Belge

par Corneel Vermeulen, traduction de Jean-Daniel Chambaz

18/11/06
la forme belge

Les collectionneurs de pipe sont un groupe étrange, et un soupçon d'excentricité n’est jamais bien loin. Tout peut être collectionné. Moi, je collectionne des belges. Tout a commencé avec un de mes amis qui m'a envoyé une pipe, avec ce mot: "cette forme s'appelle une belge, et puisque tu es belge, j’ai pensé à toi." Je suis immédiatement tombé amoureux d’elle, et cette pipe est devenue la première belge de ma collection.

Cela ne devrait étonner personne si je disais que j'ai assez vite commencé à faire des recherches. Ce que vous verrez dans cet article est ce que j'ai trouvé jusqu'ici et, dans la mesure du possible, je mentionnerai ce que j’estime être des omissions ou lacunes, qui doivent encore être comblées.

Histoire

La première mention que je connais des belges se trouve dans des catalogues de Gambier. Ce qu’est Gambier est un autre sujet, aussi je ne vais pas m’étendre là-dessus, si ce n’est pour préciser que Gambier est une usine française de pipes en terre, fondée en 1780. Les années qui suivirent furent assez agitées, du moins pour les Français. Je ne vais pas m’y attarder, et juste sauter 50 ans.

La Belgique a été créée après tous les problèmes que les Français avaient eus avec les Hollandais, les Allemands et les Anglais, lesquels eurent aussi à leur tour quelques tensions entre eux, par la suite. Il fallait faire quelque-chose, et par chance pour eux, la Belgique fut créée. C'était un Etat tampon, pour éviter aux forces plus grandes de se quereller. Les Français aimèrent cela, y-compris les fabricants de pipe en terre de chez Gambier. Cela ne devrait pas trop étonner, puisque leur usine était située à seulement un jet d'une pierre du nouveau pays. Cela faisait sens de rendre hommage à leurs nouveaux voisins en appelant une de leurs formes "belge". C'est le mot français pour "belgian", pour ceux qui ne l'avaient pas vu.

la forme belge

Ce n’est si étrange d’appeler une forme d’après un pays. Après tout, une hongroise (désignée par d'autres sous le nom d'Oom Paul) est plus ou moins la même chose.

Gambier avait une production énorme. En 1850, par exemple, ils ont fait 254.4 millions de pipes. Il est tout à fait normal que quelques autres aient remarqué ce qu'ils faisaient. Les usines de Claude ont commencé à faire des pipes qui ont légèrement ressemblé à ces pipes d'argile, et les ont aussi appelées "belge".

J’ajouterai que je n'ai pas encore découvert qui fut le premier à transposer cette forme dans la bruyère, et il y a des chances que les archives nécessaires pour trancher cette question soient perdues.

la forme belge

J'en suis toujours à rechercher comment la forme a traversé la Manche et a passé d'une forme française de pipe en terre à une forme anglaise plutôt standard. Peut-être est-ce dû à Gambier, qui vendait des pipes à Londres depuis 1860, ou peut-être qu’Henri Comoy a pris la forme avec lui quand il s'est déplacé au Royaume-Uni. Je ne sais pas comment cela s’est passé. Je possède une belge de Loewe de la fin du XIXème ou début du XXème siècle, illustrée ci-dessus, qui devrait prouver, à mon sens, le fait que la forme était alors déjà bien établie. Le fait est que les marques et les entreprises se sont déplacées de France au Royaume-Uni, où la forme a commencé à devenir très répandue.

Toutes les grandes marques anglaises classiques ont repris la forme et le nom. Elles ont aussi achevé la forme, en ce que nous identifions maintenant comme une belge. Tous, à part Dunhill, qui liste une belge dans ses chartes de forme ODA, mais elle ne ressemble pas à la forme telle que tous les autres semblent la connaître. Ils ont fait des formes qui lui ressemblent plus, comme la 331 ou la 850.

Cette image du site Web de John Loring montre le seul modèle de Dunhill qui ait jamais été énuméré comme belge dans leurs catalogues, et qui s'avère également être la première forme ODA, une ODA801. Comme vous pouvez le voir, on est assez loin des autres interprétations de la forme par cette marque. Elle ressemble plus aux belges originales de Gambier, ceci la gardant en conformité avec ses origines de pipe en terre. La belge de Dunhill pourrait représenter une forme transitoire entre l'argile et la bruyère, n’était le fait que la Loewe précède la série ODA d’un demi-siècle. Pourquoi Dunhill a décidé de s’écarter de ce qui semblait être la norme, je n’en sais rien.

la forme belge

Il est intéressant de mentionner que la plupart des belges trouvées aujourd'hui seront antérieures aux années 70. Je pense qu’il faut mettre cela sur le compte du boum de la pipe danoise freehand. Après quoi, le boum du cigare et le déclin progressif de la communauté de la pipe elle-même semblent avoir causé l’oubli de cette forme. C'est encore une déduction assez logique, qui pourrait avoir besoin d’être creusée davantage.

Pendant quelques décennies, les belges semblent ne pas avoir été fabriquées du tout. Jusqu'à ce qu'un certain blender et collectionneur de pipes, nommé Greg Pease, ne fasse un croquis et le donne à réaliser par un pipier appelé Larry Roush. Roush ne semblait pas en savoir beaucoup au sujet de la forme, ou de ses origines, et en attribue juste la forme à Pease, lequel Pease mentionne qu'il a " lâchement basé " cette conception sur une vieille Comoy qu'il a dans sa collection. Cette Comoy ressemble très probablement beaucoup à celle-ci :

Pendant quelques années, Larry Roush a été le seul pipier contemporain à l’appeler une belge. D'autres tendent à l'appeler cutty, habituellement. Un exemple peut être en trouvé ici, une pipe faite par Michael Parks (photo Smoker’sHaven) :

la forme belge

Cependant, on peut remarquer actuellement une certaine concurrence. Rad Davis a montré un intérêt pour la forme et l’a ajoutée à sa gamme habituelle. Il est difficile de dire pour le moment combien de fois Davis la fera, mais je possède son tout premier prototype. Je pense que le mieux serait de garder un œil sur la façon dont les choses évoluent dans un avenir pas trop lointain, particulièrement maintenant que Davis a commencé des variations mineures sur la forme, comme cette belge légèrement courbée, à droite.

Mon espoir personnel serait que d'autres la reprennent aussi, de sorte que cette forme très élégante puisse sortir de l'oubli.

Caractéristiques

Comment décrire cette forme? Les gens semblent souvent confondre la belge avec une cutty. C'est compréhensible jusqu'à un certain point, puisque les deux formes ont leur origine bien ancrée dans le période de la pipe en terre.

Tout d'abord, ce n'est pas une cutty. Une belge est moins inclinée vers l’avant, et n'a jamais de saillie. Une belge, dans la mesure où je les ai vues, a presque toujours une tige droite ou très légèrement coudée. Ceci élimine la probabilité de jamais trouver une belge courbe (full bent).

L'image suivante montre 6 pipes pour servir de comparaison, et devrait également illustrer un peu plus la grande diversité qu’il y a dans les interprétations personnelles d'une forme. Elle pourrait aider à en faciliter une compréhension conceptuelle.

la forme belge
  1. Une belge de Rio Bruyère. Notez la forme du fourneau et la tige, mince et longue. C'est un exemple typique de la forme.
  2. Une belge de Benner. Encore un fourneau en forme de tulipe et une tige longue et mince.
  3. Une Charatan belge bent, bien que la tige soit un peu courte et lourde pour la forme et le fourneau plus incliné que d'habitude.
  4. Une belge de BBB. Plus de variation, par rapport à une tige plus lourde et plus courte que la forme n’en demande.
  5. Une cutty de Tom Eltang, qui réunit toutes les conditions pour être une belge.
  6. Une cutty de Dunhill (1969 groupe 4 XX Tanshell) pour la comparaison. Notez la forme du fourneau, la saillie et la tige courte. Ce n'est pas une belge.

Comme vous pouvez le voir par vous-même, la forme du fourneau lui-même semble savoir quelques interprétations différentes. Elle ressemble à une billard par certains côtés, mais d'autres manières également à une zoulou (en cas de légère courbure, qui est susceptible de se produire) ou une Dublin, ou autre chose. Le plus proche serait plus ou moins un fourneau en forme de tulipe.

La manière dont je les préfère est la suivante : prenez la pipe de profil et regardez-en le fourneau. Avec une ligne fictive au milieu, un côté devrait ressembler au fourneau d'une simple billard droite, alors que la moitié du côté tige sera légèrement plus arrondie. La Rio Bruyère en serait le meilleur exemple.

C'est pourquoi elles peuvent ressembler aux billards (pas beaucoup de courbe) ou autre. Quoi qu'il en soit, beaucoup de vieilles marques anglaises avaient l’habitude d’en fabriquer, de même que d'autres ailleurs. Chacun lui a donné sa propre touche. Grâce aux Pipe Pages de Chris Keene, je peux fournir plus d’images -- avec mes excuses pour ma pauvre mise en page des photos :

Barling

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Orlik

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Peterson l'appelle Belgique

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Kaywoodie les appelle belges

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Sasieni l'appelle " le fouet "

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Stanwell

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La forme du fourneau n'est pas la seule chose qui constitue la forme d'une belge. La tige en est un autre facteur principal, car elle semble souvent aussi fine qu’un crayon. Tous ne semblent pas être d’accord sur ce point. Il est possible que, pour des raisons pratiques, certains aient fait leurs tiges moins fines, afin de rendre la pipe peu un plus durable. Ou pour tenir compte d'un meilleur tirage, un obstacle mineur en ce qui concerne les propriétés de fumage, et duquel les pipes à tige fine tendent à souffrir. Il est difficile de percer à 4 mm dans une tige qui en mesure 7 en tout et pour tout, comme c'est le cas avec ma Loewe.

Alors, disons que la tige est habituellement fine comme un crayon. Un autre aspect qui doit être mentionné est la division de la longueur de la pipe, où la tige et le tuyau se joignent. Ceci tend à être pile au milieu. Ce qui rend la tige plus longue que celle d'une billard (et d’une cutty) mais plus courte que celle d'une canadienne. Cependant, si nous regardons les belges de Comoy, ou la Roush qui sont indirectement inspirées par elles, il semble y avoir très peu de tige, et encore moins la finesse d’un crayon.

Pour conclure, je voudrais remercier Bill Burney, aussi bien que Chris Keene de m’avoir fourni des illustrations.