Font-ils un tabac ? n°30

par Erwin Van Hove

31/03/14

HU-Tobacco, My Special One

Des descriptions qu’impriment les blenders sur leurs emballages, j’attends qu’elles soient claires et simples. Pourtant voilà une présentation à laquelle je ne pige que dalle. Il y a des choses dans la vie dont on ne parle pas mais dont on jouit en silence. My Special One appartient sans l’ombre d’un doute à cette catégorie. Ready rubbed flake du genre robuste, ce mélange se concentre sur l’essentiel et ne tente pas de briller par des effets de mode. Simplement du tabac, ni plus, ni moins. Un virginia/perique délicieusement foncé, mélangé avec un peu de darkfired kentucky et de latakia syrien. Il en résulte un mélange entre terre et douceur qui sort de l’ordinaire. Exactement le tabac qui convient pour un moment de plaisir extraordinaire. Bref, d’une part c’est un mélange basique qui se veut simplement du tabac, d’autre part c’est une création qui sort des sentiers battus. Ca me fait gratter la tête. Et je continue à gratter après avoir ouvert la boîte. Certes, entre le fauve et les divers tons de brun, les broken flakes sont jolis, mais c’est à peine si ici et là je détecte un brin noir. Or, sur la photo sur le site de HU-Tobacco je découvre un mélange autrement plus noir. Pas très professionnel, ça. Rien à redire par contre sur le degré d’humidité.

Le nez plutôt introverti dégage discrètement des relents de pomme séchée, de caramel, de vinaigre et, cachées vraiment dans le fond, des notes légèrement fumées. L’allumage confirme les propos de Hans Wiedemann : c’est robuste à souhait. La discrète douceur des virginias est étouffée par le poivre et les épices du perique et du kentucky. La langue picote, on sent l’effet de l’acidité. Le virginia ne s’exprime pas sur le fruit, mais reste fondamentalement neutre. Simplement du tabac, ni plus, ni moins, serait-ce ça ? Par ci par là on devine la présence du latakia plutôt qu’on ne la goûte. N’empêche que cette fois-ci le jeu des subtiles variations et permutations qui est si caractéristique du style de Wiedemann, ne semble pas fonctionner. Du moins pour moi. Ceci dit, dans la finale les saveurs s’intensifient et s’équilibrent davantage. N’empêche que ce blend par trop rustique, je ne l’apprécie que moyennement. Sa sensation en bouche me déplaît, il manque de douceur et de velouté et finalement je le trouve trop épicé.

My Special One ? Pas pour moi.

Planta, Vooroogst

Voilà un tabac que je me décide à tester par pur sens du devoir. Un membre du forum me l’a offert en me disant qu’il était curieux de savoir ce que j’en penserais. Franchement, il ne me serait jamais venu à l’idée de me procurer moi-même cette boîte de Vooroogst. Planta, c’est exactement le genre de producteur de tabac qui me laisse de marbre, spécialisé qu’il est dans les aros. En plus, quand je lis que le Vooroogst est basé sur une vieille recette hollandaise, je me sens tout sauf motivé : de Troost à Schippers et de Heerenbaai à Voortrekker, je n’ai jamais goûté un tabac batave qui me comble. Et je suis diplomatique là. Par contre, le fait que Planta mentionne explicitement que le mélange de burley et de java en provenance de Lumadjang est 100% naturel, sans aucun ajout d’arômes, me rassure un peu.

Pas de papier dans la boîte, mais un sachet plastique. Il y a des brins plus foncés, mais de toute évidence c’est le brun clair qui domine. Quant à la coupe, elle est toute classique. Le nez de son côté est vraiment surprenant : jamais je n’ai senti un tabac qui dégage aussi clairement des odeurs de chocolat au lait. Ma foi, ça donne envie de s’en bourrer une. Autre chose qui me frappe et qui est de bon augure : au toucher le tabac est souple mais absolument pas humide. D’ailleurs la combustion s’avérera facile et sans encombres.

Pendant l’allumage une vague de chocolat au lait me tapisse tendrement le palais, mais après quelques secondes on change complètement de registre. Je découvre alors un tabac d’homme avec de la nicotine, du poivre, de l’acidité et de l’amertume, beaucoup d’acidité et d’amertume. Les saveurs sont prévisibles et déroutantes à la fois. Prévisibles d’une part parce qu’on retrouve en bouche des réminiscences de l’univers cacaoté du nez et d’autre part parce qu’on reconnaît aisément le goût épicé de cigare hollandais. Or, justement le java de Lumadjang est avant tout un tabac à cigare. Déroutantes parce que cette combinaison de fines et flatteuses notes de chocolat et de brutales saveurs de cigare fort épicé est vraiment inédite et parce qu’il est rare de trouver tant d’amertume dans un tabac à pipe. Entre l’acidité et l’amertume épicée on découvre une douceur discrète, mais qui ne comblera ni les amateurs de virginias opulents, ni d’aromatiques doucereux. Les goûts évoluent à peine, ce qui fait qu’à la longue le tabac peut lasser. En tout cas, c’est ce qui m’est arrivé dans des pipes à volume important.

Conclusion : voilà un mélange insolite qui pourrait intéresser les amateurs de burley, de bruns, voire de cigares dans le style hollandais. Si je dois avouer que cette création de Planta m’a surpris, force m’est d’ajouter qu’elle ne m’a pas convaincu. Je regrette notamment que les délicates saveurs chocolatées soient par trop dominées par le picotement des épices et du poivre et par l’écrasante acidité/amertume. Pour moi il y a donc un manifeste manque d’équilibre. Ceci dit, plus je fume le Vooroogst, plus je dois me rendre à l’évidence : il s’accorde mal avec des pipes culottées avec d’autres tabacs. Au moment où j’ai rédigé mon texte, je l’avais systématiquement testé dans des pipes dédiées au semois d’une part et d’autre part au burley. Or, plus tard, je l’ai essayé dans une cavalier de Gabriele dal Fiume et dans une Pipas+O à peine fumées. Dans ces pipes-là il s’est avéré nettement moins acide et amer.

Pour finir, une mise en garde : le Vooroogst est conditionné en boîtes qui servent à contenir 100 grammes de tabac. Or, les boîtes ne contiennent que 50 grammes. Et si vous avez envie de l’essayer, achetez-le sur le marché allemand. Une boîte y coûte €6,50. En Belgique il se vend à €12,40. Cette gigantesque différence de prix mérite vraiment un boycott du distributeur belge.

G.L. Pease, Abingdon

Je ne suis ni du genre lèche-cul ni du genre à s’extasier pour un oui pour un non. Pourtant, au moment de la sortie d’Abingdon, je n’ai pas pu m’empêcher de contacter Greg Pease pour lui communiquer mon enthousiasme. Qu’est-ce que je raffolais de ce balkan franc et sans complexes ! Aujourd’hui il s’agit de voir comment il a résisté à l’épreuve du temps. Dégustation donc d’un Abingdon mis en boîte le 12 mars 2004.

Je ne peux m’empêcher de sourire à l’instant où j’ouvre la boîte : quel beau spectacle que ce festival de fauves, de bruns et de noirs. Dans mon esprit, ça, c’est exactement la couleur d’un vrai balkan : il y a clairement moins de latakia que d’herbes orientales. Et c’est pareil pour le nez : loin de la bombe à latakia, l’Abingdon dégage des arômes de virginia sucré, de vifs tabacs d’orient et d’une dose civilisée de latakia. C’est franc et élégant à la fois. Ceci dit, quelques jours après l’ouverture, le tabac se met à développer un parfum complexe et profond : du cuir, des notes boisées et vineuses, une surprenante mais incontestable odeur de gorgonzola.

Dès les premières bouffées, je reviens dix en en arrière et je retrouve mon euphorie d’antan. Des virginias tout doux contrebalancés par l’acidité noble des turcs, du latakia toujours présent mais jamais envahissant, des épices, du cuir, des champignons, du sel et tout ça dans un bel équilibre. C’est sombre et frais à la fois et c’est le genre de tabac qui ne demande ni patience, ni efforts, ni une attention particulière pour découvrir son âme. Solide et pas compliqué, honnête et cordial, ce tabac est le genre d’ami avec lequel on aime passer ses soirées.

Voilà, tout est dit. S’il vous faut un mélange qui brille par sa complexité, il y a mieux. Mais si vous cherchez un authentique balkan extraverti et goûteux avec un parfait équilibre entre le virginia, les herbes turques et le latakia, il ne faut pas hésiter. C’est vraiment très, très bon.