Font-ils un tabac ? n°43

par Erwin Van Hove

04/05/15

McClelland, CPCC Rich Virginia Ribbon

L’une des séries de mélanges faisant partie de l’écurie McClelland, c’est celle des Club Blends. Il s’agit de dix-huit mélanges qui au cours des deux dernières décennies avaient fini par disparaître de leur très riche catalogue, mais que les blenders de Kansas City ont ressuscités dans le but de soutenir les trois pipe clubs américains les plus actifs. McClelland s’est en effet engagé à verser à ces clubs une partie des revenus engendrés par la vente de ces tabacs. Le Conclave of Richmond Pipe Smokers (CORPS), le Greater Kansas City Pipe Club et le Chicagoland Pipe Collectors’ Club (CPCC) ont chacun sélectionné six blends. Depuis 1994, le Rich Virginia Ribbon fait donc partie de la sélection du CPCC, le club qui organise chaque année le gigantesque Chicago Pipe Show.

Des virginias orange et rouges sont d’abord pressés en cakes, puis transformés en ribbon cut. Bref, le mélange se présente sous forme de brins prêts à l’emploi. Au nez on reconnaît le style de McClelland, mais on est loin de la typique odeur de ketchup. Les odeurs sont nettement moins lourdes et donc plus élégantes. Du sucre de canne, du foin, de la terre, de l’abricot, une goutte de vinaigre de cidre forment un tout agréable et invitant.

Sur la boîte, le Rich Virginia Ribbon est décrit comme zesty and lightly sweet. C’est en plein dans le mille. C’est donc un virginia agréable, du genre estival avec ses notes acidulées, ses épices et sa douceur en finesse. Il ne faut pas en attendre ni opulence ni profondeur, mais qu’à cela ne tienne, le plaisir est bien là. Un peu superficiel, d’accord, et sûrement pas inoubliable, c’est un virginia facile et sans histoires qui accompagnera l’apéritif en attendant le barbecue. C’est également un mélange qui conviendra parfaitement au débutant qui veut faire ses premiers pas dans l’univers du VA pur.

Ce n’est pas exactement mon genre de virginia, mais je comprends parfaitement ceux qui en raffolent.

Motzek, Herbst 84

Voici comment Herbert Motzek décrit sa recette : Le classique parmi les mélanges anglais. Des tabacs d’Orient de choix, de vifs virginias rouge clair arrondis par du latakia épicé. Aux dires du blender allemand, ce n’est donc pas le latakia qui joue le premier violon. Or, un mélange à base de virginias et de tabacs d’Orient relevé au latakia, ça s’appelle un Balkan blend. Anglais classique, mon œil. Et c’est pour le mieux puisque depuis un an ou deux je suis de moins en moins séduit par le caractère impérieux du latakia chypriote.

La description se confirme : on découvre nettement plus de fauves et de bruns que du noir. D’ailleurs le nez n’est pas celui d’une bombe à latakia. Du tout. Il est rond et frais à la fois, équilibré, chaleureux et invitant. C’est le nez typique et indescriptible d’un tabac qui combine avec bonheur des virginias et des orientaux. Disons que c’est comme si en se baladant dans une forêt humide, un encensoir fumant dans la main, on passait devant la porte ouverte d’une épicerie orientale dans laquelle on vend également du pain. Je sais, ça ne risque pas de vous arriver tous les jours.

Les brins sont secs mais parfaitement souples. L’allumage se passe donc sans encombres et d’emblée on entre de plein pied dans le cœur d’un tabac passablement déroutant : d’une part il y a des saveurs subtiles et nuancées grâce à des herbes orientales qui semblent plus florales qu’épicées et du latakia qui se cantonne strictement dans son rôle de condiment plus boisé que fumé, pendant que les virginias apportent une jolie touche de douceur sereine ; d’autre part le palais est constamment titillé par une revigorante acidité poivrée qui picote et qui mordille. Il est donc impératif de fumer posément, sinon le risque de morsure est réel. Ce ressenti en bouche tonique, il faut s’y habituer. Je peux même imaginer qu’il gêne. Moi, je l’aime bien, même si parfois, à la longue il finit par me gaver. Heureusement, quelques semaines après l’ouverture, la causticité a fini par s’assagir.

Combustion exemplaire, fumage sec, peu de nicotine mais sans verser dans le light. Le Herbst 84 n’est pas exactement évolutif, mais le mariage du viriginia et des orientaux produit des saveurs tellement raffinées et complexes qu’on n’est pas en droit de s’en plaindre.

Conclusion : si ce n’est pas un chef-d’œuvre incontournable, c’est quand même un excellent mélange balkan livré en vrac qui combine une âme angélique avec un caractère de chien.

PS : Allez savoir. Je viens de lire quelques revues écrites par des pétuneurs allemands. A ma grande surprise, aucun d’eux ne fait mention de l’acidité piquante qui me paraissait si typique. Y aurait-il un manque d’uniformité dans les mixtures livrées ? C’est bien possible, à en juger par les deux photos. Le mélange photographié par un client allemand n’a en effet pas grand-chose en commun avec celui présenté sur le site web de Motzek. Ceci dit, il se peut bien évidemment aussi que je goûte comme un pied. Dans ce cas, je me console à l’idée que je ne suis pas le seul. En fouillant, j’ai trouvé un commentaire d’un fumeur qui prétend que ce tabac a un goût de pommes de terre. Quelle patate !

Mac Baren, HH Bold Kentucky

Avec la superbe série HH, on est loin des Mac Baren mielleux et anodins d’antan. Désormais le fabricant danois s’adresse carrément aux connaisseurs et aux gourmets et il le fait de façon tout à fait convaincante. Il semblerait que dernièrement les blenders de chez Mac Baren soient tombés amoureux du kentucky, pourtant une herbe extrêmement virile dont le caractère caustique et impérieux est difficile à dompter. Voilà qu’après l’excellent HH Old Dark Fired, ils nous présentent donc le HH Bold Kentucky et d’emblée ils nous mettent en garde : c’est le mélange le plus fort qu’ils aient jamais produit.

La composition du Bold Kentucky ressemble à s’y méprendre à celle de l’Old Dark Fired : du dark fired kentucky et du virginia pressés à la vapeur pour les marier. Les flakes étroits et peu épais qui en résultent, sont très foncés. En les sortant de la boîte, on sent qu’ils sont assez humides. Trop même. Pourtant ils s’effritent facilement. Côté olfactif, c’est évidemment le kentucky qui domine : du jambon fumé de la Forêt-Noire, du pimenton (paprika fumé) et une note terreuse. En humant longuement, on découvre quand même le virginia sous forme de crêpes, mais, kentucky oblige, arrosé au sirop de candi.

L’allumage est facile, mais à cause de l’humidité excessive, il me faut plusieurs rallumages en cours de route. Il est donc à conseiller de sécher le tabac avant de le bourrer. L’entrée en matière est parfaitement harmonieuse : pendant que le kentucky commence à développer en sourdine ses saveurs de pimenton et de viande fumée, le virginia apporte une jolie note sucrée qui adoucit le tout. Il y a une rondeur certaine d’autant plus que la fumée est assez veloutée. Bien que je ressente de temps à autre un petit picotement dans les sinus, je suis assez surpris de constater que ce tabac n’est pas si fort après tout. Certes, il y a une bonne dose de vitamine N, mais elle ne gêne à aucun moment. Après le premier tiers, le kentucky révèle davantage son caractère : il devient plus sévère, plus poivré et plus sec. Ceci dit, il reste ragoûtant et parfaitement apprivoisé, ce qui prouve la maîtrise des blenders.

Tout comme son frère aîné, le HH Bold Kentucky est une réelle réussite. Avec ce flake parfaitement équilibré et sans fioritures, Mac Baren prouve une fois de plus que même un fabricant qui travaille à échelle industrielle, peut satisfaire l’aficionado de tabacs authentiques et francs. J’ai de plus en plus de respect pour Mac Baren.