Mots en fumée

par Bertrand Sachs

21/02/11

Lettre ouverte d’un fumeur heureux à Jacques Attali

Je vous salue, Jacques Attali
Que d’aucuns nomment Attila,
A bien vous lire, je pâlis
Que vous en soyez rendu là…
Fumer serait donc un délit,
Dont vous nous faites tout un plat
Pourtant, ça ne fait pas un pli :
Vos raisonnements tombent à plat.

Poussé par des raisons occultes
Vous nous déniez, par vos rumeurs
Le droit de nous juger adultes.
En nous infligeant vos humeurs,
Qui, je le crois, côtoient l’insulte
A cette liberté qui meurt,
Vous sacrifiez au triste culte
De la croisade anti-fumeurs…

Que l’on protège la jeunesse
Je le conçois et j’y souscris ;
De là à nous botter les fesses
Même si ce n’est que par écrit
Il y a là, je le confesse
Matière à pousser quelques cris !
Respectez notre droit d’aînesse
Nous ne sommes plus des conscrits !

Que ces dérives vous promeuvent
C’est votre affaire évidemment
Mais souffrez donc qu’elles nous émeuvent
Et qu’on les combatte un moment
Je redoute que demain ne pleuvent
Vetos, censure, débordements ;
Nous ramerons contre ce fleuve
Liberticide et infamant.

Eh oui ! nous sommes des esthètes
De la fumée et du tabac
Cessez de nous prendre la tête
En ranimant ces vieux débats
Vous pouvez nous traiter de bêtes
Et vous gausser de ce combat
Pour être franc, ce que vous faites,
Dorénavant, nous, on s’en bat !

Poésie Fumeuse

Affalé au mitan d’un vieux divan sans fond
J’admire en rêvant les volutes
Que ma pipe odorante déroule vers le plafond
Comme un langoureux air de flûte
Mon esprit est en paix et mon cœur bat profond
Plus de conflits et plus de luttes…

Des parfums capiteux se diffusent aux coins
De mon salon garni de livres
Je n’ai plus de désirs, de regrets, de besoins
Et je me sens devenir ivre
Mes pensées allégées s’évadent loin, bien loin
Des soucis et du mal de vivre.

Ces robustes senteurs d’humus et de sous-bois,
Odeurs terriennes, brises marines
Me grisent doucement comme un vin que l’on boit
En remontant à mes narines ;
Je m’étonne à nouveau de cette paisible joie
Qui vient dilater ma poitrine.

A vous, compères en pipes, je dédie ce poème
Fraternel bien que solitaire
En vous offrant à tous un peu de ce que j’aime
Soyez-en donc destinataires.
J’aime à fumer, pensant que vous faites de même
Où que vous soyez sur la terre…

Je vais, pour terminer, en cédant à la flemme,
Vous saluer… et puis me taire !

Amateur Blues

Compagnons de la bourse plate,
Qui chantera nos frustrations ?
Entre Billard et bulldog squat
Quelle avalanche de tentations !
Et de l’apple à la tomate
C’est une valse-hésitation,
On se torture et on se tâte
Devant ces fruits de la passion…
Des fonds de poche que l’on gratte,
Aux comptes bancaires en dépression
Faut-il que sans cesse on se batte
Pour réprimer ses impulsions ?

Je vous dédie ces quelques vers,
A vous, compagnons de débine
Qui comme moi buvez maints verres
D’eau minérale ou de bibine
En maudissant ce site pervers
Qui sans relâche nous incline
A ces déchirements sévères,
Ces renoncements qui nous minent…
Mieux vaut se dilater la rate
En pratiquant la dérision
Et conjurer tout ce qu’on rate.
Pardonnez-moi cette confession !

Signaux de fumée

A tous mes frères pacifiques
Déambulant la pipe au bec
Ceux qui pétunent et ceux qui chiquent
Qu’ils soient de France ou du Québec
J’envoie ces signaux de fumée
Visibles des quatre horizons
Auxquels étaient accoutumés
Les indiens guettant les bisons

Je songe aux temps où s’allumaient
Pour sceller la paix en fumant
Les fourneaux des longs calumets
Qu’on partageait pour un moment
Hélas on ne fume plus guère
Et le tabac devient tabou
Les pisse-froid nous font la guerre
Et la mèneront jusqu’au bout

Morts, je sais bien où nous irons
Nous les fumeurs impénitents
Auréolés chacun d’un rond
De fumée bleue couleur du temps…
Car (sans plagiat) quelqu’un m’a dit :
« Ne t’en fais pas, mon camarade
Nous irons tous au paradis,
Et nul ne restera en rade :
Nous sommes chargés par Dieu le Père
En fumant jusqu’au bout des âges
De fabriquer ces beaux nuages
Qui voguent entre ciel et terre »