Weingott – il était une fois l’exigeant papa de la pipe anglaise…

par Nightcap

15/07/19

Ca y est. J'ai reçu cette petite pipe, achetée sur Ebay.

Weingott pipe

C'est une très vieille dame. Je la date de 1925-1930. Et pourtant, nettoyée avec soin, remise à neuf par un gentil magicien, elle fume parfaitement. Mieux, elle est absolument délicieuse.

Les vieilles anglaises - je radote… - sont souvent d'excellentes goûteuses - notamment avec les Latakia.

Erwin, lui-même, met les vieilles BBB, ex aequo avec les vieilles Dunhill, au 5e rang des meilleures pipes qu'il connaisse, au monde.

Mais, après avoir goûté… celle-ci les surclasse, je pense.

Normal. C'est une Weingott.

Oh, je sais. J'ai testé avec des copains, pourtant connaisseurs. Quand j'annonce la marque de ma pipounette, évidemment, j'ai tendance à "me la péter" comme dit ma petite cousine. A attendre des "oh" et des "ah" qui fusent, des applaudissements, des départs de feux d'artifice.

Mais non. Généralement, il y a un blanc. Un silence. Un vide, en face.

- Une quoi ?
- Mais bon sang : une pipe de chez J.Samuel Weingott !
- Ah ????

Ok. J'explique. Car l'histoire est belle, et raconte plein de choses - sur la pipe anglaise - et par comparaison, sur les pipes hexagonales.

Weingott reste tragiquement inconnu, de nos jours - sinon par quelques fêlés de la pipe britannique.
Et pourtant, ce fut lui qui lança la première marque de pipe anglaise en bruyère. Bien avant Dunhill : Weingott ouvrit sa première usine en Angleterre, en 1883; quand ce vieil Alfred n'ouvrit son propre atelier qu'en 1910 (27 ans plus tard).

Oh, bien sûr, il y a eu plein de gens qui ont commencé, très tôt, à bricoler de la bruyère, à Londres. Et le débat sur la préséance du premier bruyériste est totalement brouillé par la propagande qu'ont développée les différentes marques, depuis longtemps.
Mais la plupart des pionniers travaillaient des têtes St Claudiennes. Et ceci, dans des ateliers plutôt confidentiels.

A l'époque, Charatan avait bien une réelle existence, mais usinait essentiellement ... des pipes en écume.
Comoy, dont on dit qu'il a pourtant inventé l'appellation "London made", ne travaillait que des ébauches françaises, discrètement ; et n'a ouvert un véritable atelier de production à Newcastle Place qu'en 1895. Et même l’excellent Loewe (un Français installé à Londres) avait bien un atelier - mais rien n'indique une production "sérieuse", à cette époque.

Alors que, comme l'indique Pipedia, Weingott fut en tout cas et très certainement LA plus ancienne fabrication légale de pipe en bruyère enregistrée dans les annuaires officiels de fabricants de pipes en bruyère, à Londres. Voir ci-dessous.

Bref, Weingott a été le premier à lancer une véritable production de marque, "anglaise" ; et de plus, ce qui est très frappant, le premier à en revendiquer la "britannitude".

D'où le titre de "Daddy de la british pipounette", que je lui accorde sans hésiter ;-) .

Mieux : en tant que tel, il a clairement inspiré ce qui a fait l'originalité des pipes britanniques, notamment par rapport à d'autres productions nationales.
Alors, pour l'éducation des masses, et pour le plaisir : voici donc son histoire (directement, mais librement traduite de chez Pipedia; pourquoi aller plus loin ? ;-) )

"J. Samuel Weingott tenait une célèbre civette, au n°3 de Fleet Street (Londres). Et il s’est lancé dans la fabrication de magnifiques pipes en bruyère, à partir de 1865 et 1870 – avant d'ouvrir sa propre usine, en 1883.

Ce qui fait que la marque Weingott est LA plus ancienne marque de fabrication de pipes à Londres, ou du moins la plus ancienne fabrication légale enregistrée dans les annuaires de Londres.

Selon une interview parue dans un magazine anglais de 1899, M. Weingott, un véritable entrepreneur, se disait insatisfait des pipes en terre cuite très répandues à l’époque ; comme il était déçu par les pipes en bruyère importée du continent (comprendre : de St Claude. NDLR). Ces dernières, selon lui, n’exploitaient pas vraiment les véritables potentialités de cette racine merveilleuse.

En fait, avant 1883, il n’y avait presque pas de pipe en bruyère fabriquée en Angleterre. La quasi-totalité venaient de l'étranger.

En 1883, J. S. Weingott conçut donc le projet de fabriquer, en Angleterre, des pipes pour les clients anglais.

Cela le rendit peu populaire, dans le milieu, et beaucoup lui prédirent l’échec.

Mais sans se laisser décourager, notre ami Samuel a pourtant lancé son affaire (S. Weingott & Son). Et, en dépit de débuts difficiles, cette fabrique est vite devenue l’une des plus grandes usines de pipes du pays, avec, notamment, une importante exportation coloniale.

« Seize ans se sont écoulés depuis que j'ai fondé mon usine », déclarait-il en 1899 à un magazine anglais, « c’est peu, et pourtant, l'industrie pipière a aujourd'hui pris une telle ampleur que les hommes qui y travaillent ont déjà créé le Pipemaker's Union, le syndicat des pipiers ».

En fait, M. Weingott était un initié, un véritable "pro" possédant une incroyable connaissance des tabacs, auquel il ajoutait maintenant une expérience unique dans la fabrication de pipes.

L’homme avait d’ailleurs une très haute éthique, motivée par un objectif obsessionnel d'excellence, et les trucs et astuces continentaux le dégoutaient.

Les pipes continentales, disait-il, sont "vendues par des entreprises peu scrupuleuses et étrangères. Mais l'Anglais est un bon juge, en matière de pipe. Il déteste les imperfections de toutes sortes ».

« J’ai longtemps reçu des blocs de bruyères défectueux ; je les ai tous revendus à un sou la pièce » râlait-il. « Il m’est même arrivé de renvoyer jusqu'à 40.000 ébauchons de mauvaise qualité à la fois… Mais maintenant je les brûle tous ! Car les bruyères que je revendais comme totalement impropres à faire des pipes étaient en fait récupérées à l’étranger, et réutilisées de façon malhonnête. Les fissures et les défauts étaient masqués en douce avec du mastic ou tout autre produit ; puis trempés dans une forte solution de permanganate de potasse, qui colorait profondément le bois et rendait le défaut invisible, si on ne procédait pas à une inspection minutieuse. Toutes les pipes que vous voyez, de couleur marron, sont passées par un bain de permanganate de potasse ou autre, puis ont été teintes et vernies ensuite - et vous pouvez être assuré, rien qu’à les voir, qu'il y a un défaut quelque part - elles ne seraient pas de cette couleur si ce n'était pas le cas, car la bruyère naturelle s’assombrit avec l’âge, mais n’a jamais cette teinte ».

Pendant la fin du XIXe et le début du XXe siècle, les Weingott furent ainsi parmi les meilleures pipes jamais fabriquées à Londres.

Qui plus est ... elles respectaient la directive : un artisan par pipe, et un seul.
Car contrairement à ce que firent toutes les autres marques, rapidement : il n’y a jamais eu de chaîne de montage, chez Weingott; rien que du travail d’artisan.

On comprend que ces pipes soient extrêmement rares et très recherchées par les collecteurs du monde entier.

Aujourd'hui, la marque Weingott n’est plus.
La famille a vendu l'entreprise dans les années 1930 et depuis lors, plusieurs propriétaires se sont succédés.
En 1980, enfin, Cadogan a racheté l’entreprise et, selon de nombreux fumeurs de pipe, l'a carrément tué. D’abord, en abaissant le niveau de qualité extrêmement élevé de cette marque classique. Puis en l’arrêtant définitivement.

De Weingott, il ne reste donc rien. Que des estates ; une tradition britannique d’exigence. Et une trace, discrète, à Londres. Le magasin du 3 Fleet Street appartient aujourd’hui à un détaillant de vins et spiritueux… Mais, l’indication originale Weingott est toujours visible, sur le côté droit de la façade."

Fin de l'histoire. Bonnes volutes.

PS. Comme l’indique Pipedia, Weingott fut le premier a apparaître comme producteur de pipes en bruyère, à Londres. Extraits des annuaires officiels de la ville… (noter aussi l’explosion du nombre de fabriques, entre 1884 et 1899)

1882
Flachfeld, J. & Co. - (& briars) 36 Basinghall St. E.C.
Weingott, Sam & Son - 72 Fleet St. & 14 Crown Ct. E.C.

1884
Weingott, Sam & Son - 72 Fleet St. & 14 Crown Ct. E.C.

1895
Allen & Wright - 16 Peultry, E.C. & 217 Picadilly W
Delacour, A. - 21 Nicholl Sq. E.C.
Weingott, Samuel & Son - 83 Fleet St.E.C.; 58 Ldogate Hill E.C. & Royal Hotel Buildings, Victoria Embankment E.C.

1899
Allen & Wright - 16 Peultry, E.C. & 217 Picadilly W; factory, 20 Cheapside E.C.
Block, Salamon - 41 Beech St., Barbican, E.C.
Bondier, G. & Co. - 24 Edmund Place E.C.
Brix Sons - 35 & 37 Whitecross St. E.C.
Bruderlin, Otto - 5 South St. Finsbury E.C.
Bull, Samuel M. - 49 Berwick St. W
Clement & Collcomb - 42 Tabernacle St. E.C.
Grappin-Dallox - 3 New Union St. Moorfields E.C.
Hecht, S. Sons & Prag - (factory at St. Claude, France) 14 Hamsell St. E.C.
Kapp & Peterson Ltd. - 53 New Broad St. E.C.
Loewe, E. J. & Co. - 48 Lexington St. Golden Sq. W
“Masta” Patent Pipe Co. (The) - 153 Fleet St. E.C.; works, 28 GloucesterSt. Clerkenwell E.C. & St. Claude, Jura, France
Oppenheimer, A. & Co. - 32 & 33 Hamsell St. E.C.
Randolph, Andrew & Co. - 7 South St. Finsbury, E.C.
Stantien & Becker - 16 Fore St. E.C.
Weingott, Samuel & Son (briar), 83 Fleet St.E.C. & Royal Hotel Buildings, Victoria Embankment E.C.


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