Le premier empoisonnement criminel par la nicotine

par Léon Kauffeisen

18/11/22

Cet article est paru pour la première fois dans la Revue d'Histoire de la Pharmacie, en décembre 1939. J'y ai adjoint quelques précisions trouvées dans la revue Flammes et Fumées du printemps 1956, et enfin, la Complainte du Comte de Bocarmé, éditée à Paris en 1851, car en France tout finit par des chansons

Il y a un peu plus de 80 ans, un crime horrible, commis en Belgique, provoqua l'indignation de tout le monde civilisé. Le coupable était un noble, allié aux meilleures familles du pays; il avait pour complice, sinon de fait du moins d'intention et de consentement, sa femme, la propre sœur de la victime. Celle-ci, pauvre infirme, n'ayant qu'une jambe et incapable d'aucune défense fut jetée à terre et on lui fit avaler de force de la nicotine préparée dans ce but. Les avocats de la défense furent les plus renommés de Belgique et de France et il ne fallut rien moins que l'autorité du grand toxicologue Stas pour établir la nature d'un poison qui n'avait aucune réaction caractéristique et qui jusque-là n'avait pas eu l'honneur d'être employé dans un but criminel.

Pour couronnement, le coupable fut conduit à la place d'expiation par un archevêque.

C'est certainement le rapport de l'expert qui offrira le plus d'intérêt à mes lecteurs pharmaciens; cependant, je ne puis le donner sans faire connaître les accusés, leur manière de vivre et relater des détails qui caractérisent suffisamment leur crime.

Le père du futur criminel, le comte de Bury et de Bocarmé venait d'être nommé inspecteur général des Domaines à Java. Il s'y rendit avec sa femme, enceinte de plusieurs mois. La traversée fut longue, la mer mauvaise et la femme accoucha avant d'arriver au port. Telle fut l'entrée dans le monde d'Alfred-Julien-Gabriel-Hyppolyte Wisart, comte de Bocarmé. Son enfance fut pénible, une Siamoise lui donna son lait et on raconte que, pour faire de lui un homme brave et robuste, on lui donna à manger le cœur d'un lion.

Bocarmé

Madame et Monsieur de Bocarmé



Après plusieurs années passées à Java, la famille revint à Tournay. Mais le comte habitué à la liberté coloniale ne put se faire à sa nouvelle vie et il partit pour l'Amérique avec son jeune fils. Il acheta une concession dans la partie la plus sauvage, les Arkanzas, fit squatter et se mit à défricher sa terre, ayant tout à craindre de la nature et des Indiens féroces avec lesquels il eut à lutter de prudence et de ruse. A cette vie quasi-sauvage, son fils se fortifia, acquit des muscles d'acier, mais se laissa aller aux penchants de sa nature cupide et sensuelle. A 18 ans il revint en Europe, y fit des études très médiocres et se retira au château de Bitremont. C'était un jeune homme peu sensible, indiscipliné et étrange, sans aucun sentiment religieux : un sauvage habillé en civilisé. C'est alors qu'il commença une vie extraordinaire de débauches et de folies. Ses procédés de culture étaient étranges : il semait ses graines au mois d'août, plantait ses pommes de terre à 5 pieds de profondeur et imagina de faire massacrer tous les moineaux pour Les entasser par demi-douzaines aux pieds de ses choux en guise de fumier. Les paysans l'appelaient Fin Fou, le Sot Comte, ou encore le Bouquin à cause de sa vie dévergondée.

A ces folies son patrimoine fondit comme neige au soleil, et il ne lui resta plus qu'un parti : monnayer sa couronne de comte contre les espèces sonnantes d'un riche mariage.

En ce temps, vivait aux environs de Tournay une jeune fille d'assez modeste origine, mais romanesque dans l'âme. Elle s'appelait Lydie Fougnier. A 17 ans, elle envoya à la Société des Arts, Sciences et Belles-Lettres du Hainaut, un volumineux roman manuscrit qui lui valut une lettre de remerciements, mais elle ne put lui faire trouver un éditeur. La jeune fille, ravie de pouvoir mettre sur sa tête la couronne de comtesse, accepta avec empressement les avances qui lui furent faites et le mariage fut célébré le 5 juin 1843.

Le comte avait calculé que les parents de sa femme étaient vieux, qu'il n'y avait qu'un frère infirme et qui ne pouvait lui faire attendre trop longtemps l'héritage espéré. Mais l'affaire ne se montra pas aussi brillante que le gendre l'avait espéré. Le père d'abord ne versa à sa fille aucun capital et se contenta de lui donner une rente de 2.000 francs; à sa mort, il lui laissa pour sa part 75.000 francs auxquels il faut ajouter quelques petites propriétés dans les environs de Cambrai. De son côté, le père du comte resté en Amérique lui envoyait chaque année la somme de 2.400 francs. C'était bien maigre; aussi les notes criardes ne tardèrent pas à s'accumuler.

Les maîtres cependant ne se restreignaient en rien et ne songèrent pas un instant à diminuer leur nombreux et inutile personnel. Ils avaient femme de chambre, cuisinière, gouvernante, femme de journée, cocher et jusqu'à un garde-chasse. Leur façon de recevoir leurs créanciers était assez originale : Le château des Bitremont était entouré d'un large fossé rempli d'eau; on ne pouvait le passer que sur un pont-levis. Sitôt qu'on apercevait la silhouette d'un créancier dans la longue avenue qui précédait le château, le pont-levis était levé, le comte se mettait à la fenêtre et se donnait le spectacle de la fureur du bonhomme qui, mesurant la largeur du fossé, finissait par prendre le parti de s'en aller. Le créancier avait-il pu surprendre l'accès du château ? il n'en était pas plus avancé, car il était reçu avec une telle rudesse impertinente, qu'il avait tôt fait de tourner les talons.

Cependant, malgré tous les expédients, une telle vie ne pouvait durer; un seul espoir restait, c'était l'héritage du frère. Celui-ci malingre, rachitique, ne s'éleva que difficilement. Plus tard, un accident de cheval amena de telles lésions qu'il fallut lui couper la jambe droite à la hauteur de la hanche. Cependant à la longue sa santé s'affermit et il songea même à se marier, ce fut pour les châtelains de Bitremont un véritable coup de tonnerre. Tous les efforts furent faits pour empêcher le jeune homme de persister dans sa volonté, mais inutilement, et sa mort fut résolue.

Comment la lui donner sans éveiller aucun soupçon ? Le comte avait fait de la chimie sa science de prédilection. Depuis quelques temps, il cultivait dans son jardin un certain nombre de plantes vénéneuses : le tanghin, la colchique, les veratrum blanc et noir, la ciguë, la belladone. Sur laquelle convenait-il de porter son choix. Il étudia la toxicologie et vit que la nicotine n'ayant aucune réaction caractéristique avait très peu de chances d'être découverte. C'est donc au tabac qu'il s'adressa, et il en acheta une forte provision (80 kilogs). Puis il prit quelques leçons auprès d'un chimiste de Bruxelles et, sous un nom d'emprunt, se fit envoyer un alambic. Il ne restait donc plus qu'à opérer. Les premiers résultats furent mauvais, puis des opérations mieux conduites réussirent et il obtint une quantité notable de nicotine pure.

Bocarmé

« Voici pour faire l'affaire de Gustave », dit-il à sa femme en lui montrant son flacon de toxique. Celle-ci indifférente ne répondit même pas. Le frère Gustave fut alors attiré au château sous prétexte d'affaires. Il y vint le 10 novembre 1849 vers 10 heures du matin et y resta jusqu'à l'entrée 'de la nuit. Il n'était pas sans méfiance, craignant un empoisonnement: il ne touchait à aucun aliment avant que le comte ne lui en eût donné l'exemple. Au moment du départ, pour le coup de l'étrier, on déboucha une dernière bouteille de Champagne et au moment où il allait porter la coupe à ses lèvres, le comte se jeta sur lui, le renversa et lui fit avaler de force une certaine quantité du toxique qu'il avait sous la main. La femme pendant ce temps s'était esquivée.

Cependant tout cela ne pouvait se faire sans quelque bruit. Les femmes, dans la cuisine, entendirent tout à coup le bruit d'un corps tombé à terre et les cris : Aïe ! Aïe ! Hippolyte, pardonne ! plusieurs fois répétés. Puis on vit la comtesse toute pâle se précipiter à la cuisine, demandant du vinaigre qu'elle avait eu soin de faire préparer, disant que son frère se trouvait mal. Celui-ci fut épongé avec un mauvais torchon et si brutalement que les yeux, le nez et les oreilles furent inondés et il en fut versé une assez grande quantité dans la bouche. Ces lavages avaient pour but, non pas de rappeler à la vie un homme déjà mort, mais de détruire les traces de poison qui pouvaient se trouver sur la figure. Le comte était blessé au front et avait les traits hagards; quant à la comtesse, elle était toute blanche, mais n'avait rien perdu de son sang-froid.

Bocarmé

Il fallut bien convenir que la victime était morte, On la porta sur un lit, le corps fut déshabillé, et, sous prétexte que les morts sentent toujours mauvais, la comtesse lui versa encore du vinaigre dans la bouche. Quant au comte qui, dans sa lutte, avait absorbé une petite quantité du toxique, il but une immense quantité d'eau et se fit vomir à plusieurs reprises, puis toutes les précautions furent prises pour effacer toutes traces du poison. La place où Gustave était tombé fut lavée au savon noir, les vêtements du comte imprégnés de la mauvaise odeur de la nicotine furent lavés ou brûlés.

Le médecin enfin appelé arriva à 7 heures du soir ; il ne put que constater la mort, mais aperçut quelques égratignures sur le visage, et le comte se disant malade, il lui prescrivit un vomitif; il aperçut également quelques égratignures sur ses mains. Le bourgmestre arrivé le lendemain n'eut aucun soupçon du drame et crut à une attaque d'apoplexie ou à un coup de sang. C'était le classement de l'affaire, car le Parquet de Tournay allait sans aucun doute délivrer le permis d'inhumer.

Mais alors intervint le juge de paix de Peruwetz auquel la victime avait fait quelques confidences. Il se transporta en toute hâte au château et demanda à voir le cadavre. Des griffes apparaissaient sur la figure, le nez portait une tache rouge; il n'en fallut pas davantage au juge de paix pour défendre de toucher à rien et de ne laisser entrer personne. Le zélé magistrat malgré l'heure tardive se rendit à Tournay auprès du procureur du roi; celui-ci, après bien des objections, se décida à l'accompagner chez le juge d'instruction duquel il finit par obtenir un réquisitoire, et une information fut commencée. Des taches suspectes provoquèrent une autopsie. Pendant qu'elle se pratiquait, le comte et la comtesse furent interrogés; leurs explications furent peu claires et embarrassées. L'autopsie aboutit à des constatations intéressantes : Les lèvres apparaissent blafardes, raccornies, la langue tuméfiée de même que les amygdales, l'estomac était rouge avec de larges plaques noires près du pylore, le cou lui- même portait des traces de brûlures.

L'internement du comte et de la comtesse ne put être évité et l'instruction se fit de jour en jour plus sérieuse au fur et à mesure que les charges s'accumulaient. Sans parler de la vie de débauche du comte, de l'état désespéré de leur fortune, on apprit que le comte se plaisait à cultiver des plantes vénéneuses, qu'il avait monté dans une dépendance du château un petit laboratoire, qu'il s'était procuré des livres de toxicologie, qui avaient disparu, ainsi que les instruments de chimie et l'alambic qu'il avait acheté sous un nom d'emprunt.

Des recherches très minutieuses furent faites pour retrouver ces appareils; des étangs, des fossés furent vidés, des cloisons abattues, le tout bien inutilement; enfin une trappe en s'ouvrant les montra cachés sous le parquet d'un double plafond.

Le 27 mai 1850, les accusés comparurent devant la Cour d'assises de Mons. Je ne m'étendrai pas sur les péripéties de ce procès qui demanda 17 séances et qui furent suivies avec une attention passionnée.

L'accusation fut soutenue par M. de Marbois, procureur du roi. Deux avocats helges assurèrent la défense de la femme. Le principal coupable, le comte de Bocarmé, fut défendu par Mes Paepe et Lachaud, de Paris. Quand l'Assemblée vit entrer ce petit jeune homme déjà célèbre, elle ne put retenir un geste d'étonnement, mais quand il eut pris la parole, bien des femmes éclatèrent en sanglots et le président dut suspendre un moment la séance pour permettre à l'auditoire de se calmer. A la fin de sa plaidoirie, Me Lachaud, dans un large geste, offrit sa main à l'accusé.

La femme se défendit en accusant son mari de tout le mal. Elle se montra toujours aussi insensible et indifférente qu'elle avait toujours été quand sa personnalité n'était pas en jeu. Elle confirma le propos déjà connu, qu'au début de novembre le comte lui avait montré un flacon de nicotine en disant que c'était pour faire l'affaire de Gustave et comme le président lui reprochait de n'avoir pas prévenu ce dernier et d'avoir ainsi causé la mort de son frère, elle répondit : J'espérais jusqu'au dernier moment que le comte hésiterait et je me suis sauvée quand j'ai entendu mon frère crier : Aïe ! Aïe ! pardon, Hippolyte !

Quant au comte, il prétendit que Gustave s'était trompé et qu'il avait avalé la nicotine par erreur. Cette thèse n'était pas soutenable.

Le 14 juin, le jury apporta un verdict négatif pour la femme, qui fut aussitôt mise en liberté. Elle se retira sans même jeter un dernier regard sur celui dont elle avait été sans aucun doute la complice. Quant au comte, il fut reconnu coupable sans restriction et la peine de mort lui fut appliquée. Son pourvoi en cassation ayant été rejeté, l'exécution eut lieu quatre jours après sur une place publique de Mons.

Le comte, nous l'avons dit, avait toujours vécu sans aucune religion. Cependant dans les derniers jours, se rappelant son séjour en Amérique, il accepta les offices d'un missionnaire de passage à Mons et qui se trouva être l'archevêque de Cincinnati; ainsi il se réconcilia avec Dieu. Ce fut l'archevêque qui le conduisit au dernier supplice et soutint son courage, qui fut, du reste, remarquable.

Quand l'archevêque quitta Mons, une femme en pleurs vint se jeter à ses genoux. C'était la pauvre mère du coupable, et il lui dit : « Ah l Madame, je vous ai reconnue à vos larmes. » Tous les assistants se découvrirent.

Voyons maintenant le rapport de l'expert Stas qui, pour nous, est la partie la plus intéressante de ce procès.

Les questions posées au chimiste par le juge furent :

  1. Y'a-t-il eu chez le défunt ingestion d'une substance vénéneuse ou morbifique quelconque ?
  2. De quelle nature était cette substance ?
  3. En quelle quantité a-t-elle été ingérée ?
  4. N'était-elle pas mélangée à un autre liquide au moment de son ingestion ?
  5. La couleur noire de la lèvre inférieure, de la langue et de toute la muqueuse buccale n'est-elle pas due au passage d'un acide quelconque, l'acide sulfurique par exemple ?

Stas déposa son rapport le 9 juin. Écoutons-le parler :

Jean Servais Stas

Jean Servais Stas



Mon premier examen m'a convaincu que les organes du Gustave Fougnies, ne contenaient pas d'acide sulfurique, mais j'ai constaté à l'instant même que la langue et le contenu de l'estomac renfermaient une certaine quantité de vinaigre, toutefois la quantité d'acide acétique était manifestement insuffisante pour avoir produit les altérations constatées. J'ai recherché ensuite les caustiques minéraux. Après une distillation qui dura 52 heures et que j'éprouvais une difficulté insurmontable à continuer, car l'appareil sautait à tout instant, j'acquis la certitude que je faisais fausse route.

Je pensai donc à me retourner du côté des matières végétales toxiques; j'ai cherché d'abord toutes celles qui pouvaient produire les désordres constatés sur les organes de Fougnies et en procédant par éliminations successives, j'ai reconnu que l'estomac ne renfermait aucun des alcaloïdes dont malheureusement les empoisonneurs se sont servis pendant ces dernières années pour commettre leurs crimes.

Je dois le déclarer ici parce que c'est la vérité, j'eus brusquement l'idée providentielle, j'ose le dire, de verser de la potasse sur une partie des matières dont j'avais retiré l'acide acétique. Cette potasse je la versai au hasard, ne sachant plus, pardonnez-moi l'expression, à quel saint me vouer. A l'instant même se dégage une odeur véreuse extrêmement forte. J'eus cette fois la conviction qu'il s'agissait d'un alcaloïde organique végétal. Je pus le retirer; il sentait l'urine de souris et m'étouffait quand je voulais approcher. Ma première idée, je ne le cache pas, fut que je venais de retirer l'alcaloïde qui se trouve dans la ciguë. Mes expériences me montrèrent vite que je m'égarais cette fois encore. Mais sur la feuille de papier où, quand je pensais toucher au but, j'avais écrit le mot ciculine, j'en avais mis un autre avec un point d'interrogation. Le second mot écrit était Nicotine. J'instituais alors une série de recherches fort longues, mais le succès vint récompenser mes efforts et je pus m'écrier : J'ai trouvé.

M. Stas entre alors dans les détails indispensables et raconte les expériences qu'il fit le 27 février en présence du juge sur des chiens et des oiseaux et qui ne laissèrent aucun doute. Il conclut en ces termes.

Je déclare solennellement que la Nicotine est entrée dans le corps de Gustave Fougnies à l'état de pureté complète et en quantité effrayante; la preuve en résulte de la nature et de la gravité de l'altération des organes.

Telle fut la fin de ce sinistre procès, puis peu à peu le silence se fit et tout ce drame fut oublié. Le château de Bitremont où le crime fut commis n'existe plus; les bâtiments furent démolis, les fossés comblés et, suprême dérision, la charrue se promène sur ces vestiges.

Les éléments de cette étude ont été puisés dans les Causes célèbres de 1852, la Revue de France et quelques journaux de l'époque. Le grand Dictionnaire universel de Larousse en 18 volumes en donne également un résumé assez succinct sous le nom de Bocarmé.

L. Kauffeisen, M* fondateur, Dijon

(1) Stas (Jean-Servais), chimiste belge, né à Louvain le 20 septembre 1813, mort à Bruxelles le 13 décembre 1891. Il étudia d'abord la médecine et se fit recevoir docteur, puis il s'adonna tout spécialement aux recherches chimiques. Ses travaux furent remarqués, et il devint professeur de chimie à l'Ecole militaire de Bruxelles, président de la commission des poids et mesures et, en cette qualité, fut délégué par le gouvernement belge à la commission internationale du mètre où il se signala. Depuis 1841, M. Stas est membre de l'Académie de Bruxelles; il a été élu correspondant de l'Institut de France (Académie des Sciences) le 14 juin 1880. Parmi ses mémoires, il faut citer : Recherches sur le véritable poids atomique du carbone, en collaboration avec Dumas; Recherches médico-légales sur la nicotine; Recherches chimiques sur la phloridzine; Mémoire sur les types chimiques, en collaboration avec Dumas; Nouvelles recherches sur les proportions chimiques; Sur une modification de la méthode d'essai des matières d'argent par voie humide; Recherches de statique chimique (Larousse. Diet, univ., t. 17, p. 1872).



in Flammes et Fumées :

La découverte de Stas produisit une grande sensation dans le monde, mais, sans doute, ne frappa personne autant que le comte de Boccarmé, qu'elle mena à l'échafaud, et que le célèbre toxicologue Orfila, frappé dans son orgueil de savant. C'est, en effet, pour avoir lu dans son traité de 1843 qu'il n'y avait point de réactif pour déceler la nicotine que le comte de Boccarmé avait choisi ce poison. Lorsqu'il se vit ainsi démenti et de quelle éclatante façon, Orfila écrivit à Stas. Celui-ci, homme très obligeant, communiqua à son confrère français les détails de sa découverte, et eut la grande surprise de les lire, peu de temps après, dans les « Annales d'Hygiène Publique et de la Médecine légale », sous la signature d'Orfila ! Ce dernier prétendait, contre toute vraisemblance, avoir fait des recherches sur la nicotine qu'il soupçonnait être le poison du comte de Boccarmé. Stas se défendit noblement, déclarant : « J'ai voulu revendiquer, pour mon pays, le fait d'avoir constaté le premier, au lieu même des organes de la victime d'un crime affreux, un alcaloïde volatil qui tue d'une manière foudroyante et dont l'action sur l'homme par les lésions des tissus était complètement inconnue jusqu'à ce jour ».



Complainte du Comte de Bocarmé

air de Fualdès

Honnête et brave auditoire,
D'un criminel renommé,
Du comte de Bocarmé
Je rapporte ici l'histoire;
De ce monstre d'un haut rang
Qui Praslina son parent.

Croyant la chance opportune
Il prit femme sans renom,
Qui l'épousa pour son nom
Comme lui pour sa fortune.
Dans ce marché hasardeux
Ils s'étaient trompés tous deux.

Bientôt vinrent les détresses
Dans l'intérieur désuni.
Le comte, intrigant fini,
Se régalait de maîtresses;
De plusieurs être amoureux.
Comment serait-on heureux ?

L'assassin qu'on va connaître,
Calculant comme un ourson
Que son beau-frère est garçon
Et qu'il jouit d'un bien-être,
Commence à préméditer
Qu'il pourrait bien hériter.

On le voit, avant matine,
Sur l'alambic installé,
Qui, du tabac distillé,
Fait jaillir la nicotine :
Si l'on y songeait, pourtant,
On ne priserait pas tant !

Éloignant chaque servante,
Quand le jour du crime a lui;
Son beau-frère vient chez lui
Parler d'achat ou de vente.
Or, pour mieux l'empoisonner,
Il l'invite… à déjeuner.

Après ce repas intime,
Le comte, tout frémissant,
Fais boire, en la terrassant,
Du poison à sa victime :
La sœur prouve tout cela
Puisqu'elle se trouvait là.

Vite on lave, on se démène,
Tout par elle est replacé.
Quand son époux est pincé,
Comme complice on l'emmène.
Avouons-le tous ici,
Nous l'aurions pu croire aussi.

L'accusé dit : « Ma compagne,
Sans faire de trahison,
Nous a versé du poison,
Le prenant pour du Champagne. »
Il croit, par cet argument,
Se soustraire au châtiment.

La comtesse, plus sensée,
Dans l'espoir qu'elle a nourri,
Soudain charge son mari,
Et sa mort est prononcée,
Elle… s'entend acquitter…
Peut-on mieux le mériter ?

D'un crime aussi mémorable
On doit assez promptement
Convertir l'emplacement
En un terrain labourable.
Que n'en peut-on obtenir
La perte du souvenir !

Tel destin que soit le nôtre
Sachons nous en contenter.
De l'un on croit hériter
Que de vous hérite un autre.
Ce qu'on veut injustement
Nous arrive rarement.

Bocarmé nicotine poison