Evaluation d'une Random

par Erwin Van Hove

21/11/04

Voici l'article d'Erwin Van Hove pour le site de GL Pease, traduit par son auteur

Il est à noter que pour la pipe en question, Random innove encore : c'est un système normal avec floc et mortaise - ceci dit, la mortaise n'est pas en bruyère, mais en ultem. Ainsi floc et mortaise sont faits dans la même matière. Il est donc exclu que le floc et la mortaise réagissent différemment à la chaleur ou à l'humidité et créent des problèmes.

A l’époque où Random venait de débuter sa carrière de pipier, j’avais acheté une de ses pipes, la 14. Quoique son look plus sculpté que rustiqué fût plutôt bizarre, elle m’avait d’emblée séduit. En outre, j’étais curieux d’apprendre comment cette pipe au tuyau inamovible, avec son passage d’air non conformiste se fumerait. J’avoue que je ne me faisais pas trop d’illusions. Je me trompais. La pipe fonctionnait parfaitement bien.

Depuis ces jours-là, l’œuvre de Random a fort évolué. Bien que ses pipes présentent toujours un style personnel et reconnaissable, elles ont perdu leur apparence rustique, voire primitive. Les modèles sont devenus plus harmonieux et la finition sculptée a fait place la plupart du temps à des rustications, souvent partielles. Sans pour autant être devenu un pipier ordinaire, Random arrive aujourd’hui à séduire un public plus large.

Quand j’ai aperçu la 37, je me suis dit que c’était une belle pièce. Puis, je l’ai oubliée. Jusqu’au jour où plusieurs amis américains m’ont rapporté que cette pipe avait été présentée au pipe show de Richmond, où elle avait été examinée par toute une série de pipiers et de collectionneurs. Elle avait été acerbement critiquée : la forme n’était pas fameuse, son exécution technique laissait à désirer, le bec était bien trop épais et surtout, à quoi servait nom d’une pipe cette bosse bizarre dans le foyer, juste au-dessus du passage d’air ? Random était profondément affecté. Pour lui, c’était sa meilleure réussite. En essayant de voir moi-même sur les photos de Random ce qui exactement causait toutes ces critiques, soudain je me sentais fasciné par cette pipe. Il me la fallait, critiques ou pas.

Je ne regrette pas mon caprice.

Les pipes de Random ne laissent pas indifférent. On les aime ou on les déteste. Moi, j’aime la mienne. Ce qui est sûr, c’est que les photos sur le site web de Random ne font pas justice à cette création. Elle a une forme fort fluide, sans interruption du bouton au fourneau. La symétrie des facettes sur le dessus de la pipe est très bien exécutée. La combinaison de lignes lisses et de surfaces guillochées est du plus bel effet. La couleur chocolat rayonne une ambiance chaleureuse. Et surtout, la rustication est à la fois remarquable et superbe. Elle rappelle le cuir, tant au niveau tactile qu’au niveau visuel, et elle est le résultat de longues heures de travail demandant une concentration méticuleuse et un savoir-faire certain. Une denrée rare dans cette fourchette de prix.

Je suis un grand fan de becs très minces aux lentilles discrètes. En étudiant le bec de la 37, j’étais choqué : nom d’une pipe, ce bec en forme d’entonnoir est énorme ! Par contre, je constatais que la jonction tuyau/tige est exemplaire, étant à peine visible. J’aime caler mes pipes entre les dents. Aussi m’empressais-je d’essayer le bec entre mes incisives, puis dans les coins de ma bouche. Surprise. La sensation n’était pas celle dont j’avais l’habitude et il est vrai que le bec était plus épais que ceux de mes "high grades". Cependant, ce n’était pas une sensation déplaisante. Au contraire, le bec tout en rondeurs était agréable, voire sensuel. Depuis, j’ai appris à apprécier encore plus ce tuyau. J’ai fumé cette pipe en faisant de longues promenades, la calant dans ma bouche pendant une heure et demie. Une sensation de confort. C’est différent, mais ça fonctionne. Comme d’ailleurs l’Ultem, la matière inhabituelle qui a servi à produire ce tuyau. A vrai dire, je préfère l’Ultem à l’acrylique. Ceci dit, Random pourrait encore faire du progrès au niveau du polissage du tuyau : j’ai dû enduire de graphite le floc pour qu’il tourne plus facilement dans la mortaise, et sous une source lumineuse, on peut voir (mais pas sentir) des microgriffes sur la surface du tuyau. Par contre, la taille du floc est parfaitement adaptée aux dimensions de la mortaise, ce qui empêche toute condensation.

En examinant le foyer, j’ai compris ce qui avait suscité tant de réactions à Richmond : bizarre, c’est le moins qu’on puisse dire ! Un grand trou en forme d’entonnoir, au plus profond du talon, presqu’au centre du foyer ! Et au-dessus de ce trou, une sorte de bosse ! A quoi est-ce qu’elle pourrait servir, celle-là !? Est-ce que Random ne peut vraiment rien faire selon les règles de l’art ? Apparemment pas. Si vous voulez apprendre ce que ce savant fou fait de si différent et pourquoi, jetez un coup d’œil par ici : how_different. shtml.

Plein de théories et d’avis personnels. Cela ne m’impressionne pas. Le croira qui voudra, mais moi, il me faut d’abord des preuves tangibles.

Et bien, ces preuves, je les ai désormais. Voici mes conclusions.

Depuis que je suis devenu le propriétaire de cette pipe, je l’ai fumée tous les jours sans exception. Pas mon habitude, ça. Même quand je suis en train de culotter une pipe, je ne la fume pas tous les jours. Mais celle-ci ne cesse de me faire de l’œil. Parce que son tirage est parfait : tout ce que je dois faire, c’est respirer normalement. Parce que le tabac y couve si gentiment et uniformément. Parce que je n’ai jamais eu besoin de plus d’un rallumage. Parce que le tabac se consume jusqu’à ce qu’il ne reste pratiquement rien. Mais surtout parce qu’elle produit une saveur profonde et bien définie. Avec ses passages d’air au diamètre très large et ses grosses ouvertures en forme d’entonnoir et ses lentilles grandement ouvertes et ses bosses bizarres dans le foyer, Random fait des choses sérieusement excentriques, mais ça marche. Vraiment, ça marche.