Font-ils un tabac ? n°52

par Erwin Van Hove

28/12/15

Bentley, The Planters Sweet

Allez comprendre. Vous achetez en ligne neuf tabacs différents. Sans exception tous naturels. Pourtant, le commerçant qui vous les livre, juge opportun d’inclure dans votre colis un échantillon d’un aro. Hého, ça va pas la tête ? C’est quoi ça comme pratique ? J’en profite pour saluer les passionnés de Dan Tobacco qui, eux, m’envoient systématiquement des échantillons choisis à bon escient.

Justement, il faut en parler de DTM/Dan Tobacco puisque ce sont eux qui produisent les mélanges Bentley. Il est à noter que jusqu’à tout récemment The Planters Sweet était commercialisé sous le nom de La Dolce Vita.

Je lis qu’il s’agit de virginia et de black cavendish arrosés à la sauce aux fruits. Ça me donne la chair de poule. J’admets pourtant que les toutes premières bouffées sont crémeuses et flatteuses. A cet instant, je peux même comprendre les fumeurs infantiles qui cherchent dans un tabac des saveurs de bonbons aux fruits. Mais qu’il existe des pipophiles sains d’esprit, du moins je le présume, friands de tabacs qui après quelques minutes deviennent aigres et acerbes et qui vous attaquent la langue avec un arrosoir d’acide sulfurique, ça me dépasse complètement. Pas étonnant qu’en général ce soient justement ces camés du vitriole qui chantent les louanges du filtre 9mm.

Je vous jure que j’ai essayé de finir un bol. Plusieurs fois même. En vain. Pour quelqu’un aux oreilles sensibles, l’affreux grésillement du contact entre le jus et la braise est une horreur. Pour quelqu’un qui traite ses pipes avec le plus grand respect, cette mixture sirupeuse et chimique est une menace. Pour un fumeur de tabac, du vrai, The Planters Sweet est une insulte.

On en restera là. Vaut mieux.

Bentley, The Classic One

The Classic One est tellement classique qu’on vient d’en changer la recette. Douce ironie. Avant, Bentley présentait son mélange comme un virginia/orientaux. Aujourd’hui les boîtes ne mentionnent plus la présence de tabacs turcs. Désormais ce serait donc un pur VA.

La coupe hésite entre le broken flake et le ready rubbed dont les couleurs vont du fauve au brun foncé. Le nez est du genre neutre et discret, pour ne pas dire terne : on décèle vaguement du foin, du toast et une petite note sucrée. Pas exactement enthousiasmant.

Cette impression se confirme après l’allumage : non, le mélange n’est pas mauvais, mais s’il venait à disparaître, à qui manquerait-il ? C’est un VA anonyme sans évidents défauts, mais sans mérites particuliers. Assez léger, plutôt faible en goût, le Classic One me laisse fondamentalement indifférent. Il est vrai que de temps à autre, les saveurs s’intensifient pendant quelques instants en accentuant le toasté et l’épicé, mais la plupart du temps elles s’expriment en sourdine. Quant à la sensation en bouche, elle n’est pas particulièrement agréable, vu que la fumée manque de velouté et qu’elle tend à punir votre langue dès que vous augmentez le rythme de tirage.

Sitôt fumé, sitôt oublié. Pardonnez mon bâillement.

Mac Baren, HH Pure Virginia

D’accord, pas tous les blends de la série HH ne sont des chefs-d’œuvre. N’empêche que depuis que Mac Baren s’est mis à développer sa gamme de mélanges expressément destinés aux amateurs de tabacs naturels, la marque danoise a sensiblement monté dans mon estime. Après avoir dégusté une boîte de Pure Virginia, je peux vous dire que mon respect reste parfaitement intact.

Des virginias américains et africains pressés en flakes. Classique et cependant original puisque le mélange contient non seulement du VA flue cured, ce qui est normal, mais également une portion de virginias air cured, procédé réservé en principe au burley et qui génère des tabacs sévères, pauvres en sucre. Or, pour arrondir le tout, le blender a ajouté juste ce qu’il faut de mélasse. A la pipette. Pas à la louche. Par contre, le tabac est exempt de toute aromatisation. Ça se sent d’ailleurs : nous sommes dans un registre discret et neutre. Des notes terreuses, un peu de foin, mais surtout une odeur de feuilles de tabac.

Les flakes sont franchement attirants : bien solides, pas trop épais avec une belle couleur foncée parsemée de taches plus claires. Par ailleurs, cette couleur me surprend puisqu’elle est nettement moins claire que celle que je vois un peu partout en photo. Comme les tranches de tabac ne se désagrègent pas au toucher, j’aime bien les plier et les triturer un peu plutôt que de les réduire en brins.

Lors des premiers fumages, j’étais déçu, trouvant la saveur trop amère. Et puis, je m’y suis fait et plus que ça. Petit à petit je me suis mis à apprécier le Pure Virginia et enfin à l’affectionner. C’est donc un tabac introverti qu’il faut aborder avec calme et circonspection pour l’appréhender. Ce qu’on découvre alors n’est certes pas un éblouissant feu d’artifice gustatif. En vérité, le Pure Virginia est tout sauf opulent. Il s’avère au contraire plutôt monacal. Mais c’est justement par son côté rectiligne et janséniste qu’il atteint son but : nous présenter un virginia franc, épuré, nu.

Certes, on y trouve par moments une vague touche de fruits secs et des notes terreuses. Et c’est vrai qu’il est légèrement épicé. Mais le goût qu’il évoque le plus clairement, c’est celui de feuilles de tabac. Et ce qui frappe surtout, c’est le parfait équilibre de sa structure : une dose de vitamine N suffisamment virile pour vous combler, mais sans lourdeur, une amertume toujours présente mais jamais caustique, une acidité parfaitement intégrée, des sucres discrets.

La combustion lente et régulière garantit de longs moments de plaisirs simples. Remarquez cependant que ce manque de complexité est compensé par une réelle subtilité. Mais pour qu’elle se révèle, il faut impérativement fumer posément. Un homme averti…

J’imagine aisément que le Pure Virginia déçoive et soit jugé anodin, voire peu agréable. Nous sommes en effet habitués à des virginias sucrés. Mais ceux qui apprécient un tabac honnête qui goûte le tabac et qui, sans tambour ni trompette, va à l’essentiel, trouveront en ce Mac Baren un fidèle compagnon de route.