Le fumeur de pipe fait sa valise

par Guillaume

09/02/09

Récemment, Manu faisait cette observation : "...mais c'est vrai que ce qui est dingue, c'est que plus on a de pipes, plus on est tenté de vouloir toutes les emporter avec nous... même pour de toutes petites absences de la maison :-)".

Je sais que certains ont résolu le problème de façon différente. Alors qu'il leur est difficile de fumer au bureau, difficile de fumer chez eux car ils ne veulent pas enfumer les enfants, ils vont enfin profiter du beau temps, et de longues promenades, pour enfin fumer tranquilles. Ce sont vraiment des vacances. Malheureusement, ils préfèrent ne prendre que leur pipes de sortie, des maïs, de vieilles pipes qui en ont vu d'autres, sont de fidèles compagnes, mais sont moins belles et bonnes que celles qu'ils préfèrent laisser en sureté à la maison. C'est qu'ils ont trop peur d'abîmer leurs belles. Ils pourront les retrouver, au retour, et ne pas les fumer. Ils attendront les prochaines vacances...

Je dois avouer que ce que disait Manu me semble particulièrement vrai. En tout cas en ce qui me concerne, et je ne crois pas être le seul.

D'abord, parce que je n'aime pas abandonner mes pipes, toutes seules, chez moi. L'idée même m'est désagréable. Ensuite, les fumeurs de pipe le savent bien, il nous faut parfois de longues hésitations avant de nous décider, pour fumer une pipe. N'est-ce pas ? La main survole, hésite, caresse, revient, repart, ça n'est déjà pas toujours facile, et bizarrement ça l'est encore moins lorsqu'on est sur le point de partir en promenade et qu'on est attendu. Il ne s'agit là, je le rappelle, que d'une seule pipe.

Alors plusieurs...

Faire ses bagages est une formalité, de toutes façons on oublie toujours quelque chose. Mais choisir ses pipes avant un voyage, c'est tout autre chose, cela réclame du sérieux, du calme, et parfois de longues réflexions.

Prenons un fumeur de pipe, qui a l'habitude de fumer cinq pipes par jour. Ce fumeur a en plus pris l'habitude de laisser reposer ses pipes une semaine. Je sais, ça peut surprendre, mais essayez pour voir, vous m'en direz des nouvelles. Vous pensez que ce fumeur, qui part deux semaines, pourrait décider de ne laisser reposer ses pipes que deux jours, ce qui lui permettrait d'en embarquer beaucoup moins ?

Mais non, pourquoi changer ses habitudes ? Et puis, plus il en emporte, plus il est content. Il sait déjà que de toutes façons, à un moment ou à un autre, il se demandera s'il a emporté avec lui cette pipe là, qu'il a vraiment envie de fumer maintenant, parce que tout s'y prête. Il croit bien que non, mais il a un doute. Comme il est soigneux, bien sur toutes ses pipes sont protégées par leurs pochettes. Il va devoir toutes les ouvrir, pour bien sur ne pas la trouver.

Il faut donc éviter de se tromper. Le calcul est vite fait : 14 jours fois 5 pipes, cela pourrait faire 35 pipes, donc. Mais bon, cela en laisse beaucoup sur le pavé.
Reprenons donc : 14 jours fois 5 pipes, cela fait 70 pipes. Ca semble beaucoup bien sur, mais c'est mieux. Maintenant qu'il s'est arrêté à ce nombre, reste à les choisir.

Bien sur, il y a les pipes les plus récentes, qu'on a tendance à fumer plus souvent. Bon admettons, trois pipes récemment arrivées. Trois petites nouvelles. Celles-là peuvent donc en remplacer d'autres. Ca nous fait 67 pipes. Bon, où sont-elles ? Ah les voilà. Ah oui. Mais pendant le voyage, il aura peut-être l'occasion... Il peut donc déjà en ranger deux, et en laisser une dans la poche de sa veste. Voilà c'est fait. Elle sera prête pour demain. Bon, donc, ne soyons pas chiches, reste 68 pipes.

Les premières, cela va assez vite. Bien sur, il a les pochettes. et puis son sac à pipes. Le sac qu'il va garder soigneusement avec lui en cabine s'il voyage en avion. Hors de question, quand on voit la désinvolture avec laquelle sont traitées les valises par le personnel d'aéroport, de leur confier son sac à pipes. D'ailleurs un sac à pipes qui passe aux rayons X, c'est très joli, depuis que l'affichage sur l'écran de contrôle est en couleurs.

32 pipes plus tard, le sac à pipes est, comment dire, blindé. Dans les petites poches, il a pris soin de caser une boîte d'allumettes de secours, les chenillettes, et un ou deux jolis bourre-pipes, parce que ça ne prend pas de place.

Il en reste 36, sans compter les boîtes de tabac. On sait ce qu'on a en partant, on ne sait pas ce qu'on va trouver - à moins bien sur qu'on ne voyage à l'étranger. Prévoir donc quelques boîtes, on verra ça plus tard.

Que reste-t-il alors comme solution ? Rouvrir sa valise, bien sur. Après tout, on est censé avoir beau temps, il y a bien quelques trucs dont on pourra se passer. On fait un peu de place. On range les pipes, soigneusement, entre les chaussettes, les chemises, que de toute façon on pourra faire repasser sur place. On vérifie bien que la valise ferme sans forcer. On s'aperçoit avec joie que tout est soigneusement sous contrôle : après quelques pas dans le salon, on rouvre la valise, aucune pipe n'a bougé. Ouf !

Ah oui, mais justement, les tabacs ? Flûte ! On rouvre la valise, et on arrive toujours, dans les coins, à caser le strict nécessaire : 7, 8 boîtes.

Vous me direz que j'exagère, mais à peine. Lorsque je voyage en compagnie, ceux qui ne me connaissent pas sont toujours surpris du nombre de pipe que j'embarque avec moi.

Un jour, un charmant camarade m'a demandé pourquoi je n'en prenais pas qu'une seule ! A part ça, je le répète, il est charmant et très gentil. Plutôt que de lui expliquer le pourquoi du comment du parce que, ce qui me semblait un peu long, je lui ai retourné la question.

En effet, il ne sors pas sans emporter avec lui un petit lecteur, de ces tout petits machins dans lesquelles on peut mettre assez de musique pour en écouter 24 heures sur 24 pendant deux mois. Il est d'ailleurs fanatique d'opéra. C'est plein d'airs chantés par de grosses dames qui demandent à de gros messieurs de les prendre dans leurs bras et de les emmener loin, très loin, si possible au-delà des mers. Ici la tension est à son comble, le spectateur se demande comment le type va pouvoir faire pour la prendre dans ses bras, la soulever, et trouver la sortie la plus proche avant l'apoplexie. Les âmes vulgaires lui conseilleront de faire plusieurs voyages.

Je lui ai dit que lui-même emportait pas mal de musiques avec lui.

-Oh oui, j'ai Tannhäuser, la Flûte Enchantée, la version avec Massimo Castastrizzi, dirigée par Kurt Umbreschstadt, bien meilleure que celle dirigée par Wu Fan Suzy One, mais là c'est tout de même Barbara Sproum qui chante l'air de la Barbade, et alors...

J'ai du l'interrompre fermement :

-mais pourquoi n'emporte-tu pas un seul morceau, une seule sonate, par exemple ?

Ce garçon est très expressif, la stupeur se lisait pleinement sur son visage. Et comme il bredouillait, je l'ai interrompu, très vite, en lui disant :

- Eh bien pour nous, les fumeurs de pipe, c'est pareil.