Font-ils un tabac ? n°78

par Erwin Van Hove

04/12/17

TAK, Sailing City

Des virginias en coupe XXL, du virginia dark fired, du kentucky et du perique. Un tabac pour les fans de virginia blends américains, annonce Thomas Darasz.

Belle palette de couleurs allant du blond au brun foncé et à l’aubergine en passant par le fauve et le brun clair. Mélangés aux ribbons, on trouve pas mal de grands morceaux de feuilles de tabac. Pendant le bourrage il faudra donc y aller mollo, sans trop tasser. Le tabac est légèrement humide, mais pas au point de requérir un séchage. Le nez me surprend : je m’attendais à des notes empyreumatiques du dark fired virginia et du kentucky et à des odeurs de perique. Il n’en est rien. Le nez est fort introverti et dégage une odeur uniforme dans laquelle on ne reconnaît pas l’apport des divers ingrédients. Cette odeur est agréable et se résume en un mot : boulangerie. En humant plus longuement, je décèle également de l’acidité volatile.

Le Sailing City révèle sa nature dès les premières aspirations : c’est un mélange posé, fort équilibré qui ne brille pas par son caractère haut en couleurs, mais qui vise à plaire au plus grand nombre. Dès lors, pour tout ami de blends naturels à base de virginia, c’est le genre de tabac communément appelé all day smoke qui n’exige pas une attention constante pour en déceler toutes les nuances, mais qui est suffisamment intéressant pour ne pas vous ennuyer après deux pipées.

L’entrée en matière est discrète, crémeuse, plaisante, dominée par une gentille douceur bienfaisante. Puis arrivent en scène le dark fired virginia, le kentucky et le perique qui font évoluer les saveurs vers un ensemble plus épicé avec du poivré, du boisé et une acidité maîtrisée. Le virginia de son côté apporte ici et là des accents de pain et une note de fraîcheur citronnée. Si évolution il y a, elle ne s’exprime pas par une graduelle concentration des saveurs, mais plutôt par une série de variations.

Malgré la grosse coupe, le tabac se consume régulièrement sans nécessiter des rallumages répétés. Ajoutez à cela que la fumée n'agresse nullement les muqueuses et que le taux en vitamine N est fort civilisé et vous comprendrez que même les pipophiles inexpérimentés peuvent y aller sans crainte.

Voilà donc un mélange bien fait qui ne casse pas la baraque mais qui vraisemblablement ne risque pas de vous déplaire. Même s’il ne vise pas à devenir un favori, il y a de fortes chances que vous le fumerez avec plaisir.

Et à propos, si vous vous demandez d’où vient le nom du mélange, la réponse est fort simple : la sailing city, c’est le surnom de la ville de Kiel où officie Thomas Darasz.

Samuel Gawith, Springtime Flake

Baptisé au moment de sa sortie Irish Spring Flake, ce tabac fait partie, ensemble avec le English Summer Flake, le Scottish Autumn Flake et le Wintertime Flake de la série Four Seasons. La recette est assez originale puisqu’il s’agit d’un VA/perique dont le perique a maturé dans des barriques à xérès. Le seul autre blend que je connaisse à faire appel à la même technique, d’habitude réservée au vieillissement de certains whiskies, est le Irish Oak de Peterson.

Le Springtime est le résultat de la collaboration entre Samuel Gawith et le passionné pipophile tchèque, Josef Stanislav, qui a développé sa propre gamme de tabacs, Stanislaw (oui, avec w) Pipe Tobacco, commercialisée par Mostex. (http://www.mostex.cz/). Aux dires de certains, ce serait même carrément un mélange créé et produit par Stanislaw, Samuel Gawith se bornant au seul rôle de distributeur. Personnellement, je suis enclin à croire à cette rumeur pour trois raisons : quand on ouvre la boîte, on ne discerne pas la moindre note d’arômes Lakeland ; les flakes sont nettement plus larges que ceux produits par Gawith et en plus ils sont plus secs que ceux en provenance de Kendal.

Les flakes brun clair aux accents fauves, roux et aubergine ne sont pas denses, ce qui fait qu’il suffit de détacher un morceau de flake, de le rouler brièvement entre les doigts et de l’enfourner tel quel. En aspirant profondément, je détecte au loin une odeur piquante d’eucalyptus ou de menthol, mais fondamentalement, ça sent le bon virginia blond avec ses typiques arômes de foin et sa petite note citronnée. C’est une odeur simple et franche qui me plaît d’emblée. Par contre, je ne distingue ni xérès ni perique.

Alors que je ne suis pas le plus grand fan des VA blonds, je suis immédiatement sous le charme : voilà en effet un tabac printanier et guilleret qui me rend de bonne humeur. C’est gentiment sucré, gaillardement citronné et énergiquement pimenté. Ça n’a aucune lourdeur et c’est pourtant bourré de goût. C’est même percutant et ça ravive le palais avec ses vibrants acides, sa discrète note d’amertume et ses picotements à la fois poivrés et salins. A tel point que je déconseille une pipe volumineuse. Je vous recommande également un rythme de fumage lent, sinon le picotement risque de tourner à la morsure. Et le xérès dans tout ça ? Je suis incapable de le distinguer. Ceci dit, je me verrais bien accompagner le Springtime d’un verre de fino ou, mieux encore, de manzanilla plus salin.

Ni complexe, ni évolutif, c’est un mélange modeste et sympa qu’on appellerait gouleyant s’il s’agissait d’un vin.

Robert McConnell, Old London Pebble Cut

A l’origine, Kohlhase & Kopp commercialisait le Old London Pebble Cut sous la bannière d’Ashton jusqu’à ce que, pour des raisons que j’ignore et sans en changer la recette, la direction décida de l’incorporer dans la gamme des Robert McConnell. A noter également qu’il ne faut pas le confondre avec le Pebblecut de McClelland qui en est, du moins sur papier, la version américaine, mais qui, en réalité, porte davantage la signature de McClelland que celle d’Ashton. (artfontilsuntabac33.htm)

Ca fait des années que je me demande ce qui constitue au juste un pebble cut. Une coupe caillou. Pardon ? Vous aurez beau écumer le web, vous ne trouverez nulle part la moindre esquisse d’explication. En vérité, il s’avère que strictement aucun autre tabac au monde ne se définit comme un pebble cut. Vous me direz que forcément la réponse est contenue dans les boîtes. Que nenni ! Le Pebblecut de McClelland est un simple broken flake, alors que les boîtes de K&K contiennent de très longs flakes. Ça vous fait une belle jambe.

Parlons-en de boîtes. Le Old London est disponible uniquement en conditionnements de 100g dont le modèle m’irrite au plus haut point. Il faudra que les commerciaux de K&K m’expliquent un jour comment il faut introduire la main dans une boîte aussi haute et étroite. Et mon irritation monte d’un cran quand je lis et relis le long descriptif en anglais. Allez, je vous le traduis pour que vous puissiez juger par vous-même : Des feuilles en provenance de la Caroline, triées sur le volet, tachetées de rouge, riches en goût et en huiles, de petites feuilles orientales de Macédoine avec un arôme piquant et de larges feuilles de virginia blond au goût de noisette, sont combinées pour former la charpente de ce mélange. Le tout est stocké en vrac pour se marier et finalement on y ajoute une quantité de pur perique de Louisiane. Ce mélange est alors pressé en « carrottes » (sic), selon la vieille méthode des marins, l’hydraulique remplaçant les ficelles et le muscle. Le cake qui en résulte est alors coupé et étuvé pour lui donner un léger goût toasté, puis emballé. Certainement l’un des tabacs les plus populaires qui ramène des saveurs que les succédanés contemporains produits en masse ont oubliées depuis longtemps. Je passe sur la prétentieuse grandiloquence de la fin pour revenir à un passage qui me fait gratter la tête : le mélange est pressé en carottes comme au bon vieux temps et il en résulte un cake !? Regardez l’image : à l’époque, les feuilles de tabac étaient enroulées en saucisson et ficelées. C’est ça, les carottes de tabac. Ces feuilles enroulées n’ont donc strictement rien à voir avec un cake qui est pressé en barres rectangulaires. Soit.

carotte de tabac

Je serais maintenant passé à la dégustation si je n’avais pas retourné la boîte et trouvé sur le fond un descriptif en allemand : Flake traditionnel composé de virginias foncés, de cavendish noir, d’orient et de perique. Un tabac avec une fine douceur naturelle et cependant avec une saveur puissante. Sur le site web de K&K, je retrouve d’ailleurs exactement le même texte. Plus de blablabla sur les carottes. Et apparemment un pebble cut n’est rien d’autre qu’un flake. Et puis, surprise, soudain le mélange contient du black cavendish. Est-il vraiment trop demandé à un blender de connaître les ingrédients de ses mélanges ?

Les longues tranches de flake sont riches en couleurs : du brun foncé, du fauve, du roux, de l’anthracite. Ils sont plutôt humides et collants, ce qui ne les empêche pas de se consumer sans problèmes. Le nez est marqué surtout par de l’acidité volatile et des arômes liquoreux, mais je décèle également des notes cacaotées et terreuses, des émanations de fruits qui fermentent et une touche de moisi due au perique. Le tout est assez somptueux et appétissant.

Les longues bandes de flake ne sont que légèrement pressées, ce qui fait qu’il est facile d’en déchirer des fragments et de les malaxer entre les doigts avant de les enfourner. Le feu provoque d’emblée une fumée riche et juteuse qui reprend le thème du nez : le perique et les orientaux produisent une déferlante d’acidité poivrée qui sera omniprésente. Heureusement que la douceur sous-jacente l’amadoue quelque peu. C’est donc fondamentalement un tabac aigre-doux et épicé dans lequel on décèle des saveurs de pruneau et de raisin sec et des notes torréfiées de café (ah, le cavendish tout de même !) sur un fond de sucre candi. Ce n’est pas un mélange léger, même si le taux en vitamine N reste fort amène. Côté combustion il n’y a aucun problème, mais un fumage lent s’impose, sinon les acides deviennent par trop incisifs. Dans le dernier tiers, plutôt que de gagner en profondeur et intensité, le Old London semble se fatiguer et perd en saveur, ce qui est une évidente faiblesse.

Le Pebble Cut façon Robert McConnell est un blend respectable plutôt qu’une totale réussite. D’ailleurs, quand on le compare avec le Pebblecut de McClelland, il fait figure de parent pauvre. Pour l’aimer vraiment, il faut nécessairement raffoler de piquants acides. Ce n’est pas mon cas. En conséquence, c’est un tabac que je n’achèterai plus.