Font-ils un tabac ? n°98

par Erwin Van Hove

03/06/19

Robert McConnell, Mature

Quels sont les ingrédients du Mature ? Impossible de le savoir avec certitude parce que les diverses sources se contredisent ferme. Une fois de plus. Les sites web de Kohlhase & Kopp et des civettes en ligne allemandes affirment tous sans exception que le blend est aromatisé au chocolat, alors que Tobaccoreviews et les commerces américains font mention d’une aromatisation à l’anis étoilé. C’est à se demander si K&K produit deux versions du Mature, l’une destinée au marché local et l’autre à l’exportation outre-Atlantique. Seulement voilà, les pistes se brouillent davantage encore. Si la grande majorité des points de vente allemands décrivent le Mature comme un mélange composé exclusivement de virginias foncés, la plupart des commerces américains mais aussi celui de Hans Wiedemann spécifient que le blend contient également des tabacs d’Orient en provenance de Grèce et de Turquie. Et le comble du brouillage des pistes ? Le site web de K&K est on ne peut plus clair : le Mature, c’est du VA. Or, le texte descriptif collé sur le dessous de ma boîte achetée en Allemagne mentionne expressément la présence de tabacs grecs et turcs. Je n’en reviens pas.

La boîte que je teste est âgée de trois ans. En l’ouvrant, je découvre du ready rubbed et des broken flakes moins foncés qu’escompté. Certes, il y a des bruns foncés et de la couleur aubergine, mais également des bruns plus clairs, voire des fauves. Le nez me réserve une surprise : je ne sens sûrement pas d’odeurs anisées, mais à vrai dire pas non plus d’arôme de chocolat. Si je n’avais pas lu que le mélange a été aromatisé, j’aurais juré que le Mature, c’est un VA naturel. Quoi qu’il en soit, ce nez, je l’aime parce qu’il est fascinant et complexe. Certes, il y a de la croûte de pain, des relents vaguement fruités, une touche de champignon, mais ce que je sens, c’est avant tout un ensemble qui a quelque chose de familier sur lequel je n’arrive pas à mettre le doigt. C’est une odeur de cuisine, mais laquelle ?

Les premières bouffées confirment ce que j’ai senti : je ne goûte ni anis ni chocolat ni herbes d’Orient, mais un VA agréable et rond, à la fois légèrement fruité, boisé et épicé, qui s’exprime dans un registre moyen sans basses ni notes aigües. Ça n’a rien de renversant, mais ce n’est pas mauvais du tout. Mais bientôt la structure et les saveurs changent. Il se développe une note amère qui me dérange parce qu’elle mine la rondeur et l’équilibre. Elle me gêne d’autant plus qu’elle semble véhiculer une saveur désagréablement artificielle et médicamenteuse qui rend la fumée aigre et qui chasse le fruité. Il va de soi que ça coupe l’appétit, ce qui fait que pendant un long moment le fumage devient une corvée. Pour être complet, je dois nuancer quelque peu ces propos parce que dans certaines pipes cette regrettable évolution est moins marquée. Mais jamais inexistante.

Vers la fin, la fumée se rééquilibre. L’amertume est intégrée dans l’ensemble et on est désormais dans de typiques saveurs de VA, sur la croûte de pain, le pruneau et le citronné. Or, de la part d’un virginia mature et foncé, on est en droit de s’attendre à des saveurs autrement plus riches et profondes que le superficiel citronné.

Il va sans dire qu’après les débuts prometteurs, je suis déçu. Je me pose des questions sur la qualité des virginias et sur le traitement qu’ils ont subi. L’arrière-goût déplaisant et artificiel qui me reste en bouche en dit long. Pouce baissé pour le Mature. Et dire que je l’ai acheté en raison de son excellent score sur Tobaccoreviews. Une preuve de plus qu’en matière de goût, nous nageons tous dans la subjectivité absolue.

Olaf Poulsson, N° 25 Black Cavendish

Tout comme Timm ou Torben Dansk, Olaf Poulsson est l’une des marques maison de DTM/Dan Tobacco. La boîte de N° 25, je l’ai achetée fin 2016 après avoir lu dans le catalogue de Dan Pipe que ce blend-ci ne ressemble pas aux cavendish blends usuels, vu qu’il est nettement moins sucré et qu’il ne dénature pas l’arôme et le goût du tabac. Ça revient à dire qu’il s’agit d’un black cavendish à l’anglaise, fait avec du virginia soumis à des bains de vapeur qui donnent au tabac sa couleur noire, sans qu’il ait été au préalable imprégné de sauces aromatisées.

A ma surprise, le mélange a disparu du dernier catalogue de Dan Pipe. Vérification faite, il n’est plus disponible non plus dans la plupart des points de vente en Allemagne. Se pourrait-il que pour ce tabac ni chair ni poisson il n’y avait pas de clientèle, vu qu’il n’intéressait ni les amateurs d’aros ni les fumeurs de tabac naturel ?

Après avoir ouvert la boîte, je suis surpris : je vois nettement plus de fauves et de divers bruns que du noir. Ce n’est donc certainement pas un black cavendish pur. Par contre, le nez est clairement dominé par une odeur de cavendish : crêpes au sirop de candi ou d’érable, du grillé, des raisins secs, une note pétrolée, mais je sens aussi les arômes de pain du virginia. Un ensemble harmonieux et agréable somme toute.

Il s’agit d’une coupe assez large et les brins sont tout sauf humides, ce qui confirme que le tabac n’a pas été saucé à la louche. N’empêche qu’une petite visite au site web du ministère de l’Agriculture allemand révèle que le Black Cavendish a été dopé au sucre et aromatisé avec des casings, des extraits et des concentrés. Bref, comme d’habitude, les blenders nous racontent des bobards.

Passons au fumage. Dès les premières bouffées je sais que je n’aurai pas grand-chose à déclarer. C’est léger et inoffensif, ça brûle vite mais sans chauffer, ça n’attaque pas votre langue. Et puis ça a un goût de cavendish qui reprend le thème du nez. Et comme ce nez, ce goût n’est pas déplaisant. Seulement voilà, bientôt le N° 25 se heurte à ses propres limites : le cavendish est et reste fondamentalement un tabac-condiment qui doit être intégré dans un ensemble. Comme vedette de l’affiche, il est mal à l’aise faute de talent et de charisme. Alors il tente de compenser cette évidente lacune par la lourdeur. Bref, très rapidement les grossières saveurs sans nuances se mettent à me barber. En vérité, je m’ennuie à mort.

Désormais je comprends parfaitement bien pourquoi DTM a arrêté la production de ce mélange : il est d’une désolante médiocrité. Ce n’est ni un tabac dégueulasse, ni un tabac qui divise. C’est un tabac qui laisse complètement indifférent. C’est une nouille.

TAK, Black Gold Crumble

L’image sur le site web de Thomas Darasz convainc : effectivement, ce crumble combine le noir et le doré. Seulement voilà, la photo a été surexposée parce qu’en réalité mon crumble est composé de noir et de bruns foncés et clairs. J’avoue que côté visuel, je me sens déçu. Ceci dit, plus que l’image, c’est la recette qui m’a attiré : divers virginias, du cavendish, du black cavendish et 40% de perique. Quarante pourcent du tabac-condiment par excellence ! C’est même plus que la bombe à perique qu’est le Chenet’s Cake de Cornell & Diehl. (artfontilsuntabac40) J’attache donc ma ceinture et c’est parti.

Rien. Nothing. Nichts. Nada. Niente. Hein ? Où elles sont, ces exhalaisons à vous réveiller un mort qui déferlent du Chenet’s Cake et qui vous donnent la nette impression d’être renversé par une Hummer en pleine vitesse ? Ça, c’est une fucking deuche qui vous effleure la jambe pendant qu’elle fait marche-arrière. Ici on vogue dans le vague. Un peu de pain, une touche fruitée, une pincée d’épices, quelques gouttes de vinaigre. C’est bon enfant et petit bourgeois. C’est aussi sauvage que mes pantoufles.

Cela confirme une fois de plus ce que je sais depuis belle lurette : contrairement à C&D, les blenders allemands n’arrivent pas à mettre la main sur du perique authentique et en conséquence ils travaillent avec de l’ersatz. Je persiste et signe.

Qu’est-ce que ça donne au fumage ? Ben, pas grand-chose. Les saveurs correspondent parfaitement au nez. C’est gentil et civilisé, c’est équilibré et comme il faut, c’est inoffensif et sans surprises. C’est donc agréable et propre sur soi. Mais ça manque de cojones. Même le final un tantinet plus intense et plus profond n’a rien d’excitant.

Si je n’avais pas acheté le Black Gold Crumble pour l’époustouflant pourcentage de perique, j’aurais jugé le mélange un peu léger pour moi, mais tout de même harmonieux et bien fait. Mais quand on me promet un casse-cou rallye tout-terrain au volant d’un monstre, je ne peux vraiment pas me contenter d’un tour d’autoroute, confortablement assis à l’arrière d’une berline.