Un fichu millimètre

par G.L. Pease, traduction de Monsieur X

29/08/11

Depuis longtemps, maintenant, j'ai travaillé sur des pipes, lorsque c'était nécessaire, pour en améliorer le flux d'air, les caractéristiques de fumage, l'accumulation d'humidité dans la tige et le tuyau, et ainsi de suite. De mon passé dans les moteurs de course, j'ai adopté l’expression «polissage et transferts» pour décrire ce que ces modifications de pipes peuvent concerner. La comparaison entre une bonne pipe et un moteur de course n'est pas aussi déplacée que ça. Dans un moteur, un bon passage de l'air est essentiel aux performances. Il est impossible d'en tirer des chevaux si le bon mélange air/carburant ne peut pas arriver efficacement dans la chambre de combustion, et que les gaz d'échappement sont véritablement évacués, une fois que leur jus en a été brûlé. Des étranglements dans les conduits, des culasses mal fignolées, des mauvais réglages de mélanges, ou des chambres de combustion ou des pipes d'admission mal assorties vont empêcher le moteur de donner le meilleur de lui-même.

Bon, la comparaison pipe/moteur n'est pas parfaite. Une pipe mal fichue ne va pas exploser à 14'000 tours/minute, et le fumeur moyen n'est pas intéressé à ce point de voir absolument chaque molécule de tabac brûlable correctement transformée en fumée et cendre. Mais, cependant, une pipe qui fume bien est un vrai bonheur, et une qui est récalcitrante est, ben oui, récalcitrante. Je n'aime pas ces pipes, aussi, quand je le peux, j'essaie de les réparer.

Voici une Castello Sea Rock, forme N° 33. Elle peut être le mieux décrite comme une canadienne chubby courte. L'extérieur du bol a presque une forme de pot, mais la chambre à tabac est celle d'une billiard. J'aime vraiment cette forme. Cette pipe particulière, cependant, m'offrait l'une des plus difficiles expériences de fumage que j'aie rencontrées. Lorsque j'ai reçu la pipe, je l'ai bourrée d'un bon mélange, et l'ai allumée. Le tirage ressemblait assez à aspirer un gâteau sec à travers une paille. Je pensai avoir bouché le conduit d'air, démontai le tuyau et fourgonnai la tige avec une chenillette, m'assurant que tout était en ordre, et réessayai. Pas de chance. Ce fut un défi de terminer ce bol, mais ce qui rendit les choses pires fut la presque totale absence de goût tout au long du fumage.

Ca ne va pas, me dis-je. La pipe n'avait pas mauvais goût; elle n'avait simplement pas de goût. De plus, au moment du nettoyage, j'eus même de la peine à passer une chenillette fine au travers du tuyau! J'ai vu des passages étroits, spécialement dans de vieilles Castello, mais celui-ci était ridicule. Il fallait faire quelque-chose.

Je mesurai le passage d'air dans la tige à environ 4,2 mm, ce qui est presque parfait, et décidai de le laisser tel quel. Le vrai travail concernait le tuyau. Celui-ci mesure 59 mm de long, dont 12 pour le tenon. Côté lentille, le trou d'épingle déguisé en passage de fumée mesurait environ 1,2 mm. Vers le tenon, les choses étaient un peu mieux, avec un diamètre interne de 3 mm environ; trop petit pour un passage aussi ouvert que celui de la tige. Dans le tuyau, il y avait deux impressionnants rétrécissements, indiquant que trois forets différents avaient été utilisés pour percer le passage. Mais pourquoi n'ont-ils pas fini le travail ?, me demandais-je.

La première étape consistait à ouvrir le tenon avec un foret conique, dans l'espoir que ceci éliminerait le premier des deux rétrécissements. Je choisis un foret qui va de 4 mm à une pointe d'épingle, et perçai à une profondeur de 45 mm – assez profond pour éliminer le premier rétrécissement et ouvrir le tenon convenablement, mais pas assez pour risquer de trop amincir les parois du tuyau au bout du foret. L'inspection avec une lampe et l'exploration avec des instruments pointus démontrèrent que la première phase était un succès. Mais que faire avec cette fichue ouverture de 1,2 mm à la lentille ?

Attrapant la plus fine de mes limes aiguilles coniques, je commençai à travailler depuis la lentille, évasant l'entonnoir et en en augmentant légèrement la hauteur. Le résultat en fut une section ovale dont j'espérais qu'elle serait à peu près la même que celle de la partie la plus restreinte que je venais de forer (clair comme de l'eau boueuse, non?). Ensuite, attaquant depuis le tenon, j'utilisai la même lime aiguille pour lisser ce qui avait été le second rétrécissement dans le passage, obtenant ainsi une transition en douceur de l'étroit au large, et un doux évasement vers la sortie. Durant toute l'opération, des tests de flux furent effectués en soufflant dans le tuyau pour vérifier les progrès. L'amélioration était déjà significative.

Une cause fréquente du gargouillis que les pipes humides peuvent produire est la transition brusque d'un large passage dans la tige à un étroit dans le tenon, spécialement s'il y a un jeu entre le tenon et le fond de la mortaise. Lorsque le flux de fumée sort de la tige et s'expanse dans l'espace formé entre la tige et le tuyau, il y a refroidissement, ce qui permet à l'humidité de se condenser. Si l'entrée du tenon est trop petite, la plus grande vitesse qui en résulte va aspirer le condensat dans le tenon, où l'air qui passe va provoquer le gargouillis. Je déteste le gargouillis, aussi j'ai travaillé à ouvrir le tenon jusqu'à environ 4,7 mm, m'assurant que la transition le long du passage d'air restait lisse. Un test final au banc d'essai de soufflerie (en soufflant dans le tuyau) ne produisit aucun sifflement ou autres sons bizarres. On y était presque !

L'étape finale consistait à rouler en tubes de petites bandes de papier de verre 400, à les enfiler dans le tuyau et à poncer le passage d'air pour éliminer toute trace d'outils que la lime pourrait avoir laissée, et pour enlever tout reste de rétrécissement qui aurait pu survivre aux stades de la chirurgie. Après un ponçage final, je mesurai l'entrée du tenon à 4,8 mm, ce qui est suffisant pour éviter la formation de condensation du passage de 4,2 mm de la tige.

Après un rinçage complet du tuyau, je remontai la pipe et la retestai en soufflerie. Parfaite! Mais le vrai test serait celui du fumage. Je remplis la petite beauté avec le même tabac que j'y avais fumé auparavant, coiffai ma casquette de critique de fumage pour tester la pipe en action. Le résultat fut remarquable. Maintenant, la pipe avait un tirage sans effort et délivrait un goût fantastique. Succès !

J'ai toujours pensé que le design du passage d'air affecte considérablement la manière dont une pipe fume, mais j'ai tout autant loupé la notion que cet aspect de la construction de la pipe influence beaucoup la façon dont elle transmet le goût. La conclusion de cette expérience, cependant, m'a converti en vrai croyant. La prochaine fois que j'aurai une pipe fade, je saurai où regarder en premier. Certaine pipes peuvent ne pas répondre aussi bien à ce traitement, mais je préfère donner à ces douces bruyères la chance d'une nouvelle vie plutôt que de juste les jeter dans une boîte pour les y oublier, ou les refiler à quelque pauvre acheteur insoupçonneux sur ebay. Je connais des gens qui considèrent l'idée de modifier une pipe comme quelque-chose de semblable à de l'hérésie, mais j'achète des pipes pour les fumer, et si un petit effort peut amener une telle amélioration, je ne demande aucun pardon pour avoir pensé être un peu capable de les aider à accomplir leur vrai destin.