Font-ils un tabac ? n°57

par Erwin Van Hove

11/07/16

Mais nan, c’est pas le tabac favori des Stones.

C’aurait été la première phrase du texte consacré au Brown Sugar Flake de Samuel Gawith. Hélas, les services postaux en ont décidé autrement. L’échantillon qui m’avait été envoyé, n’est jamais arrivé à destination. Dommage, parce que j’aurais vraiment aimé commencer un article de la sorte. Mais rien à faire. Passons à autre chose.

Dan Tobacco, Tumblin’ Dice

Mais nan, c’est pas le tabac favori des Stones.

Des dice, ce sont des dés. Des cubes. Voici donc, messieurs dames, un authentique cube cut, une coupe rare qui consiste à découper du tabac pressé en petits cubes. Pratique d’habitude réservée au burley. Pourquoi ? Je n’en sais rien. A l’époque, j’ai posé la question à Greg Pease qui n’a pas su éclairer ma lanterne. Or, le Tumblin’ Dice étant un virginia/perique, Dan Tobacco nous propose donc un tabac vraiment original, d’autant plus que ce mélange pure nature a été élaboré par Michael Apitz, pourtant le pape des aros de la maison allemande.

Commençons par un reproche : le graphisme de la boîte est moche à faire pleurer et pourquoi, nom d’une pipe, proposer un modèle de boîte dans lequel il est quasi impossible de glisser les doigts ? C’est exactement le genre de boîte qu’a abandonné Greg Pease suite aux multiples critiques.

La boîte à peine ouverte, j’ai le coup de foudre. Qu’est-ce qu’ils sont mignons, ces cubes ! Immédiatement ils me rappellent les petits morceaux de bois de réglisse qu’achetait ma grand-mère pour en faire des infusions. Franchement, je les trouve très, très appétissants. Le nez n’est pas exactement du genre flatteur, mais il est intéressant : malt, vinaigre, pomme séchée, engrais chimique, moisi.

Avec leurs côtés de 6mm, ce sont les cubes les plus volumineux que j’aie déjà vus. En conséquence il faut nécessairement une pipe au foyer large et un minimum de tassage. N’ayez d’ailleurs pas honte s’il vous faut rallumer plusieurs fois. C’est normal.

Dès que c’est parti, je découvre un VA/PER qui sort du lot. Chaque cube contenant tous les ingrédients, les saveurs se développent avec une évidente harmonie : des virginias doux et veloutés arrondissent du perique acidulé et épicé. La combustion tranquille des cubes impose tout naturellement un rythme de fumage relax, ce qui permet d’apprécier à sa juste valeur l’équilibre du blend. Ce fumage serein est d’ailleurs nécessaire parce que le Tumblin’ Dice ne verse pas dans la dentelle : ce n’est pas un tabac léger et en plus, l’acidité est passablement incisive, alors que le perique s’exprime davantage sur le piment que sur le poivre. Même si le virginia fruité, tendre et voluptueux amadoue le tout, cette combinaison acide/piquant risque de devenir décapante si l’on ne maîtrise pas le tirage. Bref, c’est un mélange viril, haut en goût, qui picote en bouche.

A l’opposé des gentils VA/perique qui carburent aux fruits secs, le Tumblin’ Dice est un pur- sang ombrageux qu’il faut savoir apprivoiser. S’il se cabre, vous risquez un uppercut en pleine poire. Personnellement, je déborde de sympathie pour sa nature sauvage qui s’apaise à condition de l’approcher avec respect.

Avec le trio de nouveautés Salty Dogs, Roper’s Roundels et Tumblin’ Dice, Dan Tobacco a frappé fort et juste. Ça mérite franchement une salve d’applaudissements.

Seattle Pipe Club, Plum Pudding

Il n’est pas rare qu’un pipe club demande à une manufacture de tabac de lui faire un mélange réservé à ses membres. Un club blend. Ce n’est d’ailleurs pas sorcier : il suffit de garantir au blender de passer une commande conséquente, 10 kilos par exemple, et de lui donner une idée plus ou moins précise de ce que vous attendez de lui et voilà qu’il vous envoie des échantillons à déguster. Vous faites votre choix, vous dotez le mélange élu d’un nom approprié et le tour est joué. En comparaison, les mélanges du Seattle Pipe Club, c’est une tout autre paire de manches. L’un des membres, c’est Joe Lankford qui depuis un quart de siècle pratique en amateur passionné l’art du blending. Et il le fait avec tellement de talent que non seulement il est devenu le blender attitré de son club, mais qu’en plus ses mélanges ont commencé à se faire une réputation hors de Seattle. Pour satisfaire la demande, le club a fini par commercialiser les créations de Lankford. Bref, le Seattle Pipe Club est devenu une véritable marque qui propose une demi-douzaine de tabacs.

Vous imaginez bien que le blender amateur ne disposant ni des stocks de tabacs nécessaires ni de l’outillage requis pour produire en masse ses mélanges, il a fallu faire appel à des mains mercenaires. Qui exécute alors ses recettes ? La réponse devrait être extrêmement simple et ce n’est pourtant pas le cas. Sur ma boîte, il est noté noir sur blanc our friends at Pipesandcigars.com are blending the precious mixture to Joe’s exacting specifications. Plus clair que ça, on meurt. Le mélange est fait par Pipesandcigars et donc par Russ Ouellette. Or, dans une interview publiée le 12 février de cette année, Matt Guss, l’un des cofondateurs du pipe club de Seattle, répond à la question who blends your tobacco ? ce qui suit : Our tobaccos are blended according to Joe’s demanding methods by Sutliff Tobacco Company. We chose Sutliff because of their ability to make Joe’s blends precisely as he would do himself. Sutliff donc. A ce qui paraît, la manufacture de tabac la plus ancienne des Etats-Unis, passée entre les mains d’Altadis et enfin rachetée par Mac Baren. Rien à voir avec Pipesandcigars. Il semblerait donc que le club ait récemment changé de producteur.

Plum Pudding. Le traditionnel dessert de Noël britannique. Sucré au point de devenir écœurant. Avec un nom pareil, on s’attend fatalement à un aro sirupeux. Faux. Composé de virginia, latakia, turcs et perique, le Plum Pudding est un anglobalkan. Avec a little something extra, lis-je sur la boîte. Vérification faite, il s’agit de cavendish.

Voilà qui est original : un crumble cake grossièrement coupé. Dans la boîte se trouvent donc d’épais morceaux bruns de bouse de vache séchée dans lesquels on reconnaît même des fragments de foin. Et il doit s’agir d’une vache folle puisqu’elle a dû manger du charbon de bois.

Le nez est peu expansif, harmonieux, subtil. Et mystérieux : j’ai vraiment du mal à déterminer ce que je sens exactement. Un léger fumé, du cuir, quelque chose de liquoreux et de chocolaté. En tout cas, le nez n’annonce pas une bombe au latakia, mais un anglais en finesse.

Pour préparer un crumble cake, il faut un certain doigté. Allez-y avec un excès de zèle et soudain vous vous retrouvez avec une pile de poudre. Vous êtes avertis.

Dès les premières bouffées, je dois me rendre à l’évidence : monsieur Lankford n’a rien en commun avec tous ces apprentis sorciers qui concoctent des mélanges-maison rudimentaires et médiocres. Sans conteste le Plum Pudding a été composé par quelqu’un qui possède l’expérience, le savoir-faire et le palais d’un vrai blender. C’est un tabac agréable et équilibré dont les saveurs forment un tout cohérent. Une bonne ration d’acidité est absorbée par une agréable douceur sous-jacente. Il y a du sel et du poivre, de la chaleur piquante et revigorante. Le cuir et le fumé du latakia sont clairement présents, mais ne dominent pas le palais. Au contraire, les saveurs empyreumatiques du chypriote fraternisent avec l’aigre-doux épicé du cavendish, du turc et du louisianais et la cuisine fusion qui en résulte ne correspond peut-être pas aux canons du blending à l’anglaise, mais convainc néanmoins mes papilles.

N’ayant pas l’âme d’un puriste, j’apprécie cet anglais-écossais-balkan revu et corrigé dans l’Etat de Washington. Même si le Plum Pudding n’est pas incontournable, c’est un mélange très bien fait qui mérite d’être mieux connu de notre côté de l’Atlantique.

Imperial Tobacco, Golden Virginia Classic

Vous vous souvenez de la bonne âme qui m’avait ramené du duty free un conditionnement de cinq boîtes de fucking Erinmore ? Toujours généreux et débordant de bonne volonté, il a encore frappé fort : me voilà l’heureux propriétaire de 5 pochettes de tabac à rouler qu’on lui a conseillé pour la pipe. Pas n’importe lequel cependant : produit depuis 1877, c’est le shag le plus vendu en Grande-Bretagne. Et le fabricant de proclamer partout que c’est pas de la camelote : le virginia est soigneusement hand stripped. En revanche, pour une raison que j’ignore, il passe sous silence que le Golden Virginia Classic contient également du burley et des orientaux.

Brun clair plutôt que doré, le Golden Virginia ne sent pas le virginia typique. Simple au premier abord, le nez devient vite intrigant quand on prend la peine de humer longuement. Je n’arrive pas à mettre le doigt sur ce que je sens, mais il y a du pain d’épices, du vinaigre, de l’étable, du potager qui chauffe sous le soleil. La coupe est tellement fine que les cheveux d’ange forment des nœuds compacts difficiles à démêler, d’autant plus qu’ils semblent sortir de sous la douche. Il faut donc quelques heures de séchage et un bourrage tout léger.

En bouche, les saveurs rappellent davantage celles d’un brun que d’un virginia : il y a un côté cigare hollandais, une note terreuse. Et puis, pas mal d’acidité mais pas du genre agressif. Un tout simple et monotone qui risque de lasser dans de gros foyers. Et cependant, ça se fume parce que, tous comptes faits, ce n’est pas si mal que ça. En vérité, il y a de vrais mélanges pour pipes qui sont nettement moins réussis.

Que ce soit clair : le Golden Virginia Classic est bel et bien un tabac à rouler. Pourtant il s’avère qu’il tient la route dans une pipe. Il ne vous laissera pas de souvenirs impérissables, mais il peut vous dépanner au cas où vous tomberiez sans tabac à pipe.