Petite chronique automnale

par Renzo

06/12/10

Il semblerait que le temps froid et maussade augmente la fréquentation des salles de sport. Allez savoir pourquoi, moi cela m’a donné envie de choisir un bon tabac, la pipe qui me semble lui convenir et de me mettre au clavier. Pas de chance pour vous les amis ! Armez-vous de patience et de cette dose de bienveillance qui caractérise le fumeur de pipe… ou cliquez sur la petite flèche qui permet de revenir sur la page précédente de votre site Internet préféré. Vous êtes toujours là ? Courageux, ou alors vraiment désœuvrés ! Allons-y alors pour un méli-mélo de choses vues ou vécues ces derniers mois et débutons par un peu de tourisme.

la pipe de Saint-ClaudeSaint-Claude, capitale de la pipe ...

Cela fait longtemps que j’aime le Jura et la Franche-Comté, pour ses paysages et ses spécialités locales qui depuis plusieurs décennies me font fondre de plaisir. Un petit cube de comté affiné avec art, une gorgée de vin jaune… festival de saveurs. Ah le savoir-faire jurassien !

Amateur de la chose pipière depuis quelque temps je m’étais promis de me rendre à Saint Claude, visiter le Haut-Lieu de la pipe française. C’est donc plein de joie qu’un matin de fin août je pris la route direction Saint Claude, accompagné de ma douce moitié.

Une chambre d’hôte des plus agréables nous attendait à Cinquétral, un petit hameau non loin de Saint Claude, pour deux nuitées jurassiennes. Au passage, je me permets de décerner 5 étoiles à cette chambre d’hôte. Rapport qualité-prix imbattable ! De l’espace, de la lumière, une petite terrasse où même en ces temps prohibitionnistes on peut fumer une pipe en paix, avec en prime une bibliothèque très fournie comprenant même quelques ouvrages sur notre passion commune.

La notion de « capitale de la pipe » a beaucoup perdu de sa signification compte tenu de la désaffection massive qui touche la chose pipière. Le présent n’étant pas brillant, j’étais curieux de voir le musée de la pipe et le traitement muséographique réservé à notre compagne préférée (pas un mot à ma femme, hein ?!).

Je m’attendais à passer quelques bonnes heures dans un lieu dédié aux matériaux, aux artisans, aux tabacs, à la pipe quoi. Après à peine vingt minutes, désappointé, j’avais déjà envie de quitter ce lieu, d’aller prendre l’air, me consoler en tournant mon regard vers la beauté des paysages jurassiens !
Je fis un effort en m’installant devant la vidéo… erreur !

Le musée de la pipe est daté, d’une autre époque. D’une époque où musée était synonyme de juxtaposition d’objets, classés, rangés par catégorie, étiquetés, morts quoi.
Ambiance sombre, absence de cette touche de créativité et de lumière qui donne vie aux objets. Aucune ouverture sur le monde, aucun effort pour mettre en valeur la diversité et la beauté des matériaux. La vision du monde de la pipe est à l’image du musée, poussiéreuse et sombre.

Il n’est hélas pas suffisant de tapisser un mur avec des pipes ayant appartenu à des personnages connus, pour donner de l’attrait à la chose pipière. Quant à la vidéo supposée présenter l’artisanat pipier, elle est à l’image du reste, mais en pire, en plus vieillotte, en plus… moche. Dommage !

Le monde de la pipe se prête pourtant tellement bien à une mise en espace vivante et attrayante ! Il y a les matériaux, les outils, toute la science des teintes, de la finition, sans oublier les tabacs. Le musée de la pipe est symptomatique d’une page qui se tourne, d’une activité qui se meurt, disparaît et dont on n’a finalement pas trop envie de se souvenir.

N’y aurait-il pas moyen de trouver les financements pour redonner un nouveau souffle à ce lieu ? Ou est-ce que le sujet n’est passez assez politiquement correct ? Il est vrai que « tabac » est devenu un gros-mot.

A quelques centaines de mètres du Musée de la Pipe se trouve le Musée de l’Abbaye de Saint Claude. Entre les deux, la nuit et le jour. Le Musée de l’Abbaye est une bâtisse magnifiquement restaurée. On y respire. On y joue avec la lumière et on profite pleinement de la beauté des œuvres exposées. Tout cela est bien loin de l’ambiance poussiéreuse dans laquelle sont confinées quelques pauvres pipes mal éclairées !

Certes, la peinture et l’archéologie sont porteurs et oh combien culturels alors que la pipe…
Aurait-on oublié que de nombreux peintres et archéologues fumaient la pipe ?

morta Davorin Denovic73 grammes de générosité croate

Plus tout-à-fait bois de chêne, pas encore complètement minéral, plusieurs milliers d’années de sommeil humide font du morta un matériau fascinant. En attendant la pipe de l’année, la poker morta vue par Hermann Hennen, j’avais envie de toucher, voir, sentir, fumer dans du morta. Certes, j’ai déjà eu le bonheur d’accueillir une petite morta de Trever Talbert confiée à mes bon soins par Guillaume, remarquable fumeuse que je réserve au Pirate Cake devenu très copain avec cette pipe. Mais voilà, j’avais envie de plus de morta. Davorin Denovic était tout désigné pour répondre à cette envie de bois.

Ayant lu quelques infos concernant Davorin sur FdP, je fréquentais depuis quelque temps le site Internet de ce pipier amateur croate. Je franchis donc le pas pour initier un échange de mails qui fut des plus agréables.

Davorin n’est pas un radin ! Ni dans les échanges écrits, ni dans la mise en œuvre du morta !

Après quelques hésitations et une correspondance électronique très sympathique, je me décidai pour cette « C-039/10 ». Derrière ce code qui fait penser à l’identifiant d’un acier se cache un joli bloc de plusieurs dizaines de grammes de morta. D’ailleurs, il n’est pas question de cacher quoi que ce soit. Les pipes de Davorin se voient !

Que les amateurs de créations délicates et légères ne se hasardent pas à commander une pipe à Davorin ! Il y a bien quelques « poids-légers » de 50 grammes, mais la légèreté n’est pas le point fort de notre ami croate.

Ses pipes sont de robustes maitresses aux parois solides. Est-ce un défaut ? La question ne se pose pas en ces termes. C’est plutôt un style, que l’on aime, ou non. Davorin fait des pipes généreuses à la finition soignée, si j’en juge d’après la pipe que j’ai entre mes mains. Le perçage est parfait et la chenillette passe tout en douceur sans besoin de démonter le tuyau. L’insert en bois de rose est du plus bel effet et très soigneusement réalisé. Certes la lentille n’est pas la plus fine que l’on puisse trouver. Dans le cas présent, cela ne gène en rien. Etant donné son poids, cette pipe n’est pas conçue pour être gardée au bec. Mais en main… quelle sensation, cette belle rondeur lovée au creux de la paume… de quoi irriter les jalouses, mais ne nous aventurons pas sur ce terrain.

Le plus remarquable dans cette pipe de Davorin est le travail effectué sur le morta, la mise en valeur de la structure du bois. Sur ce point cette pipe est remarquable. C’est un véritable plaisir que de tourner et retourner encore cette pipe en observant le dessin du morta. Rien que pour cela, cette pipe vaut d’être achetée.

Côté fumage, il faut bien choisir son tabac. La profondeur du foyer et l’épaisseur du bois nécessitent un tabac pas trop humide et un fumage lent. Si l’on respecte ces deux critères, cette ronde généreuse fume très bien et permet de passer un excellent moment.

Margate GermainMargate

Etonnant tabac que ce mélange fait par J.F. Germain and Son pour Butera Pipe Company. Latakia et Orientaux en « ribbon », facile à bourrer et allumer.

En ouvrant la boite, la première chose qui saute au nez est le côté agréablement organique des orientaux. Il y a là comme une touche de beurre, un côté onctueux très réconfortant. Le côté fumé du Latakia vient donner du corps à l’ensemble tout en restant discret, subtile. Au toucher, pas d’humidité excessive. Le tabac semble prêt à fumer. Alors pourquoi attendre ?

Je décide de m’en bourrer une petite tout de suite. Heureuse inspiration !

La première impression au fumage fut… discrétion.

Une bouffée, deux, trois… je reste dubitatif. Cela me fait penser aux premières gorgées d’un vin qui n’a pas eu le temps de s’oxygéner, qui n’est pas à bonne température.

Quelques bouffées plus tard, la révélation se produisit.

De discret le fumage devint agréablement frais, léger, avec un picotement stimulant et sans la moindre agressivité. La suite fut une de farandole d’impressions.

Tantôt les orientaux donnent et les papilles se réjouissent de cette plénitude typique, nourrissante et complexe. Puis vient un passage tout en douceur, harmonie du Latakia intimement mélangé aux autres tabacs. Tiens, voilà une touche de noix de coco légèrement grillée. A peine le temps de me réjouir de cette note exotique que me voici plongé dans un tout autre registre. Terre brûlée, une note de figue séchées à la turque, toujours avec une touche de douceur. Les orientaux refont surface, plus denses et sombres. Je pose la pipe. Je mâchouille, la dégustation continue. Long en bouche, comme un bon vin. Durant un bon moment ma langue restitue des notes douces d’où perce encore l’onctuosité des orientaux. Sensations de fraîcheur qui perdurent.

Forcément, la pipe posée finit par s’éteindre. Rallumage. Tiens, c’est vrai ! Il y a du Latakia, voici qui donne toute sa mesure, sans brutalité. Je suis dans le dernier tiers du bol. Les arômes se font plus sombres. Les orientaux deviennent plus lourds, denses, le Latakia continue de s’exprimer.
Je retrouve des sensations comparables au Kensington de G.L. Pease.
A la fin du fumage les arômes deviennent nettement plus virils, toujours sans agressivité.

Pour une première, ce fut une réussite pleine et entière, une belle découverte. La coupe du tabac en « ribbon cut » facilite un fumage lent, sans surchauffe de la pipe… ah mais… où avais-je la tête ?!!

Je ne vous ai pas parlé de la pipe dans laquelle j’ai découvert le Margate.

David Enrique liverpoolLiverpool in the fall

Une Lovat réalisée par David Enrique il y a environ un an faisait depuis mon bonheur en révélant certains tabacs de manière remarquable. Vous surprendrai-je en vous disant que l’idée de compter une deuxième création de Monsieur Enrique dans mon petit cheptel m’est passée par la tête plus d’une fois ? Et puis vous savez comment se font les choses. Un jour j’ai vu passer une Lovat sur FdP avec un tuyau en swirl ebonite qui retint toute mon attention. Quelques échanges avec David… et voilà qu’il y a une petite dizaine de jours une Liverpool tout ce qu’il y a de beau et d’élégant vint me rejoindre dans mon pied-à-terre parisien.

Liverpool in the Fall, le nom donné par David à cette pipe lui convient à merveille.
La teinte utilisée s’accorde parfaitement avec le swirl ébonite du tuyau (note : ma photo prise vers le bassin de l’arsenal à Paris, samedi 27 novembre, sans soleil, assombrit nettement la teinte. Ci-dessous quelques photos de David, plus parlantes). David une fois de plus démontre son sens parfait des nuances et la petite bague en bruyère pour la transition tige – tuyau est véritablement la cerise sur le gâteau.

Avec ses 31 grammes cette demoiselle Vosgienne vient faire le contrepoint avec la solide Croate de Davorin.

Que cette Liverpool respire de façon parfaite ne surprendra personne. Je suis certain de prendre beaucoup de plaisir avec cette belle classique, en toutes saisons.

Margate – Post Scriptum

Je m’extasiais un peu plus haut sur les sensations qui furent les miennes en découvrant ce tabac dans la Liverpool de David Enrique. Depuis, curiosité et conscience pipière obligent, j’ai fumé ce tabac dans deux autres pipes… et c’est là qu’une fois encore l’accord pipe-tabac prend tout son sens.

Dans la Liverpool le Margate était un pur plaisir, riche, tout en nuances et surprises exotiques. Ce même tabac fumé dans une autre pipe (la Davorin Morta) m’a laissé de marbre au point de douter de ce que j’avais écrit plus haut. Une autre tentative s’imposait, cette fois avec une Roland Schwarz. Mieux, mais toujours rien à voir avec ma première expérience.

Nouveau fumage avec la Liverpool, pour vérifier et là je retrouve les sensations de mon premier fumage.
Surprenant de constater à quel point la pipe peut influencer la dégustation d’un tabac.
Mais… est-ce réellement une question d’accord pipe-tabac ou est-ce que tout se passe dans la tête.
Je m’interroge. Après tout l’homme aime à se raconter des histoires !