Font-ils un tabac ? n°46

par Erwin Van Hove

10/08/15

Samuel Gawith, Squadron Leader

Nettement moins de noir que du brun : ce ne sera pas une bombe à latakia. Les arômes discrets le confirment : certes du cuir et une touche tourbée, mais aussi un côté végétal plutôt acide et clairement des odeurs de fromage. Dans ma mémoire, on reconnaissait mieux les typiques et appétissants arômes du virginia de Gawith. Soit. Malgré trois ans d’encavement, le tabac colle sérieusement. Vraiment trop humide, ce tabac.

Quand je tire à sec, je ne reconnais plus le Squadron Leader d’antan. A l’époque, j’aimais particulièrement les saveurs de suave virginia rehaussé d’épices d’Orient et voilà que maintenant ce plaisir m’est cruellement ôté. Merdre ! Et voilà qu’il ne sert à rien non plus de mettre le feu à cette paille méconnaissable. Je vais vous dire. Avant, le duo virginia/orientaux tapissait vos papilles d’une chaleureuse et fascinante couche de saveurs subtiles et complexes, pendant que le latakia se bornait, bon enfant, à apporter une touche finale. Ce goût d’antan, j’en raffolais. Seul bémol, je devais y aller mollo, sinon ma langue finissait à chaque fumage par tirer la sonnette d’alarme. Mais franchement, c’était tellement bon que j’étais prêt à me brûler le bec.

Quelle déception à présent. Où sont passées la finesse, la subtilité, la complexité ? Ce qui reste, c’est un anglais moyen, respectable certes, mais qui manque de personnalité. Je ne peux pas dire que ce Squadron Leader déchu soit vraiment mauvais, mais nom d’une pipe, s’il venait à disparaître du marché, je ne me verrais pas me tordre les mains de désespoir.

Rien d’autre à ajouter.

Robert McConnell, The Original Scottish Cake

Attention, à ne pas confondre avec The Original Scottish Flake qui m’a toujours paru respectable mais assez quelconque (artfontilsuntabac.htm). Niveau composition de ce cake, c’est le flou artistique. Ca n’arrange rien, vu qu’après 38 ans d’études poussées de la chose pipière, je ne saurais toujours pas vous expliquer ce qu’est au juste un mélange dit écossais. En tout cas, plusieurs sites américains spécifient que ce McConnell est composé de Eastern Carolina, Kentucky and Middle Belt. Du kentucky, c’est clair. L’Eastern Carolina, c’est une variété de virginia et le terme Middle Belt désigne le virginia en provenance de la Caroline du Nord. Bref, ce cake, c’est donc un virginia/kentucky. Or, sur le site web de Kohlhase & Kopp, le producteur, on lit ceci : Handgeriebener Flake aus dunklem Virginia und Kentucky mit einer Prise Perique. Ce serait donc un broken flake fait avec du virginia, du kentucky et du perique. Mais voilà que sur la boîte même uniquement le virginia et le perique sont mentionnés. Allez savoir.

Il faut donc jouer aux Sherlock. La couleur brun foncé trahit la présence d’une base de virginia étuvé et le nez superbement fruité avec du pruneau, de la figue et de l’abricot séchés donne à penser que les touches d’anthracite sont dues au perique. Par contre, mon nez ne décèle nullement la présence de kentucky. Ben voilà, affaire classée. Pourtant, dès que je me mets à pétuner comme un grand, force m’est de revoir ma conclusion : si les premières bouffées s’expriment sur le sucre de canne et la mélasse du viriginia, bien vite on décèle un fond terreux, une aigreur évidente et un sérieux kick nicotinique que j’associe au kentucky. D’ailleurs, les saveurs sont nettement moins flatteusement fruitées que ne laissait supposer le nez. Au contraire, on est beaucoup plus dans le registre sombre, sévère, poivré et viril que dans celui des fruits secs tel qu’on le retrouve par exemple dans l’Escudo. En tout cas, j’ai été rarement aussi surpris par une telle disparité entre arômes et saveurs. Désormais il est donc indéniable que ce mélange contient une bonne dose de kentucky, sinon les stoved virginias devraient sans conteste jouer les premiers violons et bercer mes papilles de leur voluptueuse douceur. Et il faut le dire, après l’orgasme olfactif qui m’a fait entrevoir les luxurieux plaisirs exotiques de loukoums servis par une lascive odalisque, c’est la douche froide.

Est-ce dire que le Scottish Cake soit mauvais ? Pas du tout. Certes, il ne tient pas les promesses du nez, mais si vous arrivez à oublier ces parfums si renversants et que vous le jugez purement sur ses mérites gustatifs, il vous faudra avouer qu’il tient la route. D’accord, ce n’est pas exactement une jolie route de campagne sinueuse et ensoleillée, mais plutôt une route toute droite à travers un paysage monotone. L’association virginia/kentucky est harmonieuse, mais ne brille ni par sa complexité ni par son caractère évolutif. Un peu barbant quand même. Bref, c’est un tabac sérieux, peut-être trop sérieux. Bien fait avec ça, parce que malgré son humidité excessive, il brûle parfaitement bien sans jamais s’attaquer à la langue. N’empêche que je n’en rachèterai plus, ce qui ne veut pas dire pour autant que je vous déconseille de l’essayer.

Low Country, Black

Low Country n’est pas le nom d’un producteur. C’est simplement le nom d’une marque de tabac à pipe qui appartient au groupe Laudisi Enterprises dont le fleuron Smokingpipes.com ne vous est sûrement pas inconnu. Les quatre mélanges Low Country ont été créés par le duo Sykes Wilford, le patron de Laudisi, et Craig Tarler, le propriétaire de Cornell & Diehl qui bien évidemment s’est également occupé de la production. Après le décès de Tarler, Wilford a racheté Cornell & Diehl et a intégré l’entreprise dans le groupe Laudisi.

Vu son nom, on s’attend à un mélange noir de chez noir dans le style du Pirate Kake. Il n’en est rien. Certes, il y a pas mal de noir, mais au moins autant de bruns. Ces nombreuses nuances dues à différents virginias allant des blonds aux rouges étuvés et les diverses coupes révèlent d’emblée une recette qui me semble complexe. Le nez le confirme immédiatement : il est assez déroutant et original avec du café et du chocolat, du cuir et du caoutchouc, du bois et du poivre, de la cire et une note d’acétone.

Premières impressions : une vague d’opulente douceur tenue en équilibre par une acidité noble. Une fumée ample, bourrée de goût. Des saveurs sombres, boisées et vineuses. Des épices piquantes. Voilà une très belle entrée en matière. Après 6 ans d’encavement, les ingrédients se sont fondus en un tout riche et harmonieux. Sire Latakia et dame Virginia forment un couple uni et heureux.

Petit à petit les sucres se retirent du devant de la scène et se contentent d’un rôle de second plan, pendant que sous les projecteurs l’acidité et les épices s’engagent dans un dialogue vif et caustique. Cette acidité n’est nullement du genre vulgaire et agressif. N’empêche qu’elle domine la structure du Black et que ce n’est pas donné à tout le monde d’apprécier ça. C’est comme le jurançon. Quant aux épices, elles apportent une vague de chaleur comme sait le faire le tabasco. Cette chaleur piquante qui envahit vos muqueuses, ne la confondez pas avec le redoutable tongue bite. Rien à voir. D’ailleurs, vous remarquerez, surtout dans la deuxième moitié du bol, que de temps à autre les virginias déroulent sur votre langue un tapis de douceur veloutée.

Conclusion : à l’âge de 6 ans, le Black est un mélange anglais à son apogée qui a du caractère à revendre. Dès lors, c’est davantage un tabac qu’on choisira à la fin d’un dîner épicé qu’un all day smoke.