D'autres bois pour les pipes

par Tim Fuller, traduction de Jean-Daniel Chambaz

18/11/06

Tout d'abord, mes remerciements à Jeff Loid, qui a presque mérité le titre de "rédacteur auxiliaire du bulletin" pour le travail qu’il a fait en établissant des contacts et en composant cet article, ainsi que d'autres qui vont suivre. Tim me dit qu'il n'avait pas fumé une pipe depuis ses années de prime adolescence, quand il s’y est à nouveau intéressé, en automne 2002. Il construisait une plate-forme sur sa maison, en Alaska, quand, pour quelque raison, il a pensé, "Mince alors, ça serait chouette de se poser là et de fumer une pipe". Alors, il a commencé à faire des pipes. Tim avait travaillé avec du bois, ou été dans les bois, toute sa vie – à construire des bateaux, bûcheronner et faire de la charpente. ("Et qu’est-ce qu’on peut encore faire, avec un BA en Anglais?" demande Tim. Il a une faiblesse pour le bois particulièrement beau, ainsi, la fabrication de pipes est un "bon plan" pour lui.

Tim et sa famille ont déménagé en Idaho en été 2003, après 12 ans passés en Alaska. Ils sont originaires du Maine. L'épouse de Tim est en deuxième année de fac de droit à l'université de Moscow, Idaho, et son fils, qui effectue tout le travail du site Web de Tim, est en troisième année à l'université de l'Idaho. Ils ont acheté une maison à Troy, avec un garage surdimensionné, à deux compartiments, et Tim y a installé l’atelier dans une moitié. Tim dit que "Il reste encore à voir si la fabrication de pipes est une entreprise économiquement viable. Le marché est petit, et une grande partie en est déjà occupée par des noms de marques".

Tim dit qu'il avait voulu essayer de tourner du bois pendant des décennies, aussi a-t-il acheté un tour pendant qu’il installait son atelier. Il travaille seulement à la maison, tournant des pipes sur le tour, et produit également des bols, des moulins à poivre, des rouleaux à pâtisserie, des porte-crayon, des bourre-pipe, des bougeoirs, des anneaux de serviette, des porte-allumette, et des porte-chenillette.

Étant donné que les gens autour du monde ont fumé une chose ou une autre pendant des millénaires, j'imagine que presque chaque espèce de bois a été employée pour faire une pipe. Pendant la seconde guerre mondiale, les fabricants de pipe d’Europe du Nord sont passés au hêtre lorsque les approvisionnements en bruyère de la région méditerranéenne ont été coupés, et les fabricants de pipe américains ont employé le laurier de montagne. Il est difficile de surpasser la bruyère pour la beauté de son grain, ses qualités de fumage et sa longévité, mais d'autres espèces de bois dur peuvent aussi donner une bonne fumée.

Chaque fois que je mets la main sur un morceau de bois dur duquel je peux sortir un fourneau, je fabrique une pipe. Cela fournit une pause bienvenue dans la chasse aux sandpits de la bruyère. Jusqu'ici, j'ai fait des pipes en cerisier, en pommier, en olivier, en racine d'aubépine, en érable de roche, en palmier noir, en myrte, en noyer, en frêne, en ébène et en pawlonia. Certains allaient mieux que d'autres.

Cerisier. Le gars à qui j'achetais des lames et des parquets en pin en Alaska avait une pièce de cerisier de 5 par 20 cm dont je lui ai parlé quand j'ai commencé à faire des pipes, en automne 2002. Le bois était séché au four et avait reposé dans son stock à température et humidité constantes depuis des années (ce type est un magicien avec un hygromètre), ainsi il était sec. J'ai fumé trois de mes pipes en cerisier: une dublin droite massive, une billard coudée, et un œuf coudé à longue tige. Toutes fument bien. Ma favorite est la billard. Elle a une chambre de 23 mm de diamètre, 50 de profondeur. La tête mesure 57 mm, avec des parois de 11 mm s’amincissant à 6 en haut du fourneau. La pipe fait 15 cm de long et pèse 65 grammes. J'ai enduit les parois de la chambre avec du sirop d'érable avant le premier fumage. La chambre est bien culottée, et la pipe fournit une fumée douce et fraîche. Je n'ai pas noté combien de fois je l’ai fumée, mais, mais il y en a eu beaucoup.

Pommier. J'ai fabriqué plusieurs pipes à partir en pommier. Ma propre pipe en pommier est une grosse apple courbe, entièrement culottée, et elle fume bien. Elle a une chambre de 25 mm de diamètre et de 41 de profondeur. La tête mesure 47 mm, avec des parois de 16 mm diminuant à 4,5 mm au bord. La pipe fait 17 cm de long et pèse 71 grammes. Un des avantages du pommier, du cerisier et de certaines des autres essences est que, le bois étant moins dense que la bruyère, vous pouvez avoir un fourneau qui remplit la main, avec des parois épaisses, tout en conservant un poids relativement bas. Le vétéran de la pipe Chet Gottfried a dit ceci au sujet de sa pipe en pommier: "Ce qui m'a d'abord frappé au sujet de ma TC Fuller en pommier était sa légèreté: une grande pipe droite, arrondie avec des parois épaisses. Je suis tenté de dire qu’elle fait la moitié du poids d'une bruyère équivalente, bien que mon pèse-lettre indique qu’il n’en est pas ainsi. Néanmoins, elle paraît beaucoup plus légère. Elle s'est culottée très facilement, et, à force de la fumer à plusieurs reprises, la pipe a un peu foncé. Le grain est quelque peu simple ou droit, aussi je ne le trouve pas aussi attrayant que le grain de bruyère, mais le grain du pommier a des aspects intéressants".

Olivier. Avant que j'aie commencé à faire des pipes, j’étais intoxiqué par e-Bay. Un jour, j'ai repéré une Spanu Olivastro absolument renversante. Je devais l'avoir. Je l'ai eue. Le monsieur à qui je l'ai achetée m’a écrit que, quand il la culottait, il avait senti un goût distinct d'huile d'olive. J'ai depuis fait plusieurs pipes en olivier. Celle que je fume est une dublin droite avec des parois de 11 mm d’épaisseur. Elle n'est pas encore entièrement culottée, bien qu'elle fume bien. J'ai senti un léger goût/sensation d'huile d'olive en bouche pendant les premiers fumages. Plus aurait été meilleur, parce que j'aime l'huile d'olive. Chet Gottfried a une freehand en olivier de ma fabrication et n'a détecté aucun goût d'huile d'olive. La pipe a les parois minces, résultat d’une erreur de coupe avec la scie à ruban. Plutôt que de jeter la pipe, je l'ai envoyée à Chet pour essai. Il a fumé la pipe intensivement et a dit ceci à son sujet : "Le grain de l'olivier est parmi le plus remarquable que j’aie jamais vu; il a une complexité et une délicatesse qui surpassent la bruyère. Cette olivier particulière a des parois très minces. Pendant le culottage de la pipe, j'ai noté que des résidus filtraient par ses parois, et ainsi je me figure que l'olivier est plutôt poreux (je dois encore essayer une olivier avec des parois épaisses). En prolongeant le culottage de la pipe en employant seulement un peu de tabac (d’un tiers à la moitié d'un fourneau) le culottage a pris, et la pipe a cessé de fuir. Sous cet angle, l'olivier a très bien fumé, mais des parties de son grain sont devenues sombres".

Racine d'aubépine. Un ami fumeur de pipe s’est amené un jour chez moi, portant une racine d'aubépine qu'il avait, traînant dans son atelier. La racine avait séché et avait quelques fissures. Sacrifiant une lame de scie à ruban à la saleté de la racine, je pus en tirer deux tête et deux petits bols. Je lui ai donné une pipe, dont il m'a dit récemment qu’elle fume comme un champion, et en ai gardé une, une freehand à tige droite. J'ai collé des morceaux de bruyère sur l'avant et le fond du bloc pour me donner peu plus de bois avec lequel travailler. J’ai pu ainsi façonner la tête de sorte que le grain suit l'axe de la tige et se courbe vers le haut des côtés du fourneau. Après que je l'aie façonnée, j'ai mastiqué deux fissures sur la tige, ainsi qu'une cavité sur l'arrière du fourneau, avec de la colle Elmer et de la sciure. La pipe est très performante, cependant les fissures sur la tige se sont rouvertes et devront être retouchées. L'aubépine est plus dure que la bruyère et mérite davantage de recherches.

Loupe d'érable. J'ai fabriqué trois pipes à partir d’un morceau de loupe d’érable de roche sain et non attaqué (spalt), les coins d’un bloc destiné à la fabrication de bols. (spalt est une putréfaction partielle. Dans le Maine, nous appelions un tel bois "dozy" [doughzee]. Deux des pipes sont allés à des collectionneurs qui ne les ont pas fumées. La troisième a été commandée par un monsieur qui voulait une grande pipe adaptée à ses mains (54 mm de haut, 17 cm de long, parois de 19 mm, poids : 88 grammes.). Son propriétaire, Douglas Walker, m’a envoyé ce commentaires sur la pipe pour cet article: "Tim a créé pour moi une pipe, qui contrairement à sa stature imposante, est tout à fait légère et confortable à fumer. Ayant eu la majeure partie de mon expérience de fumeur avec des pipes en bruyère, j'ai été tout à fait heureux d'avoir une pipe qui fume comme un rêve dès le premier fumage! L'aromatique doux que j'ai choisi pour cette pipe n'a pas changé d’un degré la température externe des parois, et il n'y avait aucun besoin de culottage pour avoir une saveur douce. Les caractéristiques de la forme et de l'érable se sont mélangées comme dans un nouvel amour, me laissant en être l’heureux voyeur! Je fume cette pipe depuis maintenant presque cinq mois maintenant, et chaque bol se fume comme le premier".

Palmier noir. Un bois saisissant de beauté qui fait des pipes magnifiques, bien que les essais de fumage initiaux aient été décevants. Celle que j’avais fumée a développé une fissure le long du fond de la tige pendant le quatrième fumage. Celle que Chet fumait en a développé une, verticale, sur le côté de la tige. Une troisième s’est également ouverte. Je n'ai pas entendu parler des autres. Je déteste devoir éliminer le palmier noir pour des pipes - le grain en est fabuleux - mais il semble que il ne peut pas supporter la chaleur. Quel dommage.

Myrte. Le myrte fait de beaux bols, mais le jury ne s’est pas encore prononcé sur son adéquation aux pipes. J'en ai fait trois pipes. Des trois, une a été fumée environ 30 fois. Le culot est lent à se former, peut-être en raison d'une chambre de 25 mm de diamètre, plus probablement dû au bois lui-même, mais la pipe tient bien le coup. Étant un bois dur «plus tendre», le myrte a présenté une certaine difficulté dans le forage. Le réalésage n'a pas coupé l'extrémité de la tige proprement, bien qu'il ne l'ait pas taillée si mal qu’on ne puisse corriger avec un bon coup de lime plate. Sur la troisième que j’ai faite, et que je fume, j’ai ajouté une pièce d’ébène pour prolonger la tige. Lors du deuxième fumage, une tache assez laide s'est développée sur le fond de la tige, pendant que du jus de pipe filtrait par le grain. Le myrte est léger. Une dublin courbe avec une tête de 57 mm de haut et des parois de 14 mm ne pèse que 59 grammes. Une bruyère comparable, avec des parois de 13 mm, en pèse 80.

Noyer. J'ai fabriqué deux pipes dans du noyer claro (noyer de Californie) et trois dans du noyer noir. Celle en claro que je fume est une petite billard droite. La tête mesure 41 mm, avec des parois de 9,5 mm, fait 14 cm de long et pèse 33 grammes. J'ai fabriqué la pipe avec cet article en tête, et je prends des notes à son sujet. Avant de fumer les premiers bols aux deux tiers, j'en ai enduit les parois de salive. J'ai détecté un plaisant et subtil goût de noix vers la fin du fumage. Avant les troisième et cinquième bols remplis à moitié, j'ai enduit les parois de sirop d'érable. J'ai ainsi avancé jusqu'à de pleins bols vers le huitième fumage, et j’ai fumé cette pipe 14 fois. Elle est entièrement culottée. Aucun problème. Aucune fissure. Une petite pipe qui fume très bien.

Frêne. J'ai fabriqué deux pipes en frêne. Le polissage a enlevé une partie du bois de sève (xylème secondaire) dans les anneaux de croissance, donnant une texture à la surface de la tête. (La même chose s'est produite avec le palmier noir: ses tubules noirs, extrêmement durs étaient étaient très difficiles à polir pour en enlever les éraflures de ponçage, alors que le bois plus tendre et léger était enlevé, avec pour résultat une texture irrégulière.) Les premiers fumages furent chauds et fétides, dans une pipe à parois minces. Les cendres sentent un peu mauvais, aussi n’est-il pas étonnant que ce bois donne une saveur désagréable à la fumée.

Ebène. Un bois extrêmement dense, avec lequel j'ai fabriqué deux pipes. La première s’est fendue dès le premier fumage, de l'extrémité de la tige au fond de la tête. La seconde, une dublin droite, a une tête de 47 mm de haut, avec des parois de 11 mm, et pèse 83 grammes. Je l'ai récemment fumée pour la neuvième fois, pour la première fois pleine. Jusqu'ici, c’est bon. Elle a quelques lignes sur le fond de la tête et de la tige, qui ressemblent à des fissures, mais elles ne se sont pas ouvertes. J'ai entendu que le bois d'ébène a une propension à se fendre, aussi, il peut ne pas convenir aux pipes.

Pawlonia. Le même ami fumeur de pipe qui m'avait apporté la racine d’aubépine a récemment paru avec avec un morceau de pawlonia. C'est une essence extrêmement légère, presqu’autant que le balsa, bien que ce soit, d'après les informations reçues, un bois dur et qu’il soit employé dans beaucoup d'applications. Une dublin courbe de 60 mm de haut, de 158 de long, avec des parois épaisses de 13 mm, pèse un peu plus que 29 grammes. Le pawlonia est doux. La première pipe que j'ai faite était censé avoir une tige affleurante, mais le réalésage a tellement abîmé l'extrémité de la tige que je l'ai transformée en une freehand.

Cette freehand fume bien, après son dixième fumage, mais montre des traces de carbonisation. Il reste à voir si le culot se formera avant qu'elle soit percée. Pour les deux pipes suivantes, j'ai collé des prolongements de tige en cocobolo. Aucune des deux chambres ne s’est forée proprement. Vers la fin du premier fumage dans ma pipe de pawlonia, je fumais le bois autant que le tabac, alors que les fibres sur les parois de la chambre se consumaient et certaines dans les parois elles-mêmes, qui sont légèrement carbonisées. Je lui ai donné une dose de sirop d'érable avant le fumage suivant, mais je fumais toujours le bois après quelques minutes. La fumée de palownia n'est pas fameuse. Je n'ai pas trouvé le courage pour un troisième essai.

Dans une perspective esthétique, j'ai eu les meilleurs résultats en laissant les essences autres que la bruyère non teintées. Le polissage et la cire ont laissé le bois parler de lui-même. Les détails de grain plus fins de ces bois sont subtils et tendent à être masqués plutôt qu'accentués par la teinture. Les belles couleurs incluses dans les diverses espèces sont recouvertes par la teinture, bien que ces couleurs se fanent de toute façon avec le temps et le fumage. En termes de longévité, il semble que, si une pipe résiste au culottage, elle tiendra dans le long terme.

La bruyère est le roi des bois à pipe, mais beaucoup d'autres espèces fourniront une belle pipe qui donnera une bonne fumée. Etant donné l'excellent résultat avec le cerisier et le pommier, d'autres bois de fruitiers sont probablement de bons candidats pour des pipes. Le noyer et l'érable peuvent tous deux montrer des grains extraordinaires. Une pipe faite à partir d'un morceau de loupe d'érable ou de noyer serait superbe. L'hickory, l'orme, et le caroubier vaudraient la peine d’un essai, pour ne nommer que quelques essences qui pourraient convenir aux pipes. Les bois durs plus tendres, tels que le tremble et le peuplier, se comporteraient probablement comme le pawlonia. Les bois tendres comme les conifères - tels que le pin, le sapin, le tamarack, le sapin du Canada et le cèdre - ne seraient probablement pas satisfaisants pour des pipes. Ils seraient exposés à la combustion avant que le culot ne soit formé, et corrompraient probablement le goût du tabac. Avec quelques mélanges de tabac, le dernier peut ne pas être indésirable.

Quelques espèces sont toxiques. Je ne sais pas si cela présenterait un problème ou non dans une pipe, mais c’est certainement une chose à garder à l'esprit en fumant des pipes faites à partir de bois autres que la bruyère. J'ai travaillé dans un chantier naval du Maine, à la fin des années 70. L’entreprise avait sa propre scierie. Le scieur m'avait dit que s’asseoir sur du chêne fraîchement scié peut donner des hémorroïdes (le chêne contient l'acide tannique). Je n'ai pas encore essayé une pipe en bois de chêne, mais, quand je le ferai, le bois sera sec, comme tout bois de pipe doit l’être, et je ne m'assiérai pas dessus.

Cet article a été à l'origine édité en février 2005 dans the Pipe Collector, le bulletin de la North American Society of Pipe Collectors. Vous pourrez trouver plus d'informations sur la NASPC sur leur site Web
Pipelore.net remercie la NASPC de lui avoir autorisé la reproduction de cet article, et fumeursdepipe.net exprime toute sa gratitude pour en avoir autorisé la traduction.
Si vous appréciez cet article, votre demande d'inscription sera prise en compte après avoir rempli le Formulaire d'Inscription.