Réanimation du tabac

par G.L. Pease, traduction de monsieur X

08/03/10

Comment le ramener à la vie

L'autre jour, en faisant de l'ordre sur mon bureau, je suis tombé sur une boîte ouverte de State Express London Mixture, qui s'était cachée là depuis un bon moment. Si ma mémoire est bonne, cette boîte date des années '80, et je l'ai ouverte il y a quelques mois. J'en avais fumé quelques bols, pris quelques notes, puis je l'ai perdue de vue et oubliée, de sorte qu'elle s'est trouvée enfouie sous une pile de papiers et quelques autres boîtes de tabac – également ouvertes et en train de sécher.

Ainsi que le fais toujours, ou presque toujours, je place une double couche de feuille d'alu sur la boîte et referme le couvercle dessus. Ceci fonctionne assez bien pour conserver le contenu de ces boîtes plates en bon état de fumabilité jusqu'à trois semaines, et j'avais bien l'intention de finir cette boîte dans ce délai, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions. Si j'avais su que j'allais l'oublier, ce tabac aurait été placé dans un bocal, pour une bonne conservation. D'un autre côté, j'oublie souvent d'étiqueter ces petits bocaux, et une fois qu'ils sont déplacés de-ci et de-là, habituellement séparés des boîtes d'origine sur lesquels ils sont posés, avec les boîtes atterrissant d'un côté du bureau, et les bocaux de l'autre, j'oublie ce qu'ils contiennent. C'est peut-être une chance que j'aie oublié de mettre celui-ci en bocal. Mais que valait-il après plusieurs mois de stockage ?

En enlevant le couvercle et les deux couches de papier d'alu, je trouvai environ 22 grammes de tabac sec et très friable. Les boîtes recouvertes de feuille d'alu ont une espérance de vie de moins de quelques mois, à ce qu'il semble. Le tabac avait une odeur diminuée et âcre, et avait perdu les notes fruitées qui s'étaient développées pendant ses années de maturation. Il n'y avait presque pas d'arôme perceptible de Latakia, et l'odeur générale était plate et sans vie.

Ceci me fournit une occasion parfaite pour faire une expérience de réhydratation. Les expériences ne valent pas grand-chose si elles ne sont pas partagées, aussi, voici le reste de l'histoire.

Je remplis une petite Castello #10 de ce truc friable, directement de la boîte, et allumai. J'estimai le taux d'humidité à environ 8 %, en me basant sur une moyenne hygrométrique des semaines précédentes entre 45 et 50 %. Ceci est un peu plus faible que les 12 % que je préfère pour bien fumer, mais j'ai fumé nombre de tabacs très secs, et parfois, les résultats sont assez bons, aussi avais-je quelque espoir.

Ce ne fut pas une complète déception. Il y avait certainement quelques bons goûts de reste, mais l'équilibre général était absent. Lorsque je l'avais fumé pour la première fois juste après avoir ouvert cette boîte bien mûrie, les Virginias étaient bien présents, avec les Orientaux fournissant une intéressante épice en arrière-plan. Maintenant, la fumée était dominée par la signature légèrement amère/acidulée du tabac turc, et le tabac offrait une fumée dure et astringente que je n'avais pas remarquée auparavant. Pas horrible, mais certainement pas ce qu'elle avait été, ou pourrait être.

Pour la deuxième, je bourrai une pipe ayant des caractéristique géométriques et de fumage très semblables, et soufflai à travers le tabac depuis le fourneau pour lui ajouter un peu d'humidité, un truc que j'avais appris de mes vieux mentors, à l'époque de Drucquer's. J'allumai avec une allumette de ménage, puis laissai le tabac reposer quelques minutes pour absorber l'humidité. Quand je rallumai, il y avait nettement plus de goût, et une douceur plus prononcée des Virginias. La dureté avait quelque-peu diminué, la fumée était moins agressive, et un peu mieux équilibrée. Au moins, ça allait dans la bonne direction.

Je pesai ensuite le reste du tabac, 16 grammes, et y ajoutai 2,4 ml d'eau, pour amener le taux d'humidité à environ 13 %. Après avoir soigneusement mélangé le tout, je le scellai dans un bocal afin que le tabac puisse pleinement absorber le supplément d'humidité et trouver son équilibre. Le lendemain, j'ouvris le bocal pour voir ce qu'il en était. L'odeur dans le bocal était beaucoup moins agressive, avec moins de caractéristiques végétales sèche, poussiéreuse et acide, et un paquet de plus de la délicatesse des Virginias, semblable à du thé. Bien sûr, rien de la séduction des tabacs âgés n'était de retour, cette qualité odorante et fruitée qui amène tant de tentations.

La première pipe fut à nouveau mise à contribution et, après un bourrage consciencieux, je me préparai à ce fumage avec de fortes attentes, à la fois pour les informations que j'allais en retirer, et pour la délicieuse expérience. Au premier allumage, la différence était grande. Une douceur presque mielleuse dansait sur le bout de ma langue, avec les Orientaux n'occupant plus le devant de la scène. Et, qu'est-ce donc ? Latakia ? Il est de retour ! Je pouvais effectivement le sentir (je n'ai pas mentionné le fait que je ne le sentais pas auparavant, pour la bonne raison que ça ne m'étais pas arrivé, son absence était totale). Une grande partie de l'équilibre du mélange était revenue, et la fumée était vraiment absolument délicieuse. Douce, bien orchestrée et brillante. Je me souviens pourquoi j'avais tant aimé cette boîte, quand je l'avais ouverte.

Environ à mi-bol, toutefois, la fumée devint humide, diluée et plus qu'un peu chaude. Qu'était-il arrivé ? Je n'avais pas remarqué ce phénomène quand j'avais fumé ce tabac pour la première fois. Après un moment de réflexion, je réalisai mon erreur dans un instant de lucidité. Lorsque j'avais calculé la quantité d'eau à ajouter, j'avais négligé de prendre en compte que le tabac en avait déjà environ 8 %. Au lieu de monter le taux à 13 %, je l'avais amené par inadvertance à environ 21 % - beaucoup trop haut pour un bon fumage. Je laissai alors la boîte ouverte pour laisser le reste sécher un peu.

Pour le quatrième bol, je repris la deuxième pipe. Pouf. Le goût était là, et le jeu entre les composants était presque aussi magique que je m'en souvenais, et que mes notes originales le disaient. Bien sûr, certaines des molécules volatiles les plus intéressantes avaient été perdues pour toujours pendant les jours de séchage, et la fumée n'était pas aussi complexe et riche qu'elle l'avait été, mais elle était encore magnifique.

Je qualifierais cette expérience de succès, pas seulement parce qu'elle a ramené à la vie du vieux tabac, mais à cause de l'information qu'elle a m'apportée. Les tabacs qui ont complètement séché peuvent être remis en condition pour fournir une excellente fumée, pour autant qu'ils soient très bon à l'origine (un ami disait, en parlant du vin: "Vous pouvez faire vieillir une bouteille de pisse, mais tout ce que vous obtiendrez sera de la vieille pisse". Très imagé, et pas complètement applicable ici, mais bon...). De plus, j'ai toujours prétendu que le tabac n'est presque jamais à son mieux quand il est fumé trop humide ou trop sec, et ceci a bien été démontré ici (je peux déjà entendre les grognements de ceux qui affirment préférer leur tabac aussi sec que les ossements qui jonchent le Sahara. Essayez donc. Les Virginias ont besoin d'un peu d'humidité pour transporter leurs goûts dans le flux de fumée. J'en dirai plus dans un autre article).

Je réalise avoir dit autrefois que lorsqu'un vieux tabac avait trop séché, ça ne valait plus la peine de le fumer. Je me trompais complètement. Idéalement, bien sûr, une fois ouverte, le contenu de cette précieuse vieille boîte devrait être stocké précautionneusement dans un bocal et fumé dans un laps de temps assez court pour éviter la perte de sa grande subtilité, mais même s'il a complètement séché, tout n'est pas perdu! Réhydraté, il peut être savouré jusqu'au derniers brins.

Je vais prendre des risques avec une autre expérience, au prix d'un important sacrifice personnel. La prochaine fois que j'ouvrirai une vieille boîte, je prendrai quelques notes, puis laisserai le tout sécher pendant environ une semaine, la réhydraterai et la re-scellerai pour "redémarrer" le processus de vieillissement. Je suis curieux de connaître l'évolution pendant la deuxième étape. Je vous dirai ce qu'il en est dans cinq ou six ans.

Pour finir, je vais vous donner ma méthode préférée pour humidifier du tabac d'une manière contrôlée, si ce n'est pas scientifique. Mettez le tabac dans un saladier, et couvrez le récipient d'un linge humide (juste avec de l'eau). Ne laissez pas le linge toucher le tabac. Au fil du temps, et ceci peut aller de quelques heures à quelques jours, ceci dépend de la sécheresse initiale du tabac, de la température et du taux d'hygrométrie ambiants, le tabac va s'équilibrer avec l'humidité fournie par le linge. Contrôlez-le souvent, et ré-humidifiez le linge si nécessaire. Ca marche comme un charme, et minimise le risque de trop humidifier et d'avoir de la moisissure. On vise à avoir des brins de tabac que l'on peut plier, mais qui ne se collent pas ensemble lorsqu'on les presse en une boulette.