un goût doux et de noix, sans aucun culot. C'est à ce moment que j'ai commencé à m'interroger sur ce que le culot a réellement à voir avec la saveur et le goût.

Il y a quelques autres phénomènes qui m'ont poussé à remettre en cause la sagesse traditionnelle. Quelques pipes fument superbement dès la première cuvette et sans que le pipier n'ait mis un quelconque enduit de carbone dans le fourneau. Et elles continuent alors à devenir meilleures, et encore meilleures. Comparez ceci avec le fait que d'autres pipes peuvent fumer de façon tout à fait médiocre - amère et raide - au début mais finir par dépasser en qualité de fumage quelques pipes qui ont bien fumé dès le début. Un exemple de ceci est une Castello Collection Fiammata que je possède actuellement, ainsi qu'une L'Anatra Fiammata. J'ai eu d'autres pipes dans lesquelles la première cuvette était tout à fait bonne, puis la qualité de la fumée s'en est dégradée pendant les 4 ou 5 suivantes, pour ne commencer à s'améliorer qu'ensuite. Pourquoi ceci? Que se passe-t-il? Je n'ai pas toute la réponse, mais je voudrais partager avec vous quelques réflexions à ce sujet. Pour le reste de cette discussion, nous allons supposer que toutes les pipes dont il est question ici sont bien faites, et leur bruyère bien séchée, de sorte que nous puissions nous concentrer sur les variables particulières relatives au processus de rodage.

Quant au traitement de le bruyère, la sagesse traditionnelle nous indique que la sève dans un bloc de bruyère est une mauvaise chose, et il n'y a là aucun doute que trop de sève peut obstruer une pipe et en faire une fumeuse chaude et humide. Cependant, je me suis longtemps demandé si les sèves pouvaient ne pas être aussi horribles que nous en sommes arrivés à le croire. Le rodage d'une pipe peut bien impliquer un chauffage – ou une cuisson, si vous voulez - des sèves restantes dans la bruyère, aussi bien que du bois lui-même. Le bois est un matériau végétal, naturellement, mais nous avons tendance à négliger cet élément. Le bois va subir petit à petit de subtils changements de sa structure, au fur et à mesure qu'il absorbe et supporte la chaleur du tabac en combustion. La chaleur est un des catalyseurs les plus puissants connus de la chimie, et cet "effet de cuisson" est peut-être le principal responsable de cette si recherchée saveur douce et de noix, dans la fumée. Rappelez-vous que le grand goût du sirop d'érable du Vermont (qui, concrètement, est de la sève d'arbre) se manifeste seulement après qu'il a été cuit pendant longtemps, et converti en ce merveilleux liquide. Il est tout à fait abominable, avant cuisson. De même, fumer du tabac fait certainement cuire la sève restant dans le bruyère après son séchage, et cela fait aussi cuire le bois lui-même. Tout comme le goût d'une carotte ou d'une gousse d'ail change après cuisson ou rôtissage, le goût de la bruyère peut changer alors qu'elle cuit ou rôtit pendant le fumage. Elle peut devenir plus douce et plus mûre, et ceci se traduit par "rodage".

J'aime le goût de la bruyère, et je ne suis pas fana d'une marque de pipe qui cherche à enlever tout le goût du bois. Si je voulais enlever tout le goût donné par l'instrument de fumage lui-même, je choisirais l'écume de mer. Cette ligne de recherche m'incite à me demander s'il est possible d'"hyper-traiter" une pipe, c'est-à-dire, d'enlever tellement de la saveur du bois que la bruyère est alors laissée sans saveur du tout. Certains peuvent croire que plus de traitement est mieux, parce qu'il permet à la seule saveur du tabac de percer. Mais quant à moi, J'AIME le goût de la bruyère, particulièrement dans les cas où il ajoute ce doux et mielleux goût de noix.

Malheureusement, tous les ébauchons n'ajoutent pas cette saveur douce et de noix après leur rodage. C'est une question de degré et, de nouveau, nous touchons aux variables dans la bruyère elle-même, indépendamment de la marque. Beaucoup de grands morceaux de bruyère bien grainée n'ont pas cette saveur, alors que d'autres morceaux sans relief l'ont, et c'est l'un des grands mystères du fumage de pipe. J'ai récemment parlé longuement avec Rainer Barbi à ce sujet. Lui et moi sommes tous deux convenus que le sol et le climat dans lesquels l'arbre s'est développé ont un rôle important à jouer dans la façon dont la bruyère goûte, comme je l'ai écrit précédemment. Il y a tant de variations possibles du climat et du contenu du sol que nous avons encore beaucoup à apprendre quant à quelle combinaison produit la meilleure bruyère. Cependant, Rainer et moi avons été d'accord que ce n'est pas une question d'origine géographique. En d'autres termes, si le bruyère vient de Grèce, de Corse, ou d'Italie, cela n'a pas d'influence sur le facteur goût. Chacune de ces régions contient dans ses frontières beaucoup de microclimats et de types de sols. Et, naturellement, quoique la bruyère soit du meilleur environnement, elle doit être bien traitée, et, en tant que pipe, elle doit être bien faite, ou elle ne produira pas une fumée satisfaisante, comme nous le savons. Et juste pour mémoire, je ne penserais pas à employer du miel pour rôder une pipe.

Il y a quelques variables impliquées dans le processus de rodage que je n'ai pas traitées. Je voudrais entendre les vues d'autres amoureux de la pipe sur les divers aspects de cette partie fascinante de notre passe-temps.



Cet article a été à l'origine édité en février 2005 dans the Pipe Collector, le bulletin de la North American Society of Pipe Collectors. Vous pourrez trouver plus d'informations sur la NASPC sur leur site Web
Pipelore.net remercie la NASPC de lui avoir autorisé la reproduction de cet article, et fumeursdepipe.net exprime toute sa gratitude pour en avoir autorisé la traduction.
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