Chypriote ou Syrien ?

par G.L. Pease, traduction de monsieur X

08/02/10

1ère partie

Je vais rouspéter un peu. Et peut-être même divaguer. C'est mon blog. Je peux le faire. Personne n'en voudra au lecteur d'en rester là, mais il pourrait y avoir des informations, et mes rouspétances peuvent être amusantes, à l'occasion, sinon complètement et sympathiquement perspicaces, aussi vous pourriez souhaiter en continuer la lecture, bien avertis de ce qui pourrait suivre.

Les cinq dernières années ont donné lieu à une discussion continue à propos de la disponibilité de Latakia Syrien, pourquoi je ne peux pas en obtenir, qui en a, quels mélanges en contiennent, pourquoi certains fabricants semblent ne pas avoir de problèmes d'approvisionnement, si oui ou non l'incendie du dépôt était une ruse, et ainsi de suite. Il semble qu'il y ait un grand nombre d'experts qui en sachent plus que moi sur la disponibilité d'une herbe introuvable. Si réellement vous connaissez quelqu'un dans l'entrepôt duquel des balles de cette mystérieuse feuille Syrienne sont séquestrées, s'il vous plaît, soyez assez gentil pour me présenter, afin que je puisse en obtenir un peu. Sérieusement.

Est-ce quelqu'un pense réellement que je pourrais ne pas produire mes mélanges syriens si j'avais à ma disposition du tabac de bonne qualité ? Une personne m'a effectivement accusé d'avoir provoqué la carence, et ce qui n'était qu'une immense et décevante astuce de marketing, un complot. Comment tout ceci pourrait me profiter continue, à ce jour, à rester hors de portée de ma compréhension.

Voici les faits. Quelques fabricants ont acheté du même lot d'ancien tabac syrien que nous, et ont réussi à mettre leur stock en sécurité, dans leurs propres entrepôts, de sorte que l'incendie qui a ravagé le nôtre n'a pas affecté le leur. Ils l'ont toujours; ce n'était pas une petite quantité. Ils en ont un stock qui va leur durer des années. Quand ils arriveront au bout, la situation pourrait être différente, mais elle ne le sera probablement pas, dépendant de ce qui se passera entre aujourd'hui et alors en Syrie, et avec la production de tabac en général. Mais ça ne promet rien de très bon.

Nous autres fumeurs de pipes sommes une faible minorité, au sein du commerce global de tabac, et peu de gens nous écoutent lorsque nous énumérons nos doléances en faveur de la production continue de quelque-chose qui est loin d'être aussi rentable que d'autres cultures. Ce n'est pas bon marché de faire pousser du Latakia, de le récolter et de le fumer, et il y a nombre de choses qui peuvent générer plus de profits à beaucoup moins d'efforts.

Et prenez en compte les aspects environnementaux. En 1960, le gouvernement Syrien a imposé un moratoire sur la production de Latakia à cause du prélèvement excessif que cela causait sur les essences de bois durs indigènes et les arbustes, qui sont utilisés pour le fumage de ce produit. Il n'y pas beaucoup de terres arables dans cette région, et les ressources naturelles étaient consommées à une vitesse alarmante. Bien que le moratoire ait été levé en 1980, et la production redémarrée dans une certaine mesure, on est bien loin des quantités d'avant 1960; la demande est plus faible, et ceci est dû à la fois au déclin de la population des fumeurs de pipes et au transfert de cette demande vers Chypre, d'où provient le gros de la production mondiale, qui a commencé avec la sortie du marché de la Syrie, en 1960.

Avec une demande relativement faible, et des questions environnementales à prendre en compte, est-ce vraiment étonnant que le produit soit introuvable? A en croire certaines sources internes, généralement reconnues comme très fiables, le Latakia Syrien n'a plus été produit depuis de nombreuses années, et ne paraît pas devoir l'être à l'avenir.

Ce qui est important, et qui est absolument certain, en ce moment, est qu'il n'y a pas de Latakia Syrien disponible pour moi (ce tout dernier point est important.) Je connais deux producteurs qui possèdent réellement de ce bon tabac, et j'ai essayé, sans succès, de les faire se séparer d'une balle ou dix. Aucune chance. Et je ne peux pas les en blâmer. Eux non plus ne peuvent plus s'en procurer, bien qu'un seul des deux dise la vérité à ce sujet. Même au double du prix, ils refusent.

Il y aurait plus à dire, et je le ferai dans un futur billet, mais je vais conclure ici avec un avis. Nous avons vu beaucoup de choses aller et venir, et plus encore de choses changer. Rien au monde n'est permanent. Avec toutes les pressions contre le tabac sous toutes ses formes, et venant de tous les horizons, achetez ce que vous aimez, et achetez-en assez pour ne pas vous sentir mal si cela devait devenir indisponible dans le futur, ou si cela devait changer sous des pressions environnementales ou légales. D'ici à trente ans, s'il y a encore un endroit au monde où vous pourrez savourer une pipe, vous serez bien contents de l'avoir fait.

2ème partie

Depuis l'Incendie, de nombreux échantillons de "Latakia syrien" sont arrivés dans ma boîte aux lettres, en provenance de divers fournisseurs. Certains n'étaient pas plus syriens que moi. D'autres étaient de tellement mauvaise qualité que je ne voudrais même pas les utiliser pour fumer du poisson. "Nous avons trouvé ce tabac hors d'âge dans un vieil entrepôt. En voulez-vous?" Non, merci. "Pourquoi pas?" Hem, il est abominable, suis-je assez clair ?

Bien qu'il y ait des mélanges qui contiennent effectivement du tabac syrien, il y en a qui prétendent en contenir, mais je trouve certaines de ces assertions suspectes. Oui, je sais ce que les étiquettes, les importateurs, les vendeurs et autres fumeurs de pipes disent, mais je reste convaincu que certains de ces mélanges ont du Latakia syrien de la même façon que le Martini de Churchill contenait du vermouth: "J'aimerais observer le vermouth depuis l'autre côté de la pièce pendant que je bois mon Martini".

Je ne suis pas un expert ès lois de l'étiquetage, mais elles semblent être assez laxistes, sous certains aspects. En matière d'étiquetage de nourriture, les ingrédients doivent être énumérés dans l'ordre, du plus grand pourcentage au plus petit. Pas pour le tabac. S'il y a un seul brin de Latakia dans un lot, le mélange peut s'en prévaloir, sans tenir compte du fait que la majorité du Latakia est chypriote. Ne croyez pas tout ce que vous lisez.

Pourquoi tout ce tapage ?

Quand j'ai commencé, j'ai pris un moment pour voir s'il avait quelque-chose, que j'avais déjà dit publiquement, qui pouvait être utilisé. Apparemment, une bonne partie de mes précédentes sautes d'humeur l'ont été en privé, ou heureusement effacés des accès publics par de gentils modérateurs de forums qui souhaitaient m'épargner l'éventuel embarras de voir mes élucubrations apparaître là où elles ne devraient pas. Cependant, je suis tombé sur un message que j'avais écrit en 2006, en réponse à la question: "Lequel préférez-vous, le Latakia syrien ou le chypriote?" Voici ce que j'ai alors écrit :

Je ne peux pas dire que je préfère l'un à l'autre, car ce sont vraiment deux choses très différentes. J'aime le caractère brillant, quasi œnologique du syrien quand il est bien utilisé dans un mélange, mais c'est un tabac caractériel. Si les autres composants du mélange n'ont pas la structure nécessaire pour assurer la cohésion du tout, le résultat peut être discordant et "nasal", avec une intensité absolument déplaisante. On peut beaucoup plus facilement abuser du syrien que du chypriote dans un mélange.

J'aime les qualités plus profondes, cuir doux et feu de camp, du chypriote. Il pardonne un petit peu plus. Ce qui ne signifie pas qu'il ne peut pas dominer les autres composants d'un mélange s'il n'est pas utilisé avec précaution, mais le résultat, bien que déséquilibré, est moins déplaisant.

Malgré mon histoire d'amour avec le Bohemian Scandal, si je devais choisir un, et un seul, Latakia (ce que je fais à présent), ce serait le chypriote, qui a de la chance. Nombre de mélanges que j'aime le plus ne pourraient pas être produits avec du syrien.

Du fait que beaucoup d'entre nous ne fumaient pas de mélanges de Latakia avant le début des années '60, quand le tabac syrien disparut du marché mondial, nous avons "grandi", en quelque sorte, avec le tabac chypriote, aussi est-ce celui avec lequel nous le plus familier. Ceci pourrait bien être la motivation première qui se cache derrière mes préférence, et ceux qui m'ont précédé pourraient bien voir leurs goûts pencher du côté du syrien.

J'ai néanmoins appris à revivre sans le Bohemian Scandal et sa dépendance du tabac syrien, mais si j'étais obligé de vivre sans les autres mélanges à base de Latakia que j'aime, je laisserais probablement tomber la pipe.

Heureusement, ces mots sont toujours valables pour moi. Bien sûr, j'aimerais avoir accès aux deux, mais j'aime vraiment la douceur lisse et fumeuse du chypriote. Oui, je souhaiterais disposer des deux, et dans les cas où les deux étaient mis à contribution, comme dans le Renaissance, le Raven's Wing et le Mephisto, le résultat était une magnifique synergie. Mais si je devais n'en choisir qu'un, et un seul, à garder dans ma palette, ce serait le chypriote.

Et si je pouvais ressusciter un de mes mélanges perdus, ce ne serait probablement pas le Bohemian Scandal. J'ai fumé ce matin un peu de Renaissance de dix ans d'âge, et j'ai trouvé qu'il me touchait profondément, comme peu de tabacs le font. La présence syrienne était bien là, offrant une magnifique touche, presque de bois de santal en arrière-plan, qui ajoutait une superbe dimension au mélange, mais c'était le chypriote,plus dominant, qui donnait sa profondeur au goût de cuir à la fumée, et une meilleure exposition. Ca ne serait pas la même chose sans le chypriote. L'expérience fut magnifique, et me fit souhaiter en avoir 100 boîtes en réserve. Aussi bon qu'il soit, le Scandal, à mon goût, se montre juste un peu plat, en comparaison. (Cependant,j'adorais ce mélange quand il était un peu plus jeune. C'est intéressant.)

Je me demande quelle serait la demande pour des "mélanges perdus d'autrefois", qu'ils contiennent ou non de la mystérieuse feuille syrienne, s'ils étaient à nouveau disponibles. Certains d'entre eux étaient indubitablement bons, certains même grandioses, et les gens qui les aimaient semblent bien les avoir vraiment aimés. Mais les biens indisponibles acquièrent souvent un niveau d'importance supérieur dans l'esprit de ceux qui, s'ils ne peuvent avoir quelque-chose, le désirent encore plus, et par là exercent une plus grande influence sur le marché. Il est dans la nature humaine que nous désirions ce que nous ne pouvons avoir. Les anciens mélanges Dunhill, le Balkan Sobranie et le Bohemian Scandal, par exemple, se vendent à des prix astronomiques sur ebay, pas forcément parce qu'ils le valent, pas nécessairement parce qu'ils sont la meilleure chose depuis l'invention de la bière, mais simplement parce que, dans un cas, il n'y a eu que quelques milliers de boîtes produites, et dans les autres, parce qu'ils ne sont plus fabriqués.

La nostalgie a une valeur. Les gens fument de vieux mélanges et se souviennent du passé. Ce n'est pas une mauvaise chose. Et pour certains, évoquer ces vieux souvenirs pourrait bien en valoir dix fois le prix. Je ne vais certainement pas me mettre à part de ce groupe. J'ai de nombreuses boîtes anciennes que j'apprécie immensément, mais je ne suis pas certain que, même si je pouvais me le permettre, je me mettrais à leur recherche, mon portefeuille grand ouvert tant que je ne les aurais pas en main. Il y a de nombreux mélanges excellents, et encore produits, qui peuvent être appréciés pour bien moins que le prix d'un train de pneus neufs. Ce qui nous ramène un peu à la discussion sur le Latakia, et au cœur de cette friandise spéciale, qui a commencé avec la 1ère partie…

D'un point de vue pratique, du moins dans ma perspective de blender, le Latakia syrien, c'est fini. Je continue à travailler avec ce que je trouve, et j'aime réellement les mélanges que j'ai réussi à faire sans lui. Je ne vais pas trop pleurer sur son manque, bien que je l'aie fait un moment, juste après l'incendie. A la place, je vais continuer à faire mes mélanges et fumer les excellents tabacs auquel j'ai accès, avec toujours l'espoir qu'une ou plusieurs de mes créations trouvera grâce dans les pipes des autres.

Et je continuerai à ne pas afficher des contenus qui pourraient être ou non présents en quelque proportion que ce soit. Ca serait chouette si tout le monde dans l'industrie en faisait autant.