German Pipemakers & Friends 2007

par Erwin Van Hove

12/08/07

The show must go on. C’est ce que s’est dit Achim Frank après le franc succès du pipe show de Rheinbach de l’année passée. Sous le signe de l’expansion, l’affiche de l’édition 2007 s’annonçait encore plus alléchante. En effet, cette année, l’énergique Achim ne s’est pas contenté d’accueillir la fine fleur de l’univers pipier allemand, il pouvait également s’enorgueillir de la présence de figures emblématiques de la pipe scandinave telles que Former, Tom Eltang, Nanna Ivarsson, Love Geiger et Per Billhäll. Et puis, chose surprenante, pour un jeune pipier français, ce show constituait son entrée sur la scène internationale.

Samedi, une heure avant l’ouverture du show, Georges et moi arrivons en même temps que David Enrique sur le parking de la Stadthalle de Rheinbach. Accueil par Achim et par sa main droite, Willi Albrecht, puis David et Georges commencent à déballer leur marchandise et à arranger leurs tables. J’ai le privilège d’être le premier à découvrir les pipes que David a préparées pour son baptême du feu. D’abord il me montre une pipe en finition vierge commandée il y a quelques mois. Une merveille d’élégance et de finesse dans une bruyère très claire qui s’harmonise parfaitement avec la bague en ivoire. Me voilà déjà comblé. Arrive alors Martin Reck, membre de notre forum, pour prendre livraison d’une commande, une poker sablée. Martin est plus que satisfait du résultat. Je le comprends parfaitement : le sablage est le meilleur que David a fait à ce jour avec son ring grain régulier et dense mis en valeur par une belle teinture entre le tan et le brun. Sort alors de la valise de David une longue pipe lisse dont le fourneau à la forme originale et la tige svelte à la Paolo Becker captent d’emblée le regard. Je suis en train de l’admirer et de me dire que celle-là viendra vivre en Belgique quand j’entends ce terrible verdict sortir de la bouche de mon ami Martin : vendu ! Je me console avec l’idée qu’elle sera entre de bonnes mains. Et puis, pas de panique, je sais que David a emmené une vingtaine de pipes. Je découvre donc un bel échantillonnage des compétences actuelles du Sanclaudien adoptif. Si évidemment il n’a pas encore développé son style à lui, il est par contre évident qu’il est éclectique et polyvalent : il fait de tout avec succès, une prince toute britannique, une blowfish ou une horn à la scandinave, une tige façon Lars Ivarsson, une pickaxe beckeresque. Ses sablages sont bien définis, mais feraient plus d’effet avec davantage de profondeur. Le grain de ses lisses est bien mis en valeur par des teintures à contraste, même si la finition manque encore la luminosité chatoyante et cristalline qui est si typique des pipiers haut de gamme. Par contre, et ça saute aux yeux, au niveau de la finesse de ses tuyaux et de la façon dont sont modelés ses becs, David n’a absolument pas à rougir devant la compétition qui pratique des prix trois fois plus élevés. Une autre constante est la remarquable légèreté de ses pipes, même des modèles volumineux. De la bruyère de qualité longuement âgée.

Une des dernières pipes que David sort de sa pochette, me fait d’emblée de l’œil : une grosse bent ball rustiquée avec une appétissante teinture brun/orange et une belle bague en olivier poli. Sa forme me rappelle immédiatement certaines Lars dont je suis amoureux. Ne voilà-t-il pas que David me raconte : " Pour celle-là je me suis inspiré d’une Lars. " Il connaît ses classiques, ce garçon. Je la soupèse, cette pipe joufflue, et à ma surprise, elle pèse deux fois rien. Hop, vendu. Excellent choix parce que dès le premier fumage, elle se met à produire une fumée douce au goût précis et profond.

Avant le plaisir, le devoir ! Comme je dois encore de l’argent à Tom Richard Mehret, c’est d’abord chez lui que je m’arrête. Je suis un fan inconditionnel de ses mortas et Tom le sait. Il sait aussi qu’un superbe sablage me fait fondre. Il a donc bien préparé son coup : l’accolade terminée, il me met dans la main une morta avec une couleur fascinante virant entre le kaki, le brun et le gris, et qui arbore un sablage tout simplement époustouflant : du travail d’orfèvre, l’œuvre d’un miniaturiste, de la dentellerie sur pipe. Le meilleur sablage de sa carrière, qu’il me dit. Et je sais qu’il a raison. En plus elle est d’une impressionnante légèreté. Pourtant j’hésite parce que sa forme me plaît moins que certains autres modèles que je vois sur la table. Alors il m’en présente une autre : plus claire avec sa couleur beige/brun, elle a une longue tige avec ce même genre de sablage en dentelle, mais sur le foyer le sablage est un cran en dessous de l’autre. Par contre, j’aime beaucoup sa forme plus élancée. Ah, quel dilemme ! Choisir, c’est mourir un peu et c’est la mort dans l’âme que je me décide pour la deuxième. Dès que je la fume, cette pipe confirme ce que je préconise depuis des années : tout amateur de latakia devrait s’offrir au moins une morta. Ne me demandez pas pourquoi. Essayez vous-mêmes.

Le stand à côté de celui de Tom appartient à ce jeune homme cordial et talentueux dans les yeux de qui brille toujours une passion intense : Frank Axmacher. Quelques jours avant le show, il m’avait envoyé des photos des pipes qu’il emmènerait. D’emblée j’étais tombé amoureux d’une bulldog droite à longue tige. Une taille claire et nette, des proportions parfaites, du grain en totale harmonie avec la forme, une teinture à contraste très efficace et une finition brillante. Du grand art pipier. Au moment où j’arrive devant la table de Frank, je ne la vois pas. Puis, je la découvre entre les mains de Hans-Jürgen Rieger, un collectionneur que j’aime bien et qui partage mes goûts. En même temps, je parcours du regard la table entière et si je découvre plein de pipes vraiment séduisantes, je sais également que la bulldog est LE chef-d’œuvre. Mais c’est Ha-Ju, comme on l’appelle communément, qui la tient. Ne voilà-t-il pas qu’il la repose sur la table et qu’il prend – et ce n’est point un hasard – la pipe qui serait mon deuxième choix. Moi, je me jette sur la bulldog. En réalité elle est encore plus belle que sur photo. La bruyère semble vivre. Mag-ni-fi-que ! Vendu, vendu ! A condition que ce ne soit pas un problème pour l’ami Ha-Ju. Et bien non. Finalement il préfère celle dans sa main. Nous voilà tous deux contents. Je laisse la pipe sur la table de Frank parce que je sais qu’il préfère continuer à l’exposer. Plus tard, il me dira qu’une dizaine de personnes avaient voulu l’acheter et que quand Tom Eltang est venu inspecter une à une les pipes de son ancien disciple, il a fait ici et là une petit commentaire, se limitant la plupart du temps à un "mmmm" vaguement acquiesçant, mais que quand il a tourné en rond la bulldog, il a commencé à sourire et s’est exclamé Yeah, that’s it ! Quoi qu’il en soit, chaque fois que je la regarde, j’ai la même émotion.

Je passe chez Jürgen Moritz. Récemment il m’a brisé le cœur, ce type. Juste avant son départ pour l’Amérique, j’avais pu voir les photos de toutes les pièces que Jürgen avait préparées pour le Chicago Show. Une multitude de belles pipes. Mais il y en avait une en particulier pour laquelle j’éprouvais un coup de foudre immédiat et définitif. Remarquez, rien de spectaculaire. Au contraire, une billiard classique avec une tige très fine décorée d’un seul nœud de bambou. Elle était élégante, svelte et elle ne se prenait pas trop au sérieux. A vrai dire, elle me faisait sourire à chaque fois que je la regardais. Bref, sans tarder j’ai contacté Jürgen. Ah, la douche froide ! Jürgen venait de passer une soirée au restaurant avec Frank Axmacher et tous deux avaient emmené leurs pipes prêtes pour le voyage transatlantique. Dès que Frank avait vu l’élue de mon cœur, il ne l’avait plus lâchée et Jürgen avait fini par la lui offrir. Apparemment encore un qui partage mes goûts ! Par ailleurs, le soir au bar, Frank, avec un évident plaisir, m’a montré cette pipe. Immédiatement elle m’a fait sourire. Cette pipe, elle est ensorcelée que je vous dis ! Mais retournons à nos oignons. Ce qui me frappe d’emblée quand je me retrouve devant la table de Moritz, c’est la prédominance de pipes à tige en bambou et que ce géant qu’est Jürgen a une prédilection pour les pipes peu volumineuses, légères et fines. Je vois d’ailleurs de nombreuses pipes qui me séduisent. Une des dernières pipes que je découvre, presque sur le bord de la table, me donne un choc. Je n’en crois pas mes yeux. Ce n’est pas possible ce que j’ai vu ou cru voir. Je m’approche, je la dévisage, je la soupèse, des doigts je touche et retouche sa tige. Tous mes sens en éveil confirment ma première impression : c’est joli comme tout, c’est d’une élégance et d’un raffinement rares et surtout c’est phé-no-mé-nal ! Voilà une pipe dont la tige en bambou fait exactement 6,8mm de diamètre ! Oui, 6,8 ! Imaginez-vous devoir percer ça à du 4mm ! Inutile de dire qu’on n’a pas droit à l’erreur ! Un tour de force d’autant plus que la tige a conservé suffisamment de solidité. D’ailleurs quand je montre la pipe à Trever, il est visiblement impressionné. Bref, je n’ai pas hésité une seconde : ce comble de finesse, il me le fallait. Vendu. Je l’ai laissée sur la table et le soir Jürgen m’a raconté qu’il avait dû décevoir une vingtaine d’intéressés. Il paraît même qu’un type lui a proposé de payer plus que moi. Quand on aime, on ne compte pas. Je le comprends.

Quand je me retourne, Oliver Camphausen vient me dire bonjour et il m’invite à venir juger ce qu’il appelle sur un ton ironique ses " théières ". Le regard qui accompagne ce mot, me fait comprendre qu’il n’a pas oublié l’article dans lequel je me suis plaint du volume et de la lourdeur de ses bouffardes. A ma surprise, je découvre des pipes d’une taille parfaitement normale. Et ce qui plus est, il est maintenant 10h30 et les huit pipes sur la table sont déjà toutes vendues. Chapeau. Il me promet de m’envoyer des photos dès qu’il aura terminé de nouvelles pipes. Je suis curieux.

En route vers le stand de mon ami Heiner Nonnenbroich, je passe devant la table de Trever et Emily. C’est la première fois que nous nous rencontrons. Il y a assez peu de pipes, mais Trever a tenu parole : plutôt que de s’adapter au public allemand friand du style danois qui favorise des pipes passablement petites en finition lisse, il est venu avec l’intention de se démarquer avec des pipes viriles et costaudes avec des sablages à l’américaine. Il a même eu la témérité de proposer aux collectionneurs allemands une pipe verte. Et il a raison : c’est une des premières à se vendre. Quand le lendemain, je parle sablages avec Cornelius Maenz, je l’invite à venir inspecter ceux de l’Américain breton. Cornelius les approche de ses yeux, les regarde longuement. Quand il repose la dernière pipe sur la table, il me dit que c’est super comme travail. Venant de lui, c’est un compliment qui compte. Je sais que Trever loge chez Jörg Wittkamp, un des plus célèbres collectionneurs d’Allemagne et par ailleurs un homme remarquablement discret et charmant. Je sais à peu près quels trésors sont soigneusement conservés dans l’armoire spécialement aménagée de Jörg. Alors je demande à son invité ce qu’il trouve de la fameuse collection. Trever ne se perd pas en de longs discours. Par contre, son regard illuminé en dit long. Et oui.

En face de la table de Trever, je vois Love Geiger. On a déjà échangé des courriels, mais nous ne nous sommes jamais vus. Pourtant, à ma surprise, il me reconnaît. Love m’a l’air d’un garçon sympa, modeste, simple. Il accepte les compliments avec grâce et c’est avec un évident plaisir qu’il donne des explications. Je suis vraiment intrigué par des décorations de tige dans un bois qui m’est complètement inconnu. Il me raconte que ce bois n’a rien d’exotique. En vérité, son père l’emploie pour se chauffer ! Love a remarqué qu’au moment où ce bois commence à pourrir légèrement, il développe des dessins fascinants. Ce bois, c’est du simple bouleau ! Belle trouvaille. Love fait du beau boulot, mais comme désormais l’épaisseur de mon portefeuille a été dramatiquement réduite, je renonce à lui acheter quelque chose.

J’arrive enfin chez mon ami Heiner Nonnenbroich. Ce professeur de piano a un sens de l’humour tout à lui et dès qu’il me voit, vannes, remarques ironiques et éclats de rire se succèdent. Puis on passe aux choses sérieuses : l’examen des pipes. Aucune pipe ne me déplaît. Toutes sont bien faites. Mais cette fois-ci aucune n’arrive à augmenter mon rythme cardiaque. Si, il y en a une, une Twig dans une version améliorée et taillée dans un bois vraiment pur avec un grain splendide. Mais je suis déjà l’heureux propriétaire d’un modèle pareil. Pas d’achat donc. Ce sera pour une autre fois.

Pour terminer mon premier tour de la salle, celui qui a pour objectif premier d’acheter ce qui m’intéresse, il y a encore deux arrêts obligatoires : Axel Reichert et Cornelius Maenz. Axel est un cas à part et pour plusieurs raisons. Travaillant la bruyère depuis des années, ce n’est que lors du show précédent qu’il a vraiment percé. En fait, c’est Rainer Barbi qui l’a découvert et qui, chose rare chez Barbi, ne cesse de chanter ses louanges. L’homme mûr qu’est Reichert, est arrivé à développer en toute discrétion une technique vraiment impressionnante : son exécution est irréprochable, ses tuyaux excellents, ses finitions qui sont le résultat d’expériences multiples, tout simplement superbes. Mais ce qui le démarque le plus, c’est son sens esthétique et son langage des formes à nul autre pareils. Il ne fait pas de pipes dans le style scandinave, il ne ressemble à aucun Italien, il n’a strictement rien en commun avec le classicisme britannique. Reichert taille des pipes hautement personnelles. Je peux comprendre que son style original et iconoclaste déplaise, dérange même. Mais moi, je suis bouche bée devant tant d’individualisme et de créativité. En plus, les deux Reichert que je possède sont d’une perfection déroutante. Je vois immédiatement plusieurs pipes qui m’attirent comme des sirènes, mais pas de bol, par hasard (ou peut-être justement pas) ce sont toutes des pièces dont le prix se situe au-delà de mes moyens. Frustrant. Mais bon, inspecter ces pipes, ça reste un vrai plaisir. Avant de venir à Rheinbach, je m’étais d’ailleurs promis que si les nouvelles pipes de Reichert m’impressionnaient autant que l’année passée, je proposerais à Pipes & Tobaccos un article consacré à ce pipier injustement méconnu. Et bien, c’est fait, je viens de recevoir le go de Chuck Stanion, le rédacteur en chef.

Cornelius enfin. Dès que nos regards se croisent et que je vois son grand sourire pendant qu’il vient m’embrasser, je comprends qu’après la déprime de l’année passée, il a retrouvé le bonheur. Cet esprit fébrile et ce perpétuel insatisfait a trouvé un équilibre évident. Ca fait plaisir. Ce qui me frappe encore une fois, c’est que ce bonhomme dont la carrière fulgurante l’a conduit en un temps record à l’Olympe pipier, a autant d’allures de star que le comptable de l’épicier du coin. Ca papote avec un évident plaisir, ça rit pour un oui pour un non, ça ne laisse pas passer une occase pour te prendre dans ses bras. Et puis, ça ne cesse d’être étonné de sa propre stature. Ah, Cornelius, il sera toujours spécial pour moi. Venons-en à ses pipes. Que dire que je n’ai pas encore dit et répété ? C’est beau, c’est même très beau, c’est toujours parfaitement proportionné, c’est exécuté de façon exemplaire, ça a une finition à couper le souffle. D’ailleurs, le lendemain Trever m’a accompagné pour inspecter les Maenz. Il les a toutes regardées en détail. Quand il a reposé la dernière, il a tout simplement dit : Yeah, that’s great. Pourtant, cette année je n’achète rien à Cornelius. Mais je lui passe une commande. Il va me faire une vraie calabash non pas en gourde mais en bruyère sablée avec un insert non pas en écume, mais en bruyère et un bord dans le bois de son choix. Au niveau technique, le perçage de ce genre de pipes est une prouesse. Bo Nordh maîtrisait la technique. Tom Eltang également. Depuis moins d’un an, Cornelius aussi. J’attends une petite merveille.

Martin Farrent

Jorg Lehmann

Nanna Ivarsson et sa soeur

Me voilà satisfait. Mes achats sont faits et j’ai réussi à mettre la main sur quelques pièces exceptionnelles qui m’émeuvent vraiment. Ouf. Mission accomplie. Je sais, je sais, c’est pitoyable, un obsédé de la pipe. Quoi qu’il en soit, désormais Relax Max. C’est le moment de fraterniser avec d’autres passionnés. Je retrouve donc avec grand plaisir Heinz Schwarzkopf, ce gentleman qui parle un anglais impeccable. Je le présente à David et deux minutes après il lui achète une très jolie pickaxe. Je me retrouve également avec Jörg Wittkamp, puis je m’entretiens un peu avec Per Billhäll. Soudain une main se pose sur mon épaule et j’entends une voix que je reconnais immédiatement : le fils perdu est revenu ! Revoilà mon grand ami Martin Farrent qui, il y a quelques années, avait complètement disparu de la scène pipière. Un vrai bonheur de le retrouver. Une autre rencontre émouvante est celle avec Jörg Lehmann. Jörg, je le connais depuis des années. Il m’a énormément appris et j’ai toujours admiré son sixième sens infaillible pour découvrir et lancer les nouveaux talents. En plus, il a une collection qui fait saliver. Après l’accolade et un quart d’heure de bavardage, il me demande si j’ai déjà repéré le nouveau pipier japonais. Ben non, j’ai bien vu un visiteur japonais, mais aucun pipier. Ah, mais justement, ce soi-disant visiteur, c’est le pipier en question mais qui n’a pas de table. Alors Jörg me convainc qu’il me faut absolument regarder les pipes de ce jeune homme immigré récemment en Allemagne et qui taille des pipes depuis tout juste six mois. Six mois, c’est rien. Je me demande donc pourquoi je devrais perdre mon temps avec le 326ième amateur débutant. Mais Jörg insiste. OK alors. Mais d’abord prenons une bière ensemble. Jörg et moi sommes invités à la table de Tom Eltang, Per Billhäll et Nanna Ivarsson. Je me retrouve à côté de Nanna qui est ravissante. Quant à sa sœur, elle pourrait faire fondre un glacier. Mais passons. Jörg interpelle le Japonais qui s’appelle Ken et il lui demande de me montrer ses pipes. Le jeune homme s’exécute et les sort de leurs pochettes. D’emblée je suis surpris. Six mois d’expérience et il fait ça ! Quand je les examine, je n’en crois pas mes yeux : des formes harmonieuses, pures, parfois même compliquées, des lignes précises et nettes, des décorations soignées, des transitions absolument impossibles à sentir sous les doigts, du grain parfaitement bien lu, des tuyaux en ébonite polis comme des miroirs (très difficile pour un pipier manquant d’expérience !), des becs finement exécutés et qui immédiatement me rappellent les becs de Cornelius, à mon avis les tout meilleurs au monde. Incroyable. Comme j’ai quand même mes doutes, je demande au jeune homme si avant de partir pour l’Allemagne il avait étudié avec quelque maître japonais. Non, monsieur. Donc il a commencé en Allemagne ? Oui, monsieur. Et depuis combien de temps ? Six mois, monsieur. Et il a appris tout ça tout seul ? Non, monsieur. J’habite tout près de l’atelier de Cornelius Maenz, monsieur, et lui, il m’a appris. Tout s’explique. Une pipe en particulier m’attire : bien que sa teinture et sa finition ne soient pas encore à la hauteur, la forme est exquise avec des lignes bien définies et une belle décoration en buis. En plus les perçages sont au-delà de tout reproche et le tuyau est vraiment remarquable. Je lui demande s’il veut me la vendre. Oui, monsieur. Je lui demande son prix. 150 euros. Il ne faut pas hésiter. Vendu.

Ken Dederichs

Ken

En retournant à la table de Georges, je découvre Wolfgang Becker qui garde la table de Cornelius. A ma surprise il m’appelle et il m’annonce qu’il a un cadeau pour moi. Ah bon. Si voici au moins cinq ans, j’ai commandé à celui que tout le monde appelle "Wolle" une Wespe, une de mes plus belles pipes, depuis, je n’ai plus eu aucun contact avec lui. J’ouvre le petit paquet et me voilà en face d’un superbe bourre-pipes. Simple et pur, résolument moderne, cette petite merveille combine de l’ébène, de l’ivoire, de l’amourette et du buis. C’est beau, très beau.

De retour chez Georges, j’apprends qu’il n’a encore rien vendu. Il est évident que les visiteurs se sont déplacés pour acheter des pipes d’artisan et non pas des écumes antiques ou des vieilles british. Par contre, au courant de la matinée, David a déjà vendu sept pipes. Vu la concurrence, c’est plus que respectable. Le Juralsacien rayonne.

Venons-en à la délégation franco-belge. Jean-Luc, Pierre et Laurent arrivent les premiers. Pierre est en mission officielle : il prépare un article sur le show pour un quotidien belge. Le voilà donc qui se met à photographier et à faire des interviews. Moi aussi d’ailleurs je suis invité à parler dans un cassettophone. Je me rappelle clairement la dernière question de Pierre : comment je me vois dans dix ans ? Je n’hésite pas une seconde : " Vieux et con et d’ailleurs ça commence déjà ! " Est-ce bien professionnel de la part d’un journaliste de se bidonner comme il a fait ? En tout cas, le regard continuellement pétillant de Pierre trahit son sens de l’humour bien développé. Jean-Luc, lui, ne sait où donner de la tête. Tant de belles choses et cependant la volonté de se limiter à un seul achat : pas facile, ça. Nous examinons quelques pipes ensemble et finalement il se décide pour une très jolie Love Geiger rustiquée. Je crois que Jean-Luc a bien choisi. Arrivent Alain et Guillaume. C’est toujours un plaisir de les revoir. Nous sommes au grand complet maintenant, donc il est temps de s’asseoir ensemble, de boire un coup, de faire circuler quelques pipes et de faire la parlote. L’humeur de tous est au beau fixe et nous passons ensemble de joyeux moments. Si Guillaume est impressionné par la vue de tant de stars de la pipe et de tant de bijoux sur les tables, il l’est davantage encore par Nanna et sa sœur. Il ne cesse de les prendre en photo. D’ailleurs nous en convenons tous : Nanna serait l’épouse parfaite. Elle est jolie à croquer et elle maîtrise l’art de faire des pipes !

Je ne sais plus si j’étais en pleine discussion ou si j’étais en train de rêver, mais soudain je me suis retrouvé à côté de Nicolas Stoufflet. J’étais vraiment pris au dépourvu et je me rappelle, passablement embarrassé, que lorsque Nicolas m’a adressé la parole pour me saluer avec gentillesse, je n’étais pas encore suffisamment lucide pour engager la conversation avec le même naturel. Je ne sais plus du tout comment et pourquoi ça s’est fait, toujours en est-il qu’après une minute nous nous sommes trouvés séparés et que je ne l’ai plus revu. Je le regrette parce que j’aurais bien voulu m’entretenir davantage avec lui et fumer le calumet de la paix. En tout cas, je le remercie de son geste et j’espère que notre brève rencontre mettra fin aux anciennes inimitiés.

Soudain une voix annonce dans le microphone que les enchères silencieuses se terminent dans exactement cinq minutes. Cette silent auction est un phénomène typique des pipe shows américains. Des artisans ou des commerçants mettent gratuitement à la disposition de l’organisateur une pipe. Toutes ces pipes sont alors exposées sur des tables, accompagnées d’une feuille de papier. Quiconque s’intéresse à l’une d’elles, peut écrire son nom sur la feuille suivi du montant qu’il est prêt à débourser pour l’avoir. Celui qui a noté le montant le plus élevé à l’instant où les enchères se terminent, gagne. Je passe donc devant une bonne douzaine de pipes et de feuilles et je repère une très originale Axel Reichert. Cinq minutes avant la fin des enchères, le montant le plus élevé proposé pour cette pipe est de 100 euros. Une insulte ! Je double donc le prix dans l’intention de déclencher dans les dernières minutes ce qu’on appelle sur eBay a bidding war. Et ça a l’air de réussir parce que pendant les toutes dernières minutes, c’est la cohue devant les tables où sont exposées les pipes. Pourtant, à ma grande surprise, plus personne n’a enchéri sur la Reichert. C’est donc moi qui la gagne. Une affaire inespérée que je viens de faire là !

Les amis français et belges sont désormais partis et la première journée se termine. Grand temps d’aller prendre une douche à l’hôtel et de se préparer pour les rencontres du soir dans le centre historique de Rheinbach où Achim Frank tient à la fois une belle civette et une Weinstube. Je suis prêt avant Georges et David et je décide de les attendre sur la terrasse de l’hôtel. J’y retrouve Per Billhäll et Uli Wöhrle, probablement le plus grand collectionneur d’Europe et qui fut un ami intime de Bo Nordh. Per vient s’asseoir à côté de moi pour me montrer les pipes d’un nouveau talent suédois dont j’ai malheureusement oublié le nom. Ca fait moins d’un an que ce néophyte travaille la bruyère, mais à ses débuts il a été assisté par Bo lui-même. De petites pipes superbement taillées avec un rare sens de la précision. Il ira loin, ça c’est clair. D’ailleurs quand Frank Axmacher voit les pipes, il s’en offre une sans aucune hésitation. Per et moi parlons un peu de son ami Bo. Nous sommes tous deux choqués par les attaques incessantes et virulentes dont le grand Suédois est la cible depuis des mois dans la revue The Pipe Collector. Un spectacle peu édifiant, croyez-moi. Per me raconte alors qu’avant sa mort, Bo avait soigneusement préparé sa succession : c’est son compatriote Ronny Thuner qui a hérité de tout l’outillage, alors que la légendaire bruyère de Bo a été soigneusement répartie : Tokutomi, Gotoh et Nanna Ivarsson ont chacun reçu un tiers du trésor.

Georges, David et moi nous retrouvons sur une belle terrasse ombragée pour dîner. A côté de nous, il y a du beau monde : Frank Axmacher et Jürgen Moritz, Tom Eltang et Former, Tom Richard Mehret et Cornelius Maenz. Per montre à l’assistance quelques snail grade d’Eltang. La perfection faite pipe. Quand David les examine, il est bouche bée. Georges, lui, s’intéresse davantage aux filles brésiliennes à peine vêtues qui se mettent à danser à quelques mètres de notre table. Il regrette d’ailleurs ouvertement que le spectacle prenne fin si vite. David et moi par contre sommes contents d’être débarrassés du bruit de tamtam. Après le dîner nous descendons à la Weinstube d’Achim. La soirée entière, je la passe en compagnie de David, d’Heiner Nonnenbroich et de Rainer Barbi. Rainer, c’est un phénomène. Tout d’abord, c’est ce qu’on appelle " un caractère ". D’ailleurs, par le passé il m’est arrivé à plusieurs reprises de recevoir des courriels d’un Barbi furax, déchaîné. Alors qu’à d’autres moments, il s’est montré avec moi cordial, doux, serviable. En outre, Barbi, c’est une encyclopédie vivante qui sait discourir longuement et avec justesse de l’histoire de la pipe et des pipiers, des énigmes de Dame Bruyère, des diverses techniques employées par les pipiers de trois continents, des avantages et des désavantages de tel produit chimique, de telle huile ou de telle teinture. Et puis la lucidité avec laquelle il analyse le marché et l’avenir de la pipe, force l’admiration. Barbi, c’est à la fois un torrent verbal et un grand pédagogue. Quand il parle, on pend à ses lèvres et on se rend compte qu’on est en présence d’un esprit inquisiteur, analytique, passionné et d’une perspicacité rare. Bref, ces quelques heures passées en sa compagnie constituent pour moi un des meilleurs souvenirs de mon week-end

Tom Eltang
Rainer Barbi

Le lendemain matin, Georges, David et moi nous donnons rendez-vous dans le restaurant de l’hôtel pour un petit-déjeuner copieux. Puis, c’est le départ vers la Stadthalle où Rainer, qui pourtant ne s’est couché qu’à 4h, se fait remarquer par sa fébrilité habituelle alors que pas mal d’autres têtes visiblement trahissent une gueule de bois assez abominable. En passant devant le stand de Tom Richard, je remarque que sa morta au sablage époustouflant n’a pas encore été vendue. Je partage avec lui ma surprise. Il me répond que ça lui ferait beaucoup plaisir de savoir qu’elle m’accompagne en Belgique. Il me raconte qu’après avoir terminé ce sablage, il avait pensé à moi. Je suis sûr que vous comprenez que j’ai craqué. Et je suis bien content de ma faiblesse !

Au cours de la matinée, je m’entretiens longuement avec Heiner Nonnenbroich, puis avec Maenz.

La décontraction de Cornelius confirme mon impression d’hier : il est bien dans sa peau. Puis, je vais étudier les mortas de Reiner Thilo. Elles ne sont pas données, mais nom d’une pipe, quelles beautés ! Tous ses sablages sont d’une régularité et d’une précision extraordinaires. Du très, très beau boulot. Dommage que mon portefeuille soit vide.

Autour de midi et demi, Georges et moi décidons qu’il est temps de rentrer. Deux heures plus tard, nous sommes en train de prendre un verre dans son jardin.

Alors, des conclusions ? Et bien, tout n’est pas si positif que ça. Moins de monde que l’année passée, probablement à cause du week-end caniculaire. Du moins, j’espère que c’est la raison et non pas les querelles intestines au sein de la communauté des fumeurs de pipes allemands de plus en plus divisée en clans. Moins de ventes aussi, ce qui fait que certains pipiers sont rentrés plutôt déçus. Et puis un stupide et regrettable incident qui a causé le départ prématuré de Per Billhäll et de Tom Eltang. D’un autre côté ce show était la consécration de Frank Axmacher et de Jürgen Moritz qui tous deux ont fait un tabac. Quant à David, malgré la rude compétition et en dépit du fait que pour la clientèle allemande, c’est un illustre inconnu, il a réussi à vendre davantage de pipes que certains artisans pourtant plus renommés.

Je vous donne rendez-vous dans un an. L’année prochaine non pas à Marienbad. A Rheinbach. Je compte sur vous. Aux impatients et à tous ceux qui sont désormais convaincus qu’il faut sans tarder se rendre à un pipe show digne de ce nom, je conseille également celui de Fürth au mois de novembre. Il y aura du beau monde.


  • Axel Reichert
  • pipes d'Axel Reichert
  • pipe d'Axel Reichert
  • pipes d'Axel Reichert
  • Paolo Becker
  • pipes de Paolo Becker
  • Cornelius Maenz arrive
  • les pipes de Cornelius Maenz
  • C'est prêt !
  • Cornelius Maenz et Paolo Becker
  • David Enrique
  • pipes de David Enrique
  • Erwin Van Hove et Martin Reck
  • pipes de Tom Eltang
  • Rainer Barbi
  • pipes de Rainer Barbi
  • pipes de Peter Hedegaard
  • pipes de Kurt Balleby
  • pipes de Benni Jorgensen
  • Paul Becker au travail
  • pipes de Paul Becker
  • pipes de Claudio Cavicchi
  • pipes de Lasse Skovgaard
  • 
pipes de Ludwig Lorenz
  • Tom Richard
  • pipes de Tom Richard
  • pipes de Tom Richard
  • Frank Axmacher
  • pickaxe de Frank Axmacher
  • pipes de Frank Axmacher
  • pipes de Frank Axmacher
  • la table de Marco Janzen
  • de la bruyère...
  • et de quoi faire des tuyaux
  • deux pipes de Heiner Nonnenbroich, dont la Twigg
  • pipes de Heiner Nonnenbroich
  • Love et Sara Geiger
  • rheinbach072 (1)
  • Bertram Safferling
  • une pipe de Bertram Safferling
  • pipes de Bertram Safferling
  • enchères silencieuses
  • 5 minutes avant la fin
  • Achim Frank annonce la fin des enchères
  • boîtes anciennes
  • Bruto Sordini
  • pipes Don Carlos
  • David examine une Rad Davis d'Erwin
  • Emily Talbert et Alain Letulier
  • Erwin Van Hove et Martin Farrent
  • Hans Former
  • pipes de Hans Former
  • Love Geiger et Bertram Safferling
  • Martin Reck, avec Georges au fond
  • Jorg Lehman et Erwin Van Hove
  • Jorg Lehman, de dos, Tom Eltang et Erwin examinent les pipes de Ken Dederichs
  • Erwin Van Hove et Ken
  • les pipes de Ken
  • Jurgen Moritz
  • les pipes de Jurgen Moritz
  • Wolfgang Becker et Cornelius Maenz
  • le rayon Kohlhase & Kopp
  • des recettes à la demande
  • un des mélanges proposés
  • Nanna Ivarsson, au centre
  • pipes de Nanna Ivarsson
  • Paolo Becker et Erwin Van Hove
  • pipes de Reiner Thilo
  • Trever Talbert et Heiner Nonnenbroich